En Allemagne, la confiance en la démocratie s’érode
Seuls 38% des Allemands sont satisfaits de leur démocratie. En cause, les querelles au sein du gouvernement et la succession de crises depuis la pandémie.
Les trois partis de la coalition au pouvoir en Allemagne – le SPD d’Olaf Scholz, les Verts et les libéraux – avaient promis à la veille de la pause estivale d’enterrer la hache de guerre. Mais lors de leurs retrouvailles, à la mi-août, les Verts et les libéraux se sont de nouveau empoignés. Une ministre écologiste a bloqué un projet de réforme libéral, obligeant le chancelier à négocier une partie de la nuit avec ses deux ministres pour débloquer la situation.
Du budget au virage énergétique, tout semble opposer les Verts et les libéraux. Et Olaf Scholz a le plus grand mal à ramener la paix dans ses rangs. «La démocratie vit aussi de la controverse. Mais on a atteint un point qui devient dangereux et qui fait le jeu des extrémistes», s’alarme le quotidien conservateur Berliner Morgenpost, à la lecture de plusieurs sondages inquiétants faisant état d’un désamour des Allemands pour leurs institutions. Selon une étude réalisée pour la Fondation Konrad Adenauer, proche de la CDU, seuls 38% se disent «satisfaits» ou «très satisfaits» de la démocratie. Fin 2022, ils étaient encore 52% de cet avis.
Des politiques «dans leur bulle»
«Il est intéressant de constater que pour 90% des Allemands, la liberté, l’égalité face à la loi et la liberté d’expression sont capitales, pose d’emblée Sven Tetzlaff, responsable du département démocratie de la Fondation Körber. Mais on observe un très grand mécontentement à l’égard de la façon dont ces valeurs sont mises en pratique. La confiance dans les institutions était beaucoup plus élevée au début de la pandémie. Depuis, elle n’a cessé de diminuer avec la multiplication des crises (arrivée d’une nouvelle vague de migrants, crise énergétique…) Les Allemands sont inquiets. Ils se demandent s’ils s’en sortiront. Et quand la confiance dans son avenir personnel diminue, alors celle dans le système faiblit aussi.»
Le style de communication d’Olaf Scholz, ou plutôt son absence de communication, n’arrange rien.
Le recul est particulièrement prononcé à l’ouest du pays, où 41% des personnes interrogées ont confiance dans leurs institutions (contre 51% fin 2022). A l’est, où le scepticisme est traditionnellement plus élevé, la part des opinions positives est passée de 35% à 30% des personnes interrogées en six mois. Parmi les sympathisants des différents partis politiques, le recul est le plus marqué chez les Verts (53% sont satisfaits de la démocratie contre 84% fin 2022). A l’extrême droite, seuls 4% des électeurs de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ont confiance en leur système politique. «Les Verts au pouvoir ont déçu les attentes de leur base en matière de climat et de renouvellement énergétique», souligne le politologue Gero Neugebauer, de l’université libre de Berlin. Après des mois d’âpres discussions donnant le sentiment que le débat politique était dominé par la seule question du chauffage des bâtiments et la menace d’une interdiction des chaudières à gaz – 50% des bâtiments du pays sont chauffés au gaz –, les Verts ont semblé céder face au veto des libéraux sur presque tous les dossiers liés au climat.
Au cours des derniers mois, tous les indicateurs de soutien aux institutions sont passés au rouge en Allemagne: 9% des citoyens ont confiance dans leurs partis politiques, selon un sondage réalisé pour le compte de la Fondation Körber ; 44% dans leur Parlement (51% fin 2022) ; 39% dans le chancelier (47% fin 2022) ; 49% dans les médias publics (52% fin 2022). Quelque 71% sont d’avis que «politiques et médias vivent dans leur bulle», 46% que «rien n’est équitable dans le pays», 86% veulent être «davantage impliqués dans les décisions importantes». Enfin, selon une autre étude effectuée pour la Confédération des fonctionnaires en août, 69% des Allemands pensent que «l’Etat est dépassé face aux crises» (40% de cet avis en 2020). Là encore, la proportion des sceptiques est plus élevée à l’est du pays (77%) qu’à l’ouest (68%).
Le déclin de la démocratie, tout profit pour l’extrême droite
Le décalage est-ouest, souvent présenté comme lié aux déceptions face à la Réunification, revient d’un sondage à l’autre, et n’étonne guère les politologues. «Une minorité de ceux qui ont manifesté en 1989 l’ont fait pour des raisons politiques, rappelle Gero Neugebauer. Les gens ne voulaient pas un changement de système mais un changement d’économie, l’accès au Deutsche Mark. Le régime communiste avait conclu une sorte de pacte social avec la population: on s’occupe de tout, on vous offre la sécurité de l’emploi et du logement (NDLR: 5% des dépenses d’un ménage du temps de la RDA) et vous restez tranquilles. Quand ils ont compris qu’ils devraient vivre autrement, se débrouiller seuls pour trouver un emploi ou négocier un loyer, l’insatisfaction n’a cessé de grimper. Ajoutez à cela le discours de la première génération de la Réunification, selon lequel tout était mieux avant et le fait que les grands- parents n’ont jamais raconté comment ils ont souffert sous le fascisme, et vous obtenez la situation actuelle: un faible soutien pour la démocratie et la progression de l’AfD…»
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Le parti d’extrême droite AfD, qui entretient le narratif d’un Etat et d’administrations impuissants à résoudre les crises, profite du mal-être. L’AfD est aujourd’hui crédité de 20% des intentions de vote ; de 30% dans certaines régions d’ex-RDA. Les extrémistes ont même réussi à imposer leurs candidats à l’occasion de plusieurs scrutins locaux, très remarqués, depuis le début de l’été.
L’Allemagne serait-elle tentée par un retour à de vieux démons? «Tous ces sondages sur la démocratie ont un point en commun, relativise le politologue Gero Neugebauer. Ils ne disent rien sur les raisons individuelles qui poussent les sondés à faire preuve de scepticisme. Est-ce un rejet du système? Ou remettent-ils en cause les performances des institutions, du gouvernement, des partis politiques, des administrations en matière de santé, d’éducation, de transports, de gestion économique…? Le style de communication d’Olaf Scholz, ou plutôt son absence de communication, n’arrange rien. Et quand l’opposition au Bundestag, c’est-à-dire la CDU, ne réagit pas en se présentant comme une alternative solide, alors les gens se tournent vers l’AfD et ses messages simplistes du style “si le bus ne roule pas chez vous et si l’hôpital est surchargé, c’est à cause des étrangers qui reçoivent tout l’argent”. Malheureusement, beaucoup ne sont pas conscients du fait que si l’AfD arrivait au pouvoir, ils perdraient leurs libertés.»
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