Engouement autour du mariage princier au Royaume-Uni : et après ?
Que dit de la famille royale et de la société britannique le mariage du prince Harry avec l’actrice américaine métisse ? Une bouffée d’enthousiasme à l’impact incertain dans un contexte un peu délétère.
» Sois consciente des réalités du monde. Mais n’en ait pas peur « . La maxime que le biographe Andrew Morton (1) prête à Doria Ragland à l’attention de sa fille Meghan Markle, celle qui deviendra, ce samedi 19 mai, » Son Altesse Royale la princesse Henry de Galles » l’a amplement éprouvée depuis l’annonce de son idylle avec le prince Harry. Intégrer une institution comme la famille royale britannique, même quand on a été courtisée comme actrice de série télé à succès et saluée pour ses talents d’ambassadrice de l’ONU Femmes pour l’égalité des chances, est une gageure. D’autant que sa grande entrée dans le cénacle royal y opère une petite révolution : Meghan Markle, fille de Tom Markle, directeur de la photographie à Hollywood et de l’Afro-Américaine Doria Ragland, assistante sociale et professeure de yoga, est la première métisse membre de la famille royale britannique (et la seconde au sein d’une dynastie européenne, après la princesse Angela de Liechtenstein, originaire du Panama).
Pour Christian Cannuyer, professeur à la Faculté de théologie catholique de Lille, ce mariage a valeur de symbole » non seulement de modernisation de la monarchie mais aussi du souci qu’ont les Windsor de favoriser la coexistence harmonieuse entre les multiples composantes de la société britannique « . » Il est révélateur que les fiancés aient réservé l’une de leurs premières apparitions publiques, en janvier dernier, à Brixton, un quartier londonien connu pour sa diversité ethnique, où de graves affrontements intercommunautaires avaient eu lieu en 1981 et 2011 « . Pour Christian Cannuyer, » la famille royale réussit le pari de représenter à la fois la tradition, l’identité britannique, et de traduire dans la diversité de ses membres l’hétérogénéité croissante de la société « . Et l’expert de souligner que » le mariage princier coïncide avec le succès du film Confident royal, du réalisateur Stephen Frears, qui raconte l’amitié de la reine Victoria, dans les dernières années de son règne, avec son serviteur indien, Mohammed Abdul Karim : quelles que soient les libertés qu’a prises ce film avec la réalité historique, idéalisant peut-être un peu la reine, il ne fait pas de doute que celle-ci ne nourrissait aucun préjugé racial et se montrait en avance sur son temps « .
Une comparaison avec Barack Obama
La professeure de sociologie à l’UCL Marie Verhoeven tempère cette vision peut-être un peu idéalisée et l’impact qu’elle pourrait produire sur la société. » Certes, on pourrait imaginer qu’une telle union » mixte » envoie plutôt un message positif de reconnaissance symbolique aux minorités ethniques au Royaume-Uni. Un peu, toutes proportions gardées, comme lorsque Barack Obama a été élu à la Maison-Blanche. Mais si ce mariage a quelque chose de non conventionnel pour la famille royale britannique, Meghan Markle n’est évidemment pas issue des populations de l’immigration postcoloniale qui sont venues participer à la croissance industrielle du pays. Pas plus que l’ex-président américain n’était issu des minorités afro-américaines paupérisées et discriminées. Au-delà d’être métisse, Meghan Markle est avant tout nord-américaine et… actrice. Autrement dit, le fait qu’une personne métisse rejoigne la famille royale anglaise est certainement une » première « . Mais le simple fait que l’on s’en extasie ou que l’on en fasse un sujet d’article vendeur est révélateur de son caractère encore » détonnant » aujourd’hui « .
Marie Verhoeven juge que la société britannique reste profondément marquée par des inégalités sociales fortes et par les discriminations. L’explosion des plaintes pour racisme depuis l’annonce du Brexit montre à son estime un lien entre la haine raciale et les replis nationalistes ou la volonté de quitter l’Europe. » Plus fondamentalement, observe la professeure de l’UCL, les sociologues britanniques n’ont de cesse de dénoncer le racisme » institutionnel » de la société, c’est-à-dire l’échec systématique d’une organisation sociale entière à traiter de manière égalitaire certains groupes en raison de leur appartenance culturelle, ethnique ou raciale. Si on veut véritablement s’attaquer à ce problème, il faut agir de manière beaucoup plus fondamentale sur les préjugés raciaux mais aussi, et peut-être surtout, sur la manière dont les institutions fonctionnent « .
Le poids de l’Empire britannique
» La question de l’intégration des immigrés est peut-être vécue de manière plus complexe en Grande-Bretagne que dans n’importe quel pays d’Europe occidentale, reconnaît Christian Cannuyer. Notamment en raison de ce que fut l’empire britannique et de ce qu’est le Commonwealth « . La démission récente de la ministre britannique de l’Intérieur, Amber Rudd, pour avoir nié les manipulations des chiffres auxquelles s’était prêté son département dans le dossier de migrants caribéens arrivés après la Seconde Guerre mondiale pour la reconstruction du pays et menacés d’expulsion des décennies plus tard malgré leurs états de service, illustre l’ambiguïté persistante des relations des institutions avec les minorités ethniques. Mais le professeur de l’université de Lille perçoit » un message clair » dans la nomination du successeur de la ministre. » C’est un immigré musulman, Sajid Javid, fils d’un Pakistanais arrivé en Grande-Bretagne en 1961 avec une livre sterling en poche, qui a depuis été nommé par la Première ministre Theresa May au Home Office… »
Pour Marie Verhoeven, en revanche, » les « minorités visibles » restent, le plus souvent, considérées comme des outsiders, comme des « nouveaux arrivants » alors même qu’ils sont installés depuis plusieurs générations et ont largement contribué à l’effort national, aux côtés des couches ouvrières anglaises. Sur cette toile de fond, l’effort de » mémoire » auquel on assiste aujourd’hui un peu partout en Europe, sous la pression, le plus souvent, d’associations migrantes ou portées par des personnes issues des minorités noires » racisées » et discriminées, n’est pas inutile, dans le sens où cela permettrait au minimum d’intégrer l’histoire coloniale et postcoloniale au récit de la nation « .
La descendante d’esclave qu’est Meghan Markle serait sans doute sensible à ce type de discours. Mais pas sûr que le rôle que l’institution royale britannique lui assignera lui permettra de s’exprimer sur ce genre de sujets potentiellement polémiques.
(1) Dans Meghan, de Hollywood à Buckingham avec le prince Harry, éd. Hugo Doc, 326 p.
Meghan Markle s’est convertie à l’anglicanisme. Elle a été baptisée par l’archevêque de Canterbury le 8 mars dans la chapelle royale du palais Saint-James de Londres. Mais aucun prescrit ne l’y obligeait. » Rien n’empêchait un mariage interconfessionnel entre Harry et Meghan, souligne ainsi Christian Cannuyer, professeur à la Faculté de théologie catholique de Lille. Les seules dispositions restrictives en matière de confession auxquelles étaient soumis les mariages des membres de la famille royale ne concernaient que les catholiques. Mais elles ont été totalement abolies en 2013. Meghan était épiscopalienne par son père et protestante par sa mère. Son premier mariage a été célébré selon le rite juif. Elle n’était absolument pas obligée de » passer » à l’anglicanisme. Mais on dit qu’elle a voulu le faire par respect pour sa future belle-mère, la reine Elisabeth, qui est aussi gouverneur suprême de l’Eglise d’Angleterre « .
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