En extrême difficulté, ces jeunes sont envoyés à l’étranger comme thérapie
Chaque année, des dizaines d’enfants et d’adolescents « difficiles » sont envoyés à l’étranger par les services allemands de protection de l’enfance. Pour ces jeunes en extrême difficulté, voire tombés dans la criminalité, c’est souvent l’opération de la dernière chance.
De notre correspondante en Allemagne
De petites maisons blanches couvertes de tuiles rouges, perchées sur des collines perdues dans la campagne au centre du Portugal, quelques oliviers, des pieds d’ aloe vera clairsemés, de nombreux chats, quelques chevaux… Quinta do Cerro, un hameau éducatif et social géré par l’association Progresso, est devenu le refuge de Nini, Aly et Aleyna, toutes trois âgées de 15 ans. Les adolescentes passeront deux à trois ans de leur vie ici, loin de leur famille et de leur vie d’avant, en Allemagne. Comme Nini, Aly et Aleyna, quelques dizaines de jeunes sans perspectives, souvent déscolarisés et parfois tombés dans la criminalité sont envoyés chaque année à l’étranger par les services allemands de protection de l’enfance. Pour ces jeunes au parcours cabossé, c’est souvent l’opération de la dernière chance. Sur place, ils sont pris en charge par des équipes de pédagogues, des travailleurs sociaux, des psychologues allemands et locaux, dans un cadre très structuré. Leur vie est rythmée par l’école en ligne, les tâches ménagères, les soins aux animaux et quelques loisirs très encadrés. A mesure des progrès constatés, l’éventail de libertés s’élargit: accès à un MP3 pour écouter de la musique, participation aux sorties en bord de mer…
Nous pouvons être amenés à considérer que ces jeunes auront besoin d’un encadrement apaisé, très loin de leurs pairs et de leur famille.
« Ces mesures à l’étranger concernent des jeunes de plus de 14 ans présentant de lourds troubles du comportement et qu’aucune mesure d’aide pédagogique tentée en Allemagne n’a jusqu’alors réussi à atteindre, précise le porte-parole des services sociaux de Munich, Frank Boos. Dans ce cas, nous pouvons être amenés à considérer que ces jeunes auront besoin d’un encadrement apaisé, très loin de leurs pairs et de leur famille. L’expérience prouve que, souvent, à l’étranger, des impulsions positives peuvent être amorcées, qu’il faudra ensuite consolider en Allemagne dans une phase de réintégration. » Actuellement, trois jeunes de Munich sont ainsi pris en charge en Italie et dans un pays scandinave.
Les « mesures à l’étranger », comme sont pudiquement appelés ces séjours dans le jargon administratif allemand, ne sont adoptées que lorsque tous les programmes équivalents existant en Allemagne ont échoué. « A Quinta do Cerro, l’univers des jeunes est dominé par la présence de la nature, souligne Doris Spindler, de l’association Trotzdem e.V, qui organise depuis Düsseldorf le contact entre les administrations allemandes et Progresso au Portugal. A Quinta do Cerro, il n’y a ni drogue ni mauvaises fréquentations. Les jeunes sont protégés, y compris d’eux-mêmes. »
Les enfants et adolescents placés – avec leur consentement – au Portugal ont tous derrière eux un passé lourd de crises. « Ce sont des jeunes qui se mettent en danger, des très jeunes filles qui acceptent des relations sexuelles avec des hommes beaucoup plus âgés, des jeunes non protégés venant de familles brisées ou sans famille du tout, comme ce jeune garçon de 12 ans dont la mère avait disparu de la circulation et dont le père enchaînait les séjours en prison », explique Doris Spindler.
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Isolement à la montagne
En Espagne, l’association berlinoise Sozialmanufaktur gère un village similaire à celui de Progresso, dans les montagnes d’Andalousie. « Certains des jeunes dont nous nous occupons sont déjà passés devant le juge, explique Christine Willms, la gérante de l’association. Il arrive que la justice préfère envoyer un jeune à l’étranger qu’en prison. Lorsqu’ils arrivent en Espagne, notre premier objectif est de leur apprendre à faire confiance. Certains sont dépressifs, d’autres sont agressifs, tous ont derrière eux des relations très difficiles avec leur famille ou leur entourage. Les premiers mois se passent dans les montagnes. Petit à petit, ils peuvent se rapprocher de la ville, surtout à la veille de leur retour en Allemagne, en guise de transition. Ces jeunes viennent de Bavière, du Schleswig-Holstein dans le nord de l’Allemagne et, surtout, de Berlin. Notre satisfaction est que tous, sans exception, retournent en Allemagne avec un diplôme scolaire qui leur permettra de démarrer un apprentissage. »
En Espagne aussi, la journée est très structurée: lever, petit déjeuner en commun, école en ligne, longue période de calme à l’heure de la sieste pour échapper à la chaleur, sport, soins aux animaux – des poules, des canards et des chevaux. A mesure que les jeunes progressent, ils peuvent participer aux sorties en ville en fin de semaine, retrouver des jeunes pensionnaires de centres similaires, accéder à leur téléphone portable…
« Mesurer le succès de ces séjours dépend de chaque jeune, souligne Christine Willms. Pour certains qui ne mettaient plus les pieds à l’école, ce sera le diplôme scolaire. Pour d’autres, ce sera la capacité à gérer leurs conflits de façon pacifique. Pour l’administration allemande, ce sera surtout qu’ils acquièrent la capacité à devenir indépendants, à sortir de la dépendance du filet social. »
Parfois des familles
Dans certains cas, encore expérimentaux, ce sont même des familles entières qui vont tenter de se reconstruire à l’étranger. Les services sociaux de Bavière ont ainsi envoyé récemment deux familles en Italie, une mère qui n’avait pas réussi à protéger ses enfants des violences sexuelles de son conjoint, et un père devenu dépressif après le départ de son épouse, incapable de s’occuper de ses quatre enfants. Dans les deux situations, les enfants présentaient de lourds troubles du comportement.
Les séjours pédagogiques intensifs de longue durée à l’étranger ne sont pas toujours bien perçus par l’opinion. A tort, estiment les associations qui rappellent que si ces séjours sont coûteux – 170 à 250 euros par jour et par enfant, voire 400 euros pour les encadrements très intensifs – ils ne sont pas plus chers que les séjours en foyer en Allemagne même. Avec des résultats souvent davantage positifs.
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