Gérald Papy
« En Europe, la ‘Trumpisation’ gagne du terrain »
A ceux qui, depuis la sentence du socialiste Guy Mollet en 1956, répètent que la France a « la droite la plus bête du monde », son nouveau patron, Laurent Wauquiez, a apporté un peu plus de crédit.
Piégé naïvement par un étudiant d’une école de commerce lyonnaise où il était venu dispenser des cours, le fraîchement élu président des Républicains a vu ses propos » cash » diffusés dans les médias et au grand public. Il y dézingue, à des degrés divers, Angela Merkel, Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, sa rivale de parti Valérie Pécresse et jusqu’au patronat français, le Medef. La mise à nu est d’autant plus destructrice que le principal reproche fait à ce déjà vieux routier de la politique est l’insincérité et qu’il justifie la pertinence de ses confidences par l’habitude qu’il a de ne livrer aux médias que du » bullshit » , des discours insignifiants.
L’opposant à Emmanuel Macron était en quête de notoriété, de respectabilité et de pouvoir fédérateur au sein d’une famille politique encore marquée par l’échec de la présidentielle de 2017 et par la guerre fratricide entre François Fillon et Jean-François Copé en 2012 pour la direction du parti. Le pari n’est pas gagné pour un Laurent Wauquiez, dont l’orientation très droitière a divisé les sympathisants de la droite républicaine. Mais ce pataquès lui sera-t-il si préjudiciable ?
Si l’on veut épingler une contagion de Trump en Europe, c’est plutôt du côté de Viktor Orban qu’il faut se tourner
D’aucuns voient dans l’irruption de ce parler vrai un effet de la trumpisation des esprits en Europe. Il irriterait les élites mais ravirait les électeurs lambda. Il est vrai que Laurent Wauquiez a usé en aparté de ficelles dont Donald Trump abuse sans complexe : fake news (l’entreprise de » démolition » de Fillon orchestrée par Macron lors de la présidentielle, l’espionnage des smartphones des ministres par Sarkozy président), complotisme (à l’encontre du ministre Darmanin soupçonné d’agressions sexuelles), transgression et vulgarité. Mais rien ne garantit que la méthode Trump fonctionne en France comme aux Etats-Unis, avec une tradition et un paysage politiques fort différents.
Si l’on veut épingler en Europe une contagion avérée du discours du président américain, c’est plutôt du côté de la Hongrie et de son Premier ministre qu’il faut se tourner. Viktor Orban a appelé cette semaine à la constitution d’une grande alliance anti-immigration en Europe centrale (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque, Autriche…) en opposition à l’Europe de l’Ouest censée être devenue » une zone immigrée, un monde à la population mixte qui prend une direction différente de la nôtre « . Prononcées dans le contexte de la campagne électorale en vue des législatives du 8 avril, ces déclarations sont une insulte aux idéaux de l’Union européenne tels que définis par ses fondateurs il y a un peu plus de soixante ans. Elles instillent le ferment de la division que l’on pensait avoir définitivement écartée avec l’adhésion de dix Etats en 2004, dont huit anciens membres du bloc soviétique. Une politique clivante, qui fracture au lieu de rassembler sans respect pour les acquis forgés par les générations précédentes : c’est du Trump qui se répand en Europe. Et même si ce modèle politique n’a pas encore gagné une puissance comme la France, mieux vaut en dénoncer les prémices, même limités à la rhétorique.
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