Eradiquer de l’est du Congo le viol comme arme de guerre
Le colauréat du prix Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege, dans La Force des femmes, et Tatiana Mukanire Bandalire, femme violée qui fut une de ses patientes, dans Au-delà des larmes, posent les conditions d’une éradication du viol dans l’est du Congo meurtri.
L’est de la République démocratique du Congo (RDC) est devenu un des théâtres de conflit dans le monde où le viol a été érigé en arme de guerre. Grâce à l’action du docteur Denis Mukwege, colauréat du prix Nobel de la paix 2018, il abrite aussi l’hôpital de Panzi en pointe dans l’aide aux victimes de ces crimes. Dans son remarquable livre La Force des femmes (1), « l’homme qui répare les femmes » raconte le traumatisme de la violence dans cette région, l’urgence qui s’est imposée de créer une structure adaptée à ce fléau, les difficultés et les menaces qu’il a fallu surmonter pour y arriver, et l’extraordinaire courage des victimes pour simplement continuer à vivre. Le témoignage d’une des patientes de Denis Mukwege, Tatiana Mukanire Bandalire, livré dans Au-delà de nos larmes (2), illustre cette faculté de résilience.
Il fallait nous engager dans une bataille culturelle contre les préjugés, le sectarisme et l’exclusion.
Il en faut pour surmonter la violence et ses conséquences. Denis Mukwege constate que nombre des femmes violées qu’il a soignées « avaient la sensation d’être détachées de leur corps, comme si les agresseurs avaient tranché le lien vital entre leur perception d’elle-même et leur existence physique. » Le viol a aussi un impact social, qui peut inclure « une grave perte de confiance dans les autres êtres humains, comme s’il brisait la règle la plus fondamentale de notre existence, à savoir éviter d’infliger la violence gratuite à autrui » ou la marginalisation parce que les femmes violées sont répudiées ou contraintes au divorce par le mari.
« Il fallait nous engager dans une bataille culturelle contre les préjugés, le sectarisme et l’exclusion. Il fallait éduquer et encourager les changements sociaux pour que les survivantes de violences sexuelles sentent qu’elles avaient une chance, qu’avoir été violée ne constituait pas une condamnation à perpétuité », tire comme enseignement Denis Mukwege. Cette réflexion le conduit à promouvoir, au-delà de la réparation physique, une vision « holistique » de l’accueil à l’hôpital de Panzi, depuis l’aide au dépôt de plainte des victimes jusqu’à un accompagnement à leur réinsertion dans le tissu social.
Tatiana Mukanire Bandalire en est un éloquent exemple, elle qui est aujourd’hui coordinatrice nationale du Mouvement des survivantes de violences sexuelles en RDC. Violée en 2004 par un affidé d’une des nombreuses soldatesques qui ont ravagé l’est du Congo depuis un quart de siècle, elle crache à la face de son bourreau sa faculté à colorer son monde à elle de joie, de bonté, de justice et de paix, car elle n’a pas peur de revivre et de reconstruire sa vie. Mais si elle dit parler au nom de ses nombreuses coreligionnaires dont elle conte les indicibles souffrances subies, toutes n’ont pas eu la force de surmonter le traumatisme comme elle a pu le faire. Comment un pays peut-il accepter de voir trois générations de femmes se faire violer?
Ces deux ouvrages questionnent grandement la responsabilité de la culture machiste, dont l’Europe a aussi été le réceptacle, et l’indifférence incompréhensible que certains hommes continuent à réserver aux souffrances des femmes. Il n’y pourtant pas d’alternative en l’occurrence au raisonnement implacable de Denis Mukwege: « Je défends les femmes parce qu’elles sont mes égales – parce que les droits des femmes sont les droits humains et que je constate avec rage les violences qui leur sont infligées. Il faut se battre tous ensemble pour les femmes. »
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