La Russie est le pays membre du Conseil de l’Arctique à disposer des plus grandes infrastructures militaires dans la région. © getty images

Et si les Russes attaquaient par l’Arctique… Fantasme ou prédiction ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La guerre en Ukraine paralyse la coopération dans le Grand Nord. Une région dont l’importance stratégique grandit à mesure que s’exacerbe la tension avec Moscou.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie au printemps 2022 a pesé sur nombre de dossiers de politique internationale. Elle en a paralysé un de façon radicale: la coopération dans la région arctique, «un objet géopolitique créé de toutes pièces par la coopération politique et l’intégration régionale depuis la fin de la guerre froide», selon la formule de Camille Escudé, professeure agrégée de géographie et autrice de Géopolitique de l’Arctique (1).

Le conflit en Ukraine a gelé les travaux des instances au cœur de cette coopération, en particulier le Conseil de l’Arctique qui réunit les pays riverains de cet «océan entouré de continents» (à l’inverse de l’Antarctique, qui est un continent entouré d’océans): le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlande, l’Islande, la Suède, la Norvège, soit sept Etats membres de l’Otan (sous réserve du feu vert du Parlement turc à l’adhésion de la Suède) et la Russie, ce qui mène aujourd’hui à distinguer l’«Arctic 7» du pays de Vladimir Poutine.

Russie, «géant arctique»

Difficile, en effet, de perpétuer une coopération globale sans la Russie, ce «géant arctique» qui englobe plus de la moitié du littoral (22 000 km) et de la population arctiques (trois des quatre millions d’habitants, dont 500 000 autochtones). Le territoire arctique russe abrite 60% des ressources minérales et stratégiques du pays, dont l’exploitation représente entre 10% et 20% du PIB. Autre atout de Moscou, l’ancienneté de la mise en valeur de la région et des infrastructures qui la desservent. Elle a été lancée à l’époque soviétique, a connu un ralentissement dans les premières années de la libéralisation postcommuniste avant de faire l’objet d’un regain d’intérêt sous Vladimir Poutine. En 2008, le président Dmitri Medvedev, qui l’avait remplacé provisoirement au poste suprême, a lancé un plan d’investissement de 35 milliards pour l’Arctique, prévoyant notamment la construction et la restauration de bases et d’aérodromes militaires.

La trajectoire la plus courte qu’emprunteraient des missiles russes vers l’Amérique du Nord passe par le pôle Nord.

Avec la guerre en Ukraine et l’exacerbation des tensions entre la Russie et l’Occident, l’Arctique est devenu une région militairement stratégique. «La trajectoire la plus courte qu’emprunteraient des missiles ou des bombardiers russes vers l’Amérique du Nord passe par le pôle Nord, ce qui confère au Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord un rôle capital», soutenait, dans le quotidien The Globe and Mail, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, à l’occasion d’une visite inédite dans l’Arctique canadien en août 2022 (lire en page 46).

© National

Quid de la Belgique?

L’ «exceptionnalisme arctique», qui voulait que la coopération arctique conserve sa force malgré les soubresauts de la géopolitique mondiale, semble donc avoir vécu. «A l’heure de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’Arctique tel que nous le connaissons pourrait évoluer ou encore disparaître à l’issue d’une “désintégration régionale” décrite par d’autres chercheurs à propos d’autres régions du monde», va même jusqu’à prédire Camille Escudé, pour laquelle «le processus d’intégration régionale […] n’est en aucun cas irréversible».

Pourtant, la conjoncture géopolitique et les effets du dérèglement climatique, qui augmentent la possibilité de naviguer dans la zone, renforcent l’attrait de l’Arctique. Il n’y a qu’à voir la multiplication des candidatures à une place d’observateur au Conseil de l’Arctique enregistrées au fil des années, et singulièrement depuis 2006. Aujourd’hui, des grandes puissances comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, la Chine, l’Italie, le Japon et l’Inde sont autorisées à participer à ses travaux, au même titre, par exemple, que Singapour et les Pays-Bas, mais pas la Belgique. Dans une note publiée le 9 janvier (2), Karen van Loon, chercheuse au programme des Affaires européennes de l’Institut Egmont, recommande d’ailleurs au gouvernement belge de «demander le statut d’observateur auprès du Conseil de l’Arctique en temps utile afin de participer aux processus de prise de décision dans la région et de partager l’expertise belge dans les groupes de travail sur des questions telles que l’environnement, le climat et le développement durable».

Certes, l’Arctique a été mis à l’agenda de la Belgique à un niveau plus élevé ces dernières années. Il n’en reste pas moins qu’elle reste le seul pays riverain de la mer du Nord à n’être ni membre ni observatrice du Conseil de l’Arctique. Pour Karen van Loon, «l’importance croissante de l’Arctique requiert que la Belgique accroisse son engagement dans la région». La menace russe et la multiplication des investissements chinois, notamment au Groenland, rendent cette action d’autant plus urgente.

(1) Géopolitique de l’Arctique, par Camille Escudé, PUF, 176 p.

(2) Looking towards the North: Belgium’s role in the Arctic, par Karen van Loon, Egmont Policy brief, janvier 2024.

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