Bert Bultinck
« En Amérique, celui qui a voté contre l’establishment se retrouve avec un establishment encore plus cynique »
« L’élection du nouveau président américain marque une rupture importante avec le monde que nous comptons parmi le nôtre », constate le rédacteur en chef de Knack Bert Bultinck. « Trump symbolise le retour du protectionnisme et la vengeance du citoyen blanc frustré. »
Knack a élu Donald Trump homme de l’année. Cependant ce choix occulte deux évènements. En Belgique, les attentats du 22 mars ont provoqué une onde de choc dans le pays. Aujourd’hui, les conséquences se font sentir dans la société sous la forme d’une politique plus musclée et d’un paysage militarisé. Et le régime dictatorial de Recep Tayyip Erdo?an défie l’unité européenne. Parce que nous sommes trop divisés et indécis pour nous en charger nous-mêmes, nous confions notre politique de réfugiés à un président qui foule nos valeurs aux pieds. Cela reste un scandale.
Et pourtant, l’homme ou la femme de 2016 se trouve aux États-Unis. D’une part, le « 22 mars » n’a pas été causé par un homme ou une femme. Et positivement, ce n’est pas une personne, mais plusieurs qui ont ramené l’ordre : des médecins, des services de police et des citoyens ont accompli des actes héroïques. D’autre part, la menace géopolitique de la Turquie d’Erdogan – membre de l’OTAN, mais non de l’Occident – est restée à l’ombre d’un homme qui peut mettre notre monde, la communauté transatlantique, en danger de l’intérieur : Donald Trump.
L’élection du nouveau président américain marque une rupture importante avec le monde que nous comptons parmi le nôtre. Depuis des années, l’opposition grandit contre l’establishment, du Royaume-Uni à la Grèce en passant par la Rust Belt américaine. Aujourd’hui, elle envoie un magnat culotté de l’immobilier, en apparence en stoemelings, à la Maison-Blanche. Depuis le triomphe de Trump, les populistes européens sont nombreux à penser qu’eux aussi peuvent obtenir des victoires éclatantes. Le week-end dernier, les Autrichiens ont rejeté le candidat présidentiel d’extrême droite, mais l’Italie risque le chaos après la défaite du premier ministre Matteo Renzi, après David Cameron la seconde victime d’un référendum auto-imposé.
Trump symbolise le retour du protectionnisme et la vengeance du citoyen blanc frustré. Il représente la victoire de l’autoritarisme télégénique : manifestement, celui qui a le droit de dire ‘you’re fired’ pendant onze ans à la télévision adopte automatiquement d’une allure présidentielle. Ses électeurs le sauront. Or, la composition au compte-gouttes de son cabinet de milliardaire semble un premier bras d’honneur à leur égard. En Amérique, celui qui a voté contre l’establishment se retrouve avec un establishment encore plus cynique.
David Remnick, le rédacteur en chef du New Yorker, souligne le vide idéologique de Donald Trump. Il pointe le rôle des réseaux sociaux qui font en sorte que les gens sont de moins en moins confrontés aux faits et opinions qui ne correspondent pas à leur univers : « Si sur Facebook, un mensonge paraît aussi convaincant qu’un article du Washington Post, c’est un problème. Et si je like ces mensonges, je crée peu à peu un univers médiatique propre à mes amis et à moi. Cette technique nous protège les uns des autres. Il y a deux semaines, la chancelière allemande Angela Merkel mettait en garde contre « les faux sites, les bots et les trolls » qui pourraient exercer un impact sur les élections allemandes. Ils impactent déjà la méfiance.
L’attachement aux principes sera primordial en 2017. Pour les médias cela signifie rester critique à l’égard du pouvoir, et rapporter des informations contrariantes et pénibles, y compris quand il s’agit de dossiers de corruption complexes et techniques. La publication des Panama Papers, notamment dans Knack, a illustré à quel point il demeure nécessaire d’enquêter sur les constructions complexes. Cela signifie aussi que nous devons continuer à nous opposer aux démarches qui mettent la liberté de la presse en péril.
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