Prayut Chan-O-Cha © Belga

En Thaïlande, le chef de la junte tisse sa toile dans les régions

Le Vif

Des postes ministériels pour une puissante famille de province, des parties de golf avec une autre puis un meeting lundi dans le fief d’un magnat du sport: à l’approche des élections, le chef de la junte thaïlandaise tisse sa toile, y compris dans la région pro-opposition de l’Issan.

Spécialiste des déclarations à l’emporte-pièce, des gaffes et colères froides, le général Prayut Chan-O-Cha a toujours refusé l’étiquette de politicien.

Mais après quatre ans au pouvoir grâce à un coup d’Etat, le pugnace général de 64 ans semble en pleine mutation à quelques mois d’élections générales, promises pour début 2019.

« Je ne suis pas venu pour vous demander de m’aimer », a lancé Prayut aux centaines de personnes venues l’écouter dans le stade de Buriram, dans le nord-est du pays, fief des Chemises rouges, favorables au dernier gouvernement civil renversé.

« Cela me va si vous ne m’aimez pas, mais simplement ne me haïssez pas », a-t-il ajouté.

Le général n’a pas encore annoncé officiellement son entrée effective en politique à l’approche des élections mais pour les analystes il y a peu de doutes sur ses intentions.

« Prayut est devenu l’hypocrite par excellence », estime Paul Chambers, spécialiste américain de la Thaïlande basé dans le nord du royaume.

Après des années à dénigrer les politiciens, « aujourd’hui Prayut et la junte se servent de beaucoup de ces mêmes politiciens corrompus pour construire un parti politique », décrypte-t-il.

Car pour renverser le parti de ses plus grands ennemis – les anciens Premiers ministres Yingluck et Thaksin Shinawatra, Prayut a besoin de la loyauté des politiciens de province et de leurs partis de taille moyenne.

Les Shinawatra ont remporté tous les scrutins depuis 2001. Et même s’ils sont tous les deux en exil, ils restent une menace compte tenu de l’importance de leur parti, le Puea Thai, et du mouvement populaire les soutenant, les Chemises rouges.

Distribution de postes

La vie politique reste pour l’instant toujours interdite en Thaïlande, empêchant les partis de faire campagne et laissant les coudées franches à Prayut.

Mais à Buriram, dans un stade pouvant accueillir plus de 30.000 personnes, seules quelques centaines sont venues l’écouter.

Ce déplacement est surtout le signe de liens qui se resserrent entre Prayut et Newin Chidchob. Ce politicien, très changeant, devenu magnat du sport, a la réputation d’être un « faiseur de roi ».

Dans d’autres provinces, Prayut a déjà commencé à tisser sa toile en distribuant des postes importants aux grandes familles du pays.

Deux enfants de la famille Kunplome ont ainsi rejoint en avril des cabinets ministériels.

Ce puissant clan, originaire de la région de Chonburi, est dirigé par leur père Somchai, qui a obtenu du gouvernement en décembre dernier une sortie anticipée de prison où il purgeait une peine pour avoir commandité le meurtre d’un politicien local.

Prayut a nié à plusieurs reprises qu’un accord ait été passé.

Autre famille influente qui intéresse Prayut: les frères Sasomsap liés au Puea Thai dans la ville de Nakhon Pathom, avec lesquels il a joué au golf récemment.

Il y a quelques années seulement, ils étaient dans le collimateur de la junte, qui avait promis de lutter contre la corruption. D’après les médias locaux, la police avait découvert des armes à feu dans au moins deux de leurs maisons.

« La mafia politique est un terme plus approprié pour ce type de personnes », estime Titipol Phakdeewanich, professeur spécialiste de la politique thaïlandaise.

« Prayut connaît le fonctionnement de la politique. Si vous voulez remporter une élection en tant que nouveau venu, vous devez collaborer avec les pouvoirs existants dans les provinces », ajoute-t-il.

Et le général ratisse large: selon Abhisit Vejjajiva, chef du parti démocrate, Prayut a également approché un certain nombre de ses députés.

« Ils ont évoqué des positions au sein du gouvernement et sur leurs rôles possibles après les élections », a-t-il déclaré à l’AFP.

Pour Chaturon Chaisang, vétéran du Puea Thai et ancien ministre du dernier gouvernement civil renversé, « ce parti politique n’a aucune idéologie », seulement l’envie de se maintenir au pouvoir.

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