Les agriculteurs votent-ils de plus en plus pour la droite dure?
Vox en Espagne et le BBB aux Pays-Bas attirent le vote du monde paysan. Tendance de fond ou épisode conjoncturel?
Chargé de recherche au Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp) et spécialiste de l’extrême droite en Europe, Benjamin Biard décrypte les relations entre le milieu agricole et la droite radicale.
Pour le parti d’extrême droite espagnol Vox, les agriculteurs sont-ils devenus un électorat potentiel à choyer?
Vox a été crée en 2013. En quelques années, il a réussi à entrer dans des institutions législatives, puis exécutives, aux niveaux régional et local. Il ne se présente pas comme une formation d’extrême droite. Mais les éléments de son programme et de ses discours nous permettent de l’analyser comme telle. Pour plusieurs raisons, cette famille politique tente classiquement de convaincre notamment ce segment de la population, les agriculteurs, compte tenu des lignes de clivage autour desquelles elle se positionne traditionnellement. Je distingue en particulier deux lignes de clivage. La première, qui s’observe très peu dans une série de pays de l’Union européenne, en ce compris la Belgique, sépare l’urbain et le rural, à savoir la défense par l’Etat des intérêts tantôt du secteur primaire, agricole, tantôt du secteur secondaire, industriel. Des partis plutôt conservateurs essaient de politiser certaines questions, par exemple celle du «plan azote» qui a mis sous tension les gouvernements flamand et néerlandais ces derniers mois. La deuxième ligne de clivage, plus contemporaine et plus facilement observable, distingue l’ethnocentrisme du cosmopolitisme. Les partis d’extrême droite soutiennent davantage le premier pôle que le second. En Espagne, Vox défend également les agriculteurs en vertu des pressions qu’ils subissent du fait de politiques internationales, notamment la Politique agricole commune européenne (PAC).
Vox défend aussi les agriculteurs en vertu des pressions qu’ils subissent du fait de politiques internationales.
Ces lignes de clivage s’observent-elles dans beaucoup d’autres Etats européens?
Principalement la ligne de clivage ethnocentrisme-cosmopolitisme. Cela se traduit par la défense de celles et ceux qui sont désignés comme les victimes de la mondialisation, de l’européanisation, dont les politiques sont supposées décidées par des technocrates déconnectés de la réalité. Cela ne concerne pas que les agriculteurs.
Ce discours est-il favorisé aujourd’hui par les revendications écologistes, dont certaines crispent les agriculteurs?
Les partis d’extrême droite ont évolué sur les questions climatiques et environnementales. Alors qu’ils étaient assez climatosceptiques il y a quelques années, une série d’entre eux acceptent aujourd’hui l’idée selon laquelle le dérèglement climatique est bien réel et qu’il faut lui trouver une solution. Ce qui les distingue des autres formations politiques, c’est la perception des causes de ce changement climatique et le choix des solutions.
Aux Pays-Bas, le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB) a été fondé sur la base de la revendication des agriculteurs. Est-ce inédit en Europe?
Je ne suis pas sûr que l’on puisse classer le BBB comme étant à l’extrême droite de l’échiquier politique. En revanche, ce parti attire à lui des voix qui pourraient aller à l’extrême droite. Sur les questions migratoires et sécuritaires, il a un positionnement assez restrictif. Mais c’est en effet avant tout un parti qui s’est développé dans la défense des agriculteurs et de ce segment, au sens large, de la population, et sur la base aussi d’une remise en cause de l’élite au pouvoir. Ailleurs en Europe, des partis agrariens ont évolué vers l’extrême droite. Un des meilleurs exemples est l’Union démocratique du centre (UDC) en Suisse. Elle se développe au début des années 1970 au départ d’une réunion de formations agrariennes au niveau cantonal, notamment le Parti des paysans, artisans et indépendants. A son origine, elle est donc avant tout un parti agrarien. Son premier programme ignorait les thématiques sécuritaires et migratoires. Mais petit à petit, sous l’influence de son aile zurichoise et du leader Christoph Blocher, elle s’est radicalisée à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ce qui a débouché sur ce que certains ont qualifié de «nouvelle UDC», une formation clairement d’extrême droite. Il faut garder ces éléments en tête parce que cela peut laisser présager la nature de l’évolution du BBB.
Fonder un parti au départ du monde agricole, dont l’importance en Europe est plutôt décroissante, n’est-ce pas un pari voué à l’échec?
Cela peut paraître paradoxal. Mais les revendications portées par les défenseurs de ce segment de la population sont plus larges. On en revient au positionnement souverainiste des formations qui les défendent classiquement, et certainement dans les exemples de Vox et du BBB. C’est une manière aussi d’«instrumentaliser», même si cela ne veut pas dire qu’ils ne le pensent pas sincèrement, les combats particuliers des agriculteurs pour défendre un agenda plus large de nature souverainiste. Les résultats des scrutins qui ont eu lieu cette année aux Pays-Bas et ceux des études d’opinion en vue des législatives révèlent un soutien fort en faveur du BBB. Il est vrai aussi que l’éclatement du système partisan néerlandais permet plus aisément l’émergence de partis comme le BBB.
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