En images: Les villages disparus de Verdun
Par Isabelle Masson Loodts / Collectif HUMA
Ces villages des Hauts de Meuse se sont retrouvés en première ligne dès 1914. Mais c’est après le déclenchement de la Bataille de Verdun, en février 1916, qu’ils ont dû être évacués.
Selon le spécialiste de géographie historique Jean-Paul Amat, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne, » du 21 février au 23 juillet, pendant 5 mois, sur les quelques 175 km2 où piétina la bataille, les belligérants firent pleuvoir environ 40 millions d’obus à balle ou explosifs de tout calibre, soit un obus pour moins de 5 mètres carrés. «
Dès cette période, le paysage du champ de bataille est devenu lunaire. Anéantis par la guerre, nombre de villages du verdunois ne virent jamais revenir leurs habitants après l’Armistice. Neuf d’entre eux sont intégrés dans la Zone rouge, 120.000 hectares de terres devenus impropres à la culture que l’Etat français décide de racheter à leurs propriétaires en 1919, estimant que le coût de la remise en état de ces terrains bouleversés et pollués par les munitions (dont un bon nombre, non explosées), serait supérieur à leur valeur. De ces villages jamais reconstruits, il ne reste aujourd’hui que des ruines, désormais entourées de forêts.
Six communes inhabitées ayant été déclarées » mortes pour la France « ont tout de même un maire et un conseil municipal : Beaumont-en-Verdunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme, Fleury-devant-Douaumont, Haumont-près-Samogneux, Louvemont-Côte-du-Poivre. Ces maires, non-élus mais nommés par le préfet de la Meuse, ont pour fonction principale de veiller à l’entretien de leur village fantôme, devenu des lieux de pèlerinage et de recueillement. Ils s’occupent aussi de l’organisation des cérémonies de commémorations, et accueillent régulièrement les descendants des combattants tombés sur place.
À deux kilomètres d’Haumont-près-Samogneux, une plaque émaillée d’un autre temps indique le village anéanti par la Grande Guerre.
Comme d’autres villages détruits, Haumont n’a jamais pu être reconstruit. Les sources y étaient, après guerre, contaminées par les nombreux cadavres d’hommes et de chevaux enfouis dans le sol. Aujourd’hui, les sols bouleversés restent gravement pollués par la présence d’importantes quantités de munitions non explosées, parmi lesquels des obus à gaz qui restent dangereux.
Ernest Sautin et sa femme apparaissent dans ce décor meurtri comme de simples fantômes. Cordonnier du village, on le payait en fin d’année, à la Saint-Crépin. Son épouse dite « La Norine » avait des talents de guérisseuse. Elle soignait les gens et les animaux en l’absence du médecin. Après la guerre, Ernest a été élu maire et c’est à lui que l’on doit l’érection du monument aux Morts en 1928 et à la construction de la chapelle inaugurée en 1932
Une plaque témoigne du nom de la famille la plus anciennement connue dans le village : Les Gonord. Ceux-ci étaient déjà dans les registres paroissiaux de 1668. Cette plaque est également illustrée par le portrait de Julien Gonord, mort au champ d’honneur
Comptant 300 habitants en 1850, la population du village est passée à 131 en 1913. Celle-ci a été évacuée peu après le début de la guerre, du fait de sa situation : très au Nord, Haumont s’est retrouvé trop proche du Front alors que celui-ci s’est stabilisé à quelques kilomètres à peine du lieu, suite au succès de la Bataille de la Marne.
Le 22 février 1916, malgré la forte résistance des Français en infériorité numérique, le village s’effondre littéralement par un violent bombardement qui ensevelit 80 soldats sous ses pierres et gravats.
Le 15 mars 1921, le village d’Haumont-près-Samogneux est cité à l’ordre de l’armée : la Nation lui témoigne ainsi de sa reconnaissance pour le « sacrifice suprême » de la commune. Un monument aux morts est inauguré le 28 août 1928, tandis que la chapelle-abri Saint-Nicolas, construite en 1932, puis meublée et décorée en 1933 : ces monuments témoignent de la volonté des anciens habitants, les « Sachots », de faire du village disparu un lieu de mémoire.
Les ruines du village ont été reprises le 8 octobre 1918, par le 67e régiment d’infanterie et les 66e et 68e bataillons de tirailleurs sénégalais, soit un peu plus d’un mois avant la fin des hostilités.
Posées parmi les vestiges, des photographies de soldats témoignent du passé : ces images semblent surgir du paysage comme des fantômes qui hantent les lieux.
Chaque année, le 3° dimanche de septembre, une messe est célébrée dans la chapelle. L’office est suivi d’une cérémonie au monument aux morts, en souvenir des habitants qui ont vécu en ces lieux ainsi que des soldats « tombés au Champ d’Honneur » et ensevelis dans les ruines du village.
