Marylise Léon, 46 ans, devrait être désignée nouvelle secrétaire générale de la CFDT le 21 juin. © belgaimage

En France, les syndicats évoluent : plus féminins et plus « classes moyennes »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Marylise Léon et Sophie Binet prennent la tête des deux plus puissants syndicats. Un changement de style pour un 1er mai de contestation virulente contre le président Macron.

Cette année, la fête du travail, le 1er mai, aura un relief particulier en France. Pour trois raisons au moins. Les organisations syndicales, qui ont mobilisé le ban et l’arrière-ban de leurs troupes, promettent d’en faire un nouveau moment fort de leur opposition, un peu désespérée, à la réforme des retraites, pourtant promulguée, dans le secret espoir d’obliger le président à renoncer à l’appliquer. Elles présenteront aussi un front complètement uni – ce n’est pas si fréquent – derrière cette revendication et leur hostilité redoublée à l’encontre d’Emmanuel Macron trop pressé de vouloir tourner la page. Et, last but not least, elles afficheront deux figures féminines comme représentantes de leurs deux plus puissantes composantes: Marylise Léon, 46 ans, pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et Sophie Binet, 41 ans, au nom de la Confédération générale du travail (CGT). Que dit de la société française de cette percée féminine dans la direction syndicale?

La nomination de Marylise Léon et de Sophie Binet est aussi un signe de la professionnalisation du syndicalisme.

Quelques rares figures féminines ont trouvé leur place dans la lutte en faveur des travailleuses et des travailleurs en France. Il y a plus de cent ans, Marie Guillot, féministe et institutrice, fut, en 1921, secrétaire nationale de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), la troisième dirigeante en importance de l’organisation dissoute quinze ans plus tard. Une pionnière, donc. «La période qui suivit la Seconde Guerre mondiale fut marquée par un reflux de la présence féminine dans le syndicalisme, jusqu’aux années 1970. On était passé à un modèle avec un fort prolétariat masculin. La hausse de son niveau de vie entraînait que beaucoup de femmes restaient au foyer», souligne Laurent Frajerman, sociologue et chercheur associé au Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis) à Paris.

Il fallut attendre 1984 pour voir une autre femme, Monique Vuaillat, occuper un poste à responsabilités: elle fut élue secrétaire générale du Syndicat national des enseignements de second degré, un syndicat puissant qui comptait quelque nonante mille membres, mais pas une confédération. Huit ans plus tard, Nicole Notat brisait le «plafond de verre» en devenant la première femme à diriger une confédération syndicale, la CFDT, et ce, jusqu’en 2002. Elle est restée dans l’histoire du syndicalisme français comme sa principale incarnation féminine. «Nicole Notat a accentué le “recentrage” de la CFDT, alors seconde confédération française et aujourd’hui première, c’est-à-dire l’évolution vers le syndicalisme réformiste renonçant aux luttes. Souvent présentée comme une femme à poigne, elle était surnommée la tsarine», relève Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’université Bourgogne Franche-Comté et auteur de Anatomie du syndicalisme (Presses universitaires de Grenoble, 2021).

Sophie Binet, 41 ans, nouvelle secrétaire générale de la CGT, a déjà provoqué un «effet» sur la communication du syndicat.
Sophie Binet, 41 ans, nouvelle secrétaire générale de la CGT, a déjà provoqué un «effet» sur la communication du syndicat. © belgaimage

La direction de la CFDT et de la CGT par deux femmes est donc inédite. Sophie Binet a été propulsée à la tête de la seconde le 31 mars, en remplacement de Philippe Martinez au terme d’une élection où trois femmes s’affrontaient. Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT, devrait être élue secrétaire générale le 21 juin. L’actuel détenteur du poste, Laurent Berger, à la pointe de la contestation de la réforme des retraites, a proposé son nom pour lui succéder.

Un «effet Sophie Binet»

A travers ses premières déclarations fustigeant le manque d’empathie du président Macron, Sophie Binet a paru renouveler le discours syndical. Est-ce vraiment le cas? «Clairement, elle est meilleure communicante que son prédécesseur Philippe Martinez, concède Laurent Frajerman. Il y a d’ores et déjà un “effet Sophie Binet”. En plus, c’est toute une équipe qui a été élue au congrès du 31 mars. Y figurent des personnalités qui représentent plus le prolétariat qu’elle. La CGT a donc plusieurs cartes à jouer. Aujourd’hui, les cadres sont plus syndiqués que les ouvriers. Sophie Binet est représentative de cette réalité du syndicalisme.» «Elle est relativement jeune mais elle est permanente de la CGT depuis 2013 et a déjà siégé à son Bureau confédéral, son gouvernement, de 2013 à 2015. L’époque avait déjà révélé son aisance à l’oral, complète Dominique Andolfatto. Mais je ne suis pas sûr qu’elle renouvelle le fond du discours de la CGT. Car elle entend coller avec une certaine culture de rupture de la CGT et avec une sorte de discours néomarxiste. Par contre, elle renouvellera l’image de l’organisation parce que celle-ci demeure plutôt à dominante masculine et qu’elle-même est issue de l’encadrement de l’Education nationale alors que la CGT reste plutôt une organisation d’ouvriers et de techniciens.»

Pour Marylise Léon, la tâche s’annonce à la fois plus facile pour l’adaptation et moins évidente pour l’impulsion d’un nouvel élan. «A la CFDT, on est plus dans la continuité. L’organisation est assez centralisée, ce qui devrait permettre à la nouvelle secrétaire générale de s’adapter plus facilement. De ce point de vue, le travail est moindre, souligne Laurent Frajerman. Et en matière de communication, Laurent Berger était excellent.» Sa successeure devrait donc rencontrer plus de difficultés à imprimer sa marque.

Issues des classes moyennes

Le sociologue au Centre de recherche sur les liens sociaux juge que la dimension féminine n’est pas la seule qu’il faut prendre en compte dans ces nominations pour analyser l’évolution des organisations syndicales. «C’est la première fois que la CGT élit à sa tête une femme fonctionnaire issue de l’Education nationale. Titulaire d’une licence en philosophie, elle fut conseillère principale d’éducation, pas enseignante. Marylise Léon, elle, a obtenu un DESS (NDLR: diplôme d’études supérieures spécialisées) en biologie. On a donc deux profils qui viennent des classes moyennes alors que Philippe Martinez et Laurent Berger étaient issus de familles ouvrières.»

L’émergence des deux dirigeantes syndicales n’est somme toute que le reflet de l’évolution du marché de l’emploi. «La France a connu une désindustrialisation. Aujourd’hui, il y a 2,5 fois plus de chances d’être syndiqué si on travaille dans les banques et les assurances que si on travaille dans l’industrie. Ces métiers sont plus féminisés. Logiquement, les organisations syndicales se féminisent. Cela se reflète à tous les niveaux. La tendance est profonde», décrypte Laurent Frajerman.

Pour Dominique Andolfatto, la nomination de Marylise Léon et de Sophie Binet est aussi une signe de la professionnalisation du syndicalisme. «Toutes les deux ont un long passé de permanente syndicale. Depuis quinze ans pour la première. Depuis dix ans pour la seconde. Ce sont donc deux syndicalistes professionnelles. Toutes deux ont également commencé par militer à la Jeunesse ouvrière catholique (JOC). Toutes deux sont issues de l’Ouest de la France. Leur désignation traduit non seulement le renforcement de la place des femmes sur le marché du travail mais, plus fondamentalement aussi, l’idée que les femmes doivent enfin accéder à la direction d’organisations syndicales, l’idée d’une parité au plus haut niveau qui doit se concrétiser». Le combat continue.

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