Espagne: le gouvernement va gracier mardi les indépendantistes catalans incarcérés
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a annoncé lundi à Barcelone que son gouvernement allait donner mardi son feu vert à la grâce controversée des neuf indépendantistes catalans condamnés à la prison pour la tentative de sécession de 2017.
« Demain, guidé par l’esprit de concorde de la Constitution, je proposerai au conseil des ministres d’accorder la grâce aux neuf condamnés » pour leur rôle dans cette tentative de sécession, a déclaré le dirigeant socialiste dans le prestigieux théâtre du Liceu.
Dans une mise en scène soigneusement orchestrée, M. Sanchez a affirmé que « le gouvernement espagnol avait opté pour la réconciliation » et « pensait que cette mesure de grâce allait ouvrir cette voie », alors que des personnes dans le public réclamaient en criant une « amnistie » totale.
Devant le théâtre, protégé par une forte présence policière, plusieurs centaines de militants séparatistes manifestaient comme Anna, avocate à la retraite de 73 ans qui n’a pas souhaité donner son nom de famille et jugeait que « la grâce est une arnaque ».
Alors que la grâce va exempter les condamnés du reste de leur peine et leur permettre de sortir de prison, l’amnistie, dont le gouvernement ne veut pas entendre parler, reviendrait à effacer totalement le délit.
La tentative de sécession de la riche région du nord-est de l’Espagne a constitué l’une des pires crises politiques qu’ait vécue l’Espagne depuis la fin de la dictature franquiste en 1975.
Malgré son interdiction par la justice, le gouvernement régional de l’indépendantiste Carles Puigdemont avait organisé un référendum d’autodétermination, émaillé de violences policières dont les images avaient fait le tour du monde.
Quelques semaines plus tard, le parlement catalan avait déclaré unilatéralement l’indépendance de la région, provoquant la réaction immédiate du gouvernement espagnol, alors aux mains des conservateurs, qui avait destitué le gouvernement régional et mis la région autonome sous tutelle.
Poursuivis par la justice, les dirigeants indépendantistes avaient quitté l’Espagne, comme Carles Puigdemont, ou s’étaient retrouvés derrière les barreaux.
La condamnation pour sédition de neuf d’entre eux en octobre 2019 à des peines allant de 9 à 13 ans de prison avait entraîné des manifestations massives en Catalogne dont certaines avaient dégénéré en guérilla urbaine, en particulier à Barcelone.
Rejetée par le Tribunal Suprême qui les avait condamnés, leur grâce n’est pas du goût de la majorité des Espagnols.
Selon un récent sondage de l’institut Ipsos, 53% d’entre eux y sont en effet opposés, alors qu’une large majorité (68%) y est favorable en Catalogne.
Vent debout, la droite a mobilisé le 13 juin plusieurs dizaines de milliers de personnes dans le centre de Madrid contre cette grâce, uniquement motivée, selon elle, par la volonté de Pedro Sanchez, dont le gouvernement minoritaire est soutenu par une partie des indépendantistes, de se maintenir au pouvoir.
M. Sanchez, qui a prévu de s’adresser à la Chambre des députés le 30 juin pour expliquer cette mesure controversée, a en revanche reçu la semaine dernière l’appui du patronat espagnol, pourtant opposé à l’indépendantisme, ainsi que de l’Eglise catalane.
Selon plusieurs analystes, Pedro Sanchez fait maintenant ce pari très risqué politiquement car les prochaines élections nationales, prévues au plus tard en janvier 2024, sont suffisamment éloignées.
« Avec le temps, la grâce apparaîtra anecdotique si l’économie va bien » grâce au méga-plan de relance européen, souligne Pablo Ferrándiz, sociologue à l’Université Carlos III de Madrid.
Reste désormais à voir si cette mesure – qui ne concernera pas Carles Puigdemont, toujours poursuivi par la justice espagnole – pourra permettre de faire avancer le dialogue en Catalogne, où le nouveau président régional indépendantiste, Pere Aragonés, est un modéré.
« La grâce est une pièce fondamentale. C’est la clé qui ouvre le cadenas » en Catalogne, juge Oriol Bartomeus, professeur de Sciences politiques à l’Université Autonome de Barcelone.
Mais le « chemin ne va pas être facile », selon lui, alors que les indépendantistes campent sur leur exigence d’un référendum d’autodétermination, une revendication que le gouvernement rejette catégoriquement.