Elections USA: Trump désespère Karen
La mère de famille des quartiers résidentiels en banlieue des villes secondaires devrait être la cible prioritaire à séduire avant le 3 novembre. Mais le président ne fait pas beaucoup d’efforts.
Les électeurs de Donald Trump ont-ils le blues? Les dernières études d’intentions de vote pour la présidentielle du 3 novembre indiquent un accroissement de l’écart entre le candidat démocrate et le président sortant, dû principalement à sa piètre prestation lors du premier débat télévisé. Selon une moyenne nationale, il serait passé de 6 à 10 points. Ce baromètre à relativiser parce que le scrutin se joue dans certains Etats clés est cependant confirmé par les sondages réalisés dans différents swing states.
Le journaliste Alexandre Mendel connaît bien cet électorat. Cela fait neuf mois qu’il va à sa rencontre pour le comprendre. Il en a tiré un livre instructif et inquiétant, Chez Trump (Chez Trump, 245 jours et 28.000 miles dans cette Amérique que les médias ignorent, par Alexandre Mendel, L’Artilleur, 328 p.). « Sa base électorale est toujours fidèle à Donald Trump, assure-t-il. Elle lui excuse tous les revers, les écarts de langage, la mauvaise gestion de la Covid-19. Elle ira faire la queue devant les bureaux de vote. Mais, évaluée à 37% du corps électoral, elle ne lui suffira pas. J’observe une démobilisation des indépendants et des modérés qui, en 2016, s’étaient pincé le nez en allant voter Trump par dépit, pour éviter qu’Hillary Clinton accède à la Maison-Blanche, ou parce qu’ils étaient mobilisés sur certaines questions de société, le port d’armes, l’avortement… Ceux-là sont démobilisés. Au mieux pour Trump, ils n’iront pas voter. Au pire, ils voteront Biden. »
On ne mesure pas l’importance qu’a la sécurisation d’un nouveau siège à la Cour suprême.
La crainte des émeutes
Les indécis de la campagne forment un groupe plus réduit que lors des élections précédentes, affirme-t-on, tant les deux camps auraient forgé un réservoir de partisans fidèles. Mais quel est cet indépendant ou ce centriste à choyer d’ici au 3 novembre? Pour Alexandre Mendel, il peut être résumé dans la figure de Karen, appelée ainsi par les internautes de droite comme de gauche parce qu’il s’agirait du prénom le plus répandu parmi les mères de famille des quartiers résidentiels des villes américaines secondaires. Cette classe moyenne blanche est « encore assez chrétienne et individualiste pour se méfier des libéraux, mais encore assez fragile économiquement pour ne pas refuser entièrement le peu que propose l’Etat providence américain », écrit Alexandre Mendel.
« Donald Trump a essayé de les convaincre de voter pour lui en agitant la menace que les émeutes observées dans les grandes villes après le meurtre de George Floyd atteignent leur quartier. Mais même cela fatigue l’électrice de banlieue, expose l’auteur de Chez Trump. Or, c’est ce vote qui a déjà manqué aux républicains lors des élections parlementaires de mi-mandat, en novembre 2018. » Et son appréhension de la crise sanitaire à partir de février 2020 n’a rien arrangé. Certes, la pandémie a occulté les résultats économiques favorables dont Donald Trump aurait pu se prévaloir pour être réélu. Mais on est en droit de se demander si une simple gestion mesurée de celle-ci n’aurait pas suffi à limiter les dégâts et à préserver ses chances de gagner en novembre. « Un certain nombre de cadres républicains admettent qu’il a manqué de flair politique, analyse Alexandre Mendel. La Covid a été un problème mondial. Beaucoup de leaders ont endossé le costume du père de la nation. Les résultats économiques étant plutôt bons, Donald Trump aurait pu expliquer que les Etats-Unis devaient s’apprêter à vivre des mois difficiles avant un retour de la croissance. Il aurait pu prendre des décisions bipartisanes, en associant les démocrates dans un même combat. Sa base électorale n’en aurait pas été affectée. »
Alexandre Mendel s’étonne que personne dans l’entourage du président n’ait songé à le mettre en garde contre le risque d’une attitude non maîtrisée en période de danger sanitaire. Une partie de l’explication réside peut-être dans le fait que Donald Trump s’est séparé de la plupart des conseillers qui avaient fait sa victoire en 2016. « Il a encore davantage divisé les Etats-Unis en accusant les démocrates d’avoir mal géré la crise dans leurs Etats, plus urbains, plus peuplés. Jusqu’au moment où on s’est aperçu que des Etats, dirigés par des républicains, comme l’Oklahoma, étaient tout autant touchés par la pandémie… Le miracle de la campagne de 2016, il l’a transformé en désastre à venir« , assène celui qui, travaillant pour le très droitier hebdomadaire français Valeurs actuelles, était « pro-Trump avant de partir en reportage aux Etats-Unis ».
Trump, le premier anti-immigration
Sur la question raciale resurgie dans l’actualité après le meurtre de George Floyd le 25 mai dernier, le président américain a de nouveau plus divisé que rassemblé. Une attitude a priori électoralement peu productive, bien qu’elle lui ait permis de se profiler comme le représentant de « la loi et de l’ordre », et qui était prévisible vu ses « antécédents ». Le renvoi dos à dos des manifestants suprémacistes blancs et des contre-manifestants antifascistes après la mort d’un de ceux-ci à Charlottesville en août 2017 et les attaques répétées contre les migrants avaient donné la tonalité de son mandat. « Les supporters de Trump dans les meetings expriment cette crainte identitaire que « les Blancs disparaissent ». Beaucoup de tee-shirts affichent le slogan « On existe encore ». Chez certains, l’arrière-fond va au-delà de l’identité et flirte avec le racisme. Trump est le premier candidat républicain à avoir fait de l’immigration un thème central. Avant lui, les républicains n’étaient pas anti-immigration. Ronald Reagan a régularisé énormément d’immigrés illégaux sans que cela pose problème. Bush père et fils ont adopté à peu près la même attitude (« Il faut régulariser de temps en temps ») avec le même discours (« Nous sommes un pays d’immigrants »). »
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La fracture de la société américaine, aggravée par la pandémie et les émeutes raciales, fait craindre à certains qu’une guerre civile éclate après les élections. Alexandre Mendel, qui a côtoyé des miliciens d’extrême droite à la faveur de son périple, n’y croit pas. « On ne mesure pas en Europe l’importance qu’a la sécurisation d’un nouveau siège à la Cour suprême (NDLR: celui de la très conservatrice Amy Coney Barrett, 48 ans, auditionnée cette semaine par le Sénat, en remplacement de Ruth Bader Ginsburg, décédée).De plus en plus de gens me disent que, de toute façon, si on perd l’élection, ce n’est pas grave. On a la Cour suprême. Les démocrates ne pourront pas faire voter leurs propositions sur l’avortement, l’immigration ou le port d’armes pendant vingt ou trente ans. C’est presque un cadeau de départ de Trump. »
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