Élections françaises: les dangers d’une non-campagne d’Emmanuel Macron
L’écueil pour Emmanuel Macron, toujours donné favori du scrutin, serait de paraître snober les débats sur les préoccupations des Français. Mais la guerre en Ukraine devient de facto une de leurs priorités.
Le contexte
Le 7 mars, le Conseil constitutionnel a validé douze candidatures en vue de l’élection présidentielle française des 10 et 24 avril: quatre d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), Fabien Roussel (PC), Philippe Poutou (Nouveau parti anticapitaliste) et Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), deux de gauche, Anne Hidalgo (PS) et Yannick Jadot (Europe Ecologie Les Verts), une du centre, Emmanuel Macron (La République en marche), deux de droite, Valérie Pécresse (Les Républicains) et Jean Lassalle (Résistons! ), et trois d’extrême droite, Marine Le Pen (Rassemblement national), Eric Zemmour (Reconquête! ), et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France).
Après une réunion à son QG de campagne en matinée pour doper ses troupes et l’enregistrement d’un entretien diffusé en soirée dans l’émission Face aux Françaises sur la chaîne LCI, à laquelle ses obligations dans le dossier ukrainien l’empêcheront de participer, Emmanuel Macron « a couronné » sa première réelle journée de campagne pour la présidentielle, le 7 mars, par un débat en fin d’après-midi dans la salle principale du Centre de diffusion artistique de la ville de Poissy, dans le département des Yvelines, au nord-ouest de Paris. Lors de cette rencontre inaugurale avec les Français, orchestrée sur le modèle de celles organisées lors du Grand débat national de janvier à mars 2019 pour répondre à la colère des gilets jaunes, les deux premières questions ont été posées par une enseignante ayant la double nationalité russe et biélorusse et par