Est-ce si important qu’un Président soit intelligent ?
La question peut paraître étrange, mais c’est celle que s’est posée Jeff Greenfield dans un article du site Politico. Selon lui, « être futé » ne fait pas nécessairement de vous un grand leader.
Durant l’été 1974, le magazine « New Times » a décidé de créer une liste recensant les dix représentants les plus « stupides » du Congrès américain. Tout en-haut de la liste trônait un certain William Scott, alors sénateur de Virginie. Il a gagné le premier prix en déclarant, lors d’un briefing concernant la question des silos à missile, « qu’il ne s’intéressait pas à l’agriculture et qu’il voulait s’occuper des affaires militaires ». M. Scott a bien compris que cette phrase gênante n’était pas un avantage pour sa carrière, et a organisé une conférence de presse pour nier l’avoir prononcée. Finalement, il a pris sa retraite politique après un seul mandat.
En septembre 1987, la campagne des primaires pour la présidentielle de 1988 du sénateur Joe Biden (plus tard vice-président des USA, sous l’ère Obama) s’est vu entacher par des accusations de plagiat d’un discours d’un leader travailliste anglais. Mis sous pression par un journaliste lors d’une réunion à Clermont, dans le New Hampshire, Biden avait déclaré : « Je pense que j’ai probablement un QI bien plus élevé que le vôtre. J’ai remporté le concours international de « tribunal-école ». J’étais un des meilleurs étudiants de la faculté de science politique à la fin de l’année. J’ai été diplômé avec 165 crédits alors qu’il ne m’en fallait que 123 pour réussir. Je me réjouis donc de m’asseoir avec vous pour comparer nos Q.I. »
Quelques jours plus tard, Joe Biden se retire de la course à la Maison-Blanche. Il s’est avéré que ce qu’il avait répondu au journaliste cette fois-là, sur ses années à l’Université, était tout simplement faux.
Qu’entend-on vraiment par « intelligent » ?
Peut-on conclure, à partir de ces deux exemples, qu’il est dangereux pour des politiciens d’être autant sur la défensive concernant leur « intelligence » ? Ces deux histoires suggèrent-elles que Donald Trump s’engage sur un terrain glissant quand il propose de comparer son QI avec celui de son Secrétaire d’Etat (Rex Tillerson), qui refuse toujours de dire si, oui ou non, il a bien traité le président de « moron » (débile) ?
Mais il y a une question bien plus utile à poser : est-il si important que le président soit quelqu’un d’intelligent ? Le QI d’un leader doit-il être nécessairement très élevé pour que le travail soit fait ? Dans son livre « Outliers », Malcolm Gladwell estime que ça n’a pas d’importance, mais jusqu’à un certain seuil. « La relation entre le succès et le QI n’existe que jusqu’à un certain point. Avoir plus de 120 points de QI ne semble pas se traduire en un avantage mesurable dans le monde réel ». Le point de vue contraire nous vient de l’ancien sénateur Gary Hart. « Pour être président, il faut un esprit vif, façonné par les études, les voyages et les expériences diverses, pour être doté d’une bonne capacité de jugement et de discernement, et pour savoir en qui on peut faire confiance, et surtout en ce qui concerne des sujets sensiblement complexes.
Mais il y a encore une question encore plus fondamentale à poser : qu’entend-on réellement par « intelligent » ? Par exemple, avoir des connaissances historiques au sens large semble indispensable et évident pour qu’un président puisse comprendre comment le monde fonctionne. Par exemple, John Kennedy connaissait bien les raisons pour lesquelles le monde était entré en guerre en 1914, ce qui lui a donné un avantage lors de la gestion de la crise des missiles avec Cuba en 1962, idem lors de son hésitation à envoyer des troupes sur le sol vietnamien. De son côté, le président Woodrow Wilson avait beau s’être distingué durant sa carrière en tant que brillant académicien, spécialisé dans l’étude du gouvernement américain, il n’a quand même pas réussi à convaincre le Sénat de ratifier le traité qui fonde la Société des Nations, en 1920 (le Sénat américain s’oppose à la ratification Traité de Versailles et par conséquent à l’adhésion à la SDN, dont Wilson était pourtant le promoteur principal). Autre exemple : Jimmy Carter était peut-être l’un des meilleurs spécialistes des affaires publiques, mais il avait du mal à saisir et maîtriser des aspects plus larges de son job, comme l’art de la persuasion, par exemple.
En 2006, le psychologue Dean Keith, actif à l’Université de Californie à Davis, a tenté d’attribuer un QI à chaque président en utilisant des principes académiques ou en se basant sur des écrits. Il en conclut que John Quincy Adams, Thomas Jefferson et John Kennedy furent les trois présidents les plus « intelligents » de l’histoire américaine, alors que James Monroe (5e président des USA), Ulysses S. Grant (18e) et Warren Harding (29e) sont quant à eux dans le bas de la liste. Mais par exemple, est-ce que Millard Filmore et Franklin Pierce (13e et 14e) étaient plus « intelligents » qu’Harry Truman ? Chester Arthur (21e) l’était-il plus que Theodore Roosevelt ?
Cette notion plurielle « d’intelligence » a été justement décrite dans une célèbre observation d’un juge de la Cour suprême américaine, Oliver Wendell Holmes, alors qu’on lui demande son opinion sur le président Franklin Roosevelt. Il répond que c’est un « intellectuel de second rang, mais c’est quelqu’un doté d’un tempérament et d’un caractère de premier rang ».
La capacité à comprendre à quoi ressemble réellement le monde, et comprendre comment un adversaire potentiel le voit, avoir la capacité de recul pendant les moments les plus compliqués, savoir quand faire la guerre, savoir quand être plus conciliant et quand savoir se retirer, démontrent autant les capacités et les facultés d’un président que n’importe quelle marque d’intelligence, comme le QI. Quand Ronald Reagan a dit que « la personne qui est d’accord avec vous à 80% est un ami ou un allié, et pas quelqu’un qui vous trahit à 20% », il faisait valoir une règle de base d’un leadership efficace.
Avoir un « tempérament et une stature » présidentiels nécessitent évidemment d’autres qualités. Dans son article, Jeff Greenfield a demandé à l’historien David McCullough quels traits de caractère étaient essentiels pour justement incarner un bon président, et il n’a pas mentionné l’intelligence en premier. Selon lui, un bon président doit avoir connu des « déchirures et des tragédies personnelles dans sa vie et doit surtout disposer d’un grand sens de l’humour ».
Quel est le sens du mot « idiot »?
Si on se réfère à l’étymologie du mot « idiot », il provient du grec ancien « idiotès », qui désignait à l’époque quelqu’un de « sot, sans éducation, et surtout (c’est ce qui nous intéresse ici), quelqu’un qui ne participe pas à la vie politique de sa république ».
Le journaliste explique dans son article que s’il s’avère qu’un président n’y connaît rien, disons, en histoire américaine, ou qu’il ignore totalement comment fonctionnent les institutions ou les relations internationales, ou qu’il traite tout selon ses propres humeurs et sa sensibilité, alors oui, il mérite le titre « d’idiot », ou quelqu’un « qui ne prend pas du tout part aux affaires publiques, ou qui les ignorent », comme décrit plus haut, et qui ne prend pas conscience de l’impact que cela peut avoir sur les autres, ou sur l’intérêt général.
Il y a plusieurs années, l’éducateur Walter Parker expliquait justement les origines du terme « idiot », dans un texte qui exigeait des gens une plus large « civic literacy » (éducation civique). « Quand quelqu’un commence à se comporter de manière « idiote » – qui ne se soucie aveuglément que de sa propre personne, et est indifférent aux « choses communes » – cette personne peut se marginaliser et être comparée à un bateau à la dérive, sans qu’elle prenne conscience du danger que cela pose pour les autres ».
Jeff Greenfield conclut, en référence au « moron » lancé contre Donald Trump : « On ne devrait donc pas traiter un président de « débile ». On devrait plutôt le qualifier « d’idiot ».
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