Vestiges du village de Haumont situés en face de la chapelle Saint-Nicolas, construite en 1932.
Posées parmi les vestiges, des photographies des habitants d’Haumont témoignent du passé : ces images semblent surgir du paysage comme des fantômes qui hantent les lieux.
Posées parmi les vestiges, des photographies de soldats témoignent du passé : ces images semblent surgir du paysage comme des fantômes qui hantent les lieux.
Une stèle marque l’emplacement du village d’ Ornes, détruit en 1916. En 1913, ce dernier comptait 718 habitants, une usine de tissage de lin, deux moulins à farine, une filature de coton, deux marchands de vin, 3 distillateurs.
Aujourd’hui, seuls quelques émouvants vestiges de l’église d’Ornes se dressent encore hors du sol pour témoigner du passé des lieux.
Le 25 août 1914, la population est priée d’évacuer le village. Mais malgré les bombardements, tous les habitants ne partent pas. En septembre 1914, deux enfants ont été tués par des éclats d’obus. En octobre 1914, une partie des habitants sur le départ ont été capturés par les Allemands et en sont restés prisonniers.
Ce village a été rasé jusqu’aux fondations par les pilonnages d’obus . Selon le biogéographe Jean-Paul Amat, auteur du livre « Les forêts de la Grande Guerre » (Ed. PUPS, 2015), près de 200.000 obus à gaz ont été échangés sur quelques kilomètres carrés dans le secteur de Froideterre-Souville-Fleury-Thiaumont, rien qu’entre le 21 et le 23 juin 1916. Sur les quelque 175 km2 où la bataille s’est enlisée du 21 février au 23 juillet, les belligérants ont fait pleuvoir environ 40 millions d’obus à balle ou explosifs de tout calibre, soit une moyenne de 2250 obus par hectare, un obus pour moins de 5 mètres carrés.
De février à décembre 1916, Verdun fut l’une des batailles les plus meurtrières de l’histoire : durant ces dix mois, les quelque 60 millions d’obus projetés sur le champ de bataille ont tué une centaine d’hommes par heure, chaque jour, pendant dix mois, faisant au total plus de 700.000 victimes.
Posée en plein milieu de la forêt, une plaque indique l’emplacement de la Grande Rue de Bezonvaux.
Ces terres, considérées comme polluées et dangereuses pour des centaines d’années, font partie des parcelles classées en zone rouge et rachetées par l’Etat français. Après guerre, celui-ci décida d’en boiser une grande partie et confia 15 500 hectares à la direction des eaux et forêts (actuel Office National des Forêts).
Un caisson d’artillerie gît encore dans la forêt, à Bezonvaux.
Bezonvaux, qui comptait 150 habitants en 1913, a été pris et reprit seize fois en deux mois par les troupes allemandes et françaises.
Une stèle annonce l’emplacement de la maison du Curé. Ce village sera rasé jusqu’aux fondations par les pilonnages d’obus .
L’ancienne fontaine du village témoigne du passé du village de Bezonvaux.
Ces terres, considérées comme polluées et dangereuses pour des centaines d’années, font partie des parcelles classées en zone rouge et rachetées par l’État français. Après guerre, celui-ci décida d’en boiser une grande partie et confia 15 500 hectares à la direction des eaux et forêts (actuel Office National des Forêts).
Cette fontaine est un des rares monuments subsistant à l’emplacement du village détruit de Beaumont-en-Verdunois.
Une pancarte perdue au milieu d’un paysage meurtri par les obus indique le nom du village de Beaumont-en-Verdunois. Ce village situé sur le secteur de Verdun a été perdu par les troupes françaises le 24 février 1916 puis repris en octobre 1918. Il a été complètement rasé par l’acharnement des pilonnages français et allemands.
Déclaré « village mort pour la France » à la fin de la guerre, Beaumont-en-Verdunois, un des neuf villages détruits durant la Première Guerre mondiale, ne fut jamais reconstruit. La petite chapelle Saint-Maurice, dressée au coeur de la commune, à côté du monument aux morts a été construite en 1933. À la fin des hostilités, le village est classé « zone rouge » en raison de ses sols pollués par les munitions tombées pendant la Grande Guerre. Beaumont-en-Verdunois et cinq autres communes de la Meuse n’ont jamais été reconstruites.
La zone rouge est le nom donné en France à environ 120.000 hectares de terres tellement bouleversées et polluées par les combats de la Grande Guerre que l’on craignait de ne pouvoir les restaurer. L’Etat français rachetait les parcelles dont le coût de restauration était estimé supérieur à la valeur des terres en 1914.
En septembre 1914, le village de Beaumont a été évacué et sa population s’est réfugiée dans le midi de la France. De la mi-août à la mi-octobre, Beaumont s’est trouvé entre les deux lignes, au coeur d’un no man’s land profond de 6 à 7 kilomètres allant de Louvemont à la région boisée située au nord du village.
