Elections présidentielles au Brésil : le scénario d’un coup de force n’est pas exclu
«Jair Bolsonaro a envoyé tous les signaux d’une non-reconnaissance de sa défaite électorale», souligne Frédéric Louault, codirecteur du centre d’études AmericaS de l’ULB. De là à ce qu’il mobilise ses troupes pour empêcher l’alternance…
Codirecteur du Centre d’étude des Amériques (AmericaS) à l’ULB, Frédéric Louault est l’auteur de l’ouvrage Le Brésil en 100 questions (1). Il explique l’enjeu du scrutin et de l’après-scrutin présidentiels pour la démocratie au Brésil.
«Alors que le pays est plus que jamais divisé et déboussolé, c’est le pacte démocratique lui-même qui est en jeu à travers ce processus électoral à haut risque», écrivez-vous. De quelle façon?
Depuis plusieurs années, la démocratie brésilienne vacille. Le président Jair Bolsonaro (NDLR: élu en 2018) est lui-même un produit de cette fragilisation. Pendant son mandat, il a renforcé les attaques contre les institutions de la démocratie représentative, le Congrès, la Cour suprême, le tribunal électoral… Il a de la sorte alimenté la défiance envers tout contre-pouvoir au président. De plus, Jair Bolsonaro a envoyé tous les signaux d’une non-reconnaissance de sa défaite électorale. Il a encouragé la défiance à l’encontre des autorités électorales. Il a prédit des fraudes. Il a même annoncé que s’il ne remporte pas l’élection dès le premier tour avec plus de 60% des voix, c’est qu’il y aura eu des fraudes… Il y a donc un vrai risque qu’il ne reconnaisse pas la défaite et que ses militants se mobilisent pour éviter une alternance.
L’hypothèse d’une intervention directe des militaires pour empêcher Lula de revenir au pouvoir paraît assez peu probable.
Un scénario à l’américaine sur le mode de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2001 est-il envisageable?
C’est une hypothèse qui est étudiée avec beaucoup d’attention et de sérieux. Il y a eu des échanges entre les équipes de Donald Trump et celles de Jair Bolsonaro avant et après l’attaque du Capitole aux Etats-Unis. Au-delà de cela, le contexte de l’équilibre des pouvoirs, de la force des institutions démocratiques et du rôle des forces armées incline à considérer cette élection comme un vrai test.
Le passé de militaire de Jair Bolsonaro peut-il peser sur le rôle que pourrait jouer l’armée?
Bolsonaro se sent proche des forces de sécurité au sens large, militaires, policiers, membres des sociétés privées de sécurité. Il a tenté à plusieurs reprises de tester l’appui dont il pourrait bénéficier au sein de l’armée dans l’éventualité d’un coup de force. Elle est à la fois assez prudente et assez divisée. Certains officiers seraient prêts à le suivre dans une aventure autoritaire. Mais il y en a aussi qui sont beaucoup plus légalistes et qui s’en tiennent au rôle de l’armée comme contributrice à la résolution des conflits et facilitatrice de la transition entre des présidents élus. L’hypothèse d’une intervention directe des militaires pour empêcher Lula de revenir au pouvoir me paraît assez peu probable. Ce qui l’est davantage, c’est que Jair Bolsonaro ne reconnaisse pas sa défaite, qu’il incite directement ou non sa base militante à créer une situation de chaos social et qu’il parvienne à instrumentaliser à son profit cette situation en faisant intervenir l’armée pour rétablir l’ordre. Indirectement, le processus électoral serait interrompu. C’est un scénario proche de ce que l’on a observé aux Etats-Unis. Mais avec un dénouement qui risque d’être plus dramatique au Brésil parce que les bases militantes du bolsonarisme sont prêtes à tout pour empêcher le retour du Parti des travailleurs au pouvoir.
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