Hadja Lahbib
Et à part ça, Hadja Lahbib? Zuza et les fantômes de l’Occident (chronique)
Si vous la voyez, dites-lui que cette mémoire hante aujourd’hui l’Occident.
Et à part ça? Avez-vous entendu parler de Zuza? Je la cherche partout depuis qu’un ami m’a parlé de cette femme débarquée dans le port de Southampton avant d’être emmenée à Newcastle, dans le nord-est de l’Angleterre. S’appelait-elle alors déjà Zuza ou a-t-elle hérité de ce diminutif que l’on donne outre-Manche aux Suzanna? Peut-être s’appelait-elle Zoulika?
Zuza est née au début du XXe siècle à Biskra, la reine des Ziban, porte orientale du Sahara algérien. A cette époque, c’est une ville française où l’on croise des colons de l’administration qui viennent passer du bon temps sur les terrasses des hôtels chics où l’on sert les dattes charnues des Ziban, les oranges sanguines et les figues de Barbarie cueillies alentour. Un tableau idyllique s’il n’y avait eu ces tribus barbares et indociles qui faisaient régner dans la région un sentiment d’insécurité en charriant régulièrement l’occupant français, ce qui, à terme, menaçait le tourisme, l’économie et l’occupation de la région. C’est sans aucun doute pour se débarrasser d’une de ces farouches tribus que Zuza, son mari et une centaine de compagnons d’infortune furent envoyés en Angleterre.
A cette époque, le monde occidental raffole d’expositions universelles où l’on met en scène des villages indigènes, des attractions humaines. En mai 1929, c’est au tour de Newcastle d’organiser son exposition, à laquelle la France contribue en envoyant Zuza et sa tribu. Ont-ils été capturés comme des esclaves? Zuza et sa fière tribu se retrouvent ainsi mis en scène dans un « village nègre ». Plusieurs fois par jour, Zuza déploie ses voiles en cachant son ventre qui s’arrondit d’une vie. Elle se déhanche devant des touristes probablement inconscients de leur curiosité raciste, ils défilent par milliers jusqu’au mois d’octobre lorsque l’exposition se termine. Les huttes sont jetées au rebus, Zuza et les siens sont abandonnés sur place. Dans la presse anglaise, on se plaint de ces « visages sombres » qui viennent grossir le nombre des malades dans les hôpitaux ; le vent piquant du nord les décime bientôt un à un. Zuza résiste en dansant pour de riches bourgeois en mal d’exotisme, jusqu’à ce que son ventre devienne trop lourd.
L’enfant survit, mais pas Zuza, que l’on enterre anonymement au cimetière chrétien de St Andrew, à Jesmond. On raconte que de nombreux Africains mais aussi des Anglais se joignirent au cortège « barbare » de celle qui amenait un peu de chaleur dans les maisons du nord-est anglais.
Peut-être que Zuza figure parmi les milliers de visages figés sur la pellicule, des visages noirs sur blanc qui regardent passer actuellement les visiteurs de la glaçante exposition Zoos humains à l’AfricaMuseum de Tervuren. Si vous la voyez, dites-lui que sa mémoire, celle de sa tribu et des millions d’êtres humains rabaissés au rang de « sauvages » pour justifier la colonisation, cette mémoire hante aujourd’hui l’Occident.
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