Aujourd’hui, dans ce village réduit à néant, les emplacements des maisons et des lieux publics sont symbolisés par des stèles qui rappellent les métiers. Ici, une borne en pierre indique l’emplacement de l’école.
Une pancarte perdue au milieu d’un paysage meurtri par les pilonnages d’obus indique le nom du village de Beaumont-en-Verdunois.
Aujourd’hui, dans ce village réduit à néant, les emplacements des maisons et des lieux publics sont symbolisés par des stèles qui rappellent les métiers et les activités des anciennes communautés villageoises.
Au sommet du village le cimetière communal est un des rares vestiges datant d’avant la guerre : ses tombes semblent veiller sur la commune.
En 1932, il fut décidé que chaque année, le 4e dimanche de septembre, jour de la fête patronale (la Saint Maurice), « les anciens habitants et leur famille se réuniraient en ces lieux pour honorer leurs morts et respirer l’air du pays natal ». La tradition se perpétue.
Beaumont-en-Verdunois ne possède aujourd’hui aucun habitant, mais conserve depuis 1920 une existence administrative, en souvenir des événements qui s’y sont déroulés. Le village est géré par un conseil de trois personnes désignées par le préfet de la Meuse.
Une stèle indique l’emplacement du village de Fleury-devant-Douaumont anéanti en 1916. Les matériaux qui constituent le socle du monument proviennent des reliques du village disparu. À quelques centaines de mètres se profile le nouveau Mémorial de Verdun
Fleury-devant-Douamont est sans doute l’un des sites du champ de bataille de Verdun les plus visités chaque année. Les aménagements réalisés en vue du centenaire ont malheureusement défiguré les vestiges de guerre, leur donnant un aspect apprêté et moins authentique.
En 1914, le village de Fleury devant Douaumont comptait 422 habitants. Ceux-ci ont vu défiler les régiments qui partaient en couverture dans la plaine de Woëvre.
Après la chute du Fort de Vaux en juin 1916, les Allemands s’emparent de Fleury. Le village a changé seize fois de camp. Deux mois de combat ont suffi à raser le village définitivement.
Cette oeuvre récente représentant un soldat français a été taillée dans le tronc d’un arbre mort émergeant du sol.
Aujourd’hui, dans ce village réduit à néant, les emplacements des maisons et des lieux publics sont symbolisés par des stèles qui rappellent les métiers et les activités des anciennes communautés villageoises.
Les emplacements des maisons et des lieux publics sont symbolisés par des stèles qui rappellent les métiers et les activités des anciennes communautés villageoises.
La Chapelle « Notre-Dame de l’Europe » fut construite après la guerre sur l’emplacement de l’ancienne église du village.
Du village détruit de Fleury-devant-Douaumont, il ne reste rien : les emplacements des maisons et des lieux publics sont symbolisés par des stèles qui rappellent les métiers et les activités des anciennes communautés villageoises.
Pendant la Première Guerre mondiale, Cumières a perdu la totalité de ses habitants. Après 1918, le village a été intégré à la « Zone rouge » avec l’ensemble de la colline du Mort-Homme. Comme huit autres villages de Meuse, il a reçu le statut particulier de « village détruit ».
Derrière le monument du village de Cumières, déclaré « Mort pour la France », se trouve une petite chapelle Saint Rémi. Érigée en 1933, celle-ci marque l’emplacement de l’église avant la Grande Guerre.
Il ne reste rien de Cumières-le-Mort-Homme. Ce village a été enlevé par l’assaut allemand du 24 mai 2016 malgré la défense du 5° bataillon du 254° régiment d’infanterie. Les ruines ont été reconquises le 20 août 1917 par le régiment de marche de la Légion étrangère.
En 1913, Cumières-le-Mort-Homme comptait 205 habitants. Ce chiffre a été réduit à 38 en 1921, puis 19 en 1990. Depuis 2006, plus aucun habitant n’habite ce village.
Le village de Cumières a été enlevé par l’assaut allemand du 24 mai 2016 malgré la défense du 5° bataillon du 254° régiment d’infanterie. Les ruines ont été reconquises le 20 août 1917 par le régiment de marche de la Légion étrangère.
En 1928, l’Etat a exproprié la majeure partie de la zone rouge meusienne pour y planter de nouvelles forêts domaniales, dont celles du Mort-Homme et de Verdun. Ces plantations, alors essentiellement constituées de pin noir, sont depuis lors progressivement remplacées par des feuillus. Les nouvelles affectations sylvicoles du terrain ont profondément modifié le paysage. Avant-guerre, seuls 30% environ du territoire désormais couvert par la forêt domaniale de Verdun étaient couverts de bois : le reste était constitué de terroirs agricoles entourant les villages disparus.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici