Espagne: pourquoi Pedro Sanchez dépend de Carles Puigdemont pour former un gouvernement
Le pouvoir qui serait donné au leader indépendantiste catalan est un repoussoir pour la formation d’un gouvernement.
Paradoxe espagnol: le maintien à la tête du gouvernement central du socialiste Pedro Sanchez dépend de partis séparatistes catalans qui ont pourtant enregistré un reflux lors des élections législatives du 23 juillet. Cette singularité découle de la vraie-fausse victoire du Parti populaire, de la vraie-fausse défaite du Parti socialiste ouvrier espagnol, du recul authentique de la formation d’extrême droite Vox et de l’ancrage des partis régionalistes.
Prenant le contre-pied de la politique de son prédécesseur de droite Mariano Rajoy, Pedro Sanchez, arrivé au pouvoir le 2 juin 2018, développe une stratégie d’ouverture à l’égard des indépendantistes catalans. Démarche volontariste et, aussi, opportuniste, puisque déjà son gouvernement bénéficie du soutien extérieur de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et de ses treize élus séparatistes. Ainsi, seront graciés neuf leaders indépendantistes condamnés en 2019 pour «sédition» après les affrontements consécutifs à l’organisation du référendum d’autodétermination, malgré sa suspension prononcée par le Tribunal constitutionnel espagnol ; sera approuvée la suppression dans le Code pénal du délit de «sédition» ; s’ouvriront des négociations politiques entre l’exécutif central et le gouvernement régional catalan, en vue de la résolution du conflit.
Il faut présenter aux soi-disant progressistes le dilemme suivant: la Catalogne ou Vox.
Socialistes en tête en Catalogne: que fera Pedro Sanchez ?
Cruauté du processus démocratique, cette politique a bien davantage profité à la branche catalane du PSOE, le Parti socialiste catalan (PSC), qu’à la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) qui en a été l’inspiratrice. Le 23 juillet, le PSC a envoyé à Madrid 19 députés, soit sept de plus qu’en 2019, tandis que ERC n’en a fait élire que sept, soit six de moins que quatre ans plus tôt. En vérité, les trois formations séparatistes ont subi des revers. L’autre parti de gauche, la Candidature d’unité populaire (CUP-PR), a perdu ses deux élus. Et Junts per Catalunya, de l’ancien député régional réfugié en Belgique Carles Puigdemont, en a récolté sept, un de moins qu’en 2019.
L’autre et dernière progression électorale est à mettre à l’actif du Parti populaire, de droite, qui a engrangé six parlementaires catalans, quatre de plus que dans l’assemblée sortante. La gauche radicale Sumar et l’extrême droite Vox conservent le même nombre de députés fédéraux, respectivement sept et deux.
Indépendantistes sous pression
De cette photographie de l’électorat catalan et du nouveau rapport de force établi entre les partis, il faut retenir, dans l’optique de la formation d’un éventuel nouveau gouvernement dirigé par Pedro Sanchez, un constat valable pour les deux formations séparatistes qui pourraient lui apporter un soutien extérieur. En délicatesse avec leur électorat, la Gauche républicaine de Catalogne et Junts per Catalunya sont dans une position qui les incite à monnayer plus chèrement encore qu’à l’ordinaire leur bienveillance.
Cette réalité place Pedro Sanchez devant un défi sans doute insurmontable. «Je suis à disposition pour faire ce que j’ai dit durant la campagne: fixer un prix. Il faut présenter aux soi-disant progressistes le dilemme suivant: la Catalogne ou Vox», a prévenu la tête de liste ERC aux législatives, Gabriel Rufian. Derrière la rhétorique matamoresque, le leader catalan, modéré et habitué au compromis, pourrait néanmoins se laisser convaincre en échange de l’une ou l’autre concession. D’autant que son diagnostic est boiteux. L’alternative d’une alliance de gouvernement entre le Parti populaire (136 députés, plus 47 par rapport à 2019), Vox (33 élus députés, moins 19), le Bloc nationaliste galicien (un élu) et la Coalition canarienne (un élu), parce qu’on ne voit pas quelle autre formation pourrait la soutenir, est encore moins plausible que celle portée par la gauche, la gauche radicale et des partis régionalistes qui comptabiliseraient ensemble 172 des 176 élus nécessaires pour atteindre la majorité (contre 171 au bloc de droite), hors l’éventuelle décision d’abstention de Junts per Catalunya.
Casse-tête de Pedro Sacnhez: vers un retour aux urnes?
Mais c’est là que le problème se corse pour Pedro Sanchez. Les revendications de Carles Puigdemont – l’organisation d’un nouveau référendum d’autodétermination et une amnistie générale pour les dirigeants catalans condamnés en 2019 pour «sédition» et malversation – sont, telles quelles, inacceptables pour un chef de gouvernement espagnol. C’est peu dire, du reste, que le leader catalan résidant à Waterloo, lui-même poursuivi sur la base des deux mêmes préventions, est peu populaire dans le reste de l’Espagne.
C’est notamment sur l’hostilité d’une partie de la population espagnole à l’égard des aspirations autonomistes de responsables régionaux que Vox a bâti son audience. Le recul qu’il a enregistré, le 23 juillet, résulte principalement de la progression du Parti populaire, qui n’est pas plus conciliant sur cette question. Il consacre potentiellement le plafond de verre auquel risque de se heurter dans le futur le parti d’extrême droite espagnol.
Un deuxième round électoral en 2023 donnera-t-il l’occasion de confirmer ou d’infirmer cette prévision? En regard de ce qui a été listé comme hypothèques sur la formation d’un nouveau gouvernement Sanchez encore plus dépendant des forces régionalistes, l’hypothèse d’un retour aux urnes pourrait, en définitive, mieux convenir au dirigeant socialiste, même s’il ne pourrait profiter, comme il l’a fait le 23 juillet, d’une campagne électorale raccourcie et percutante.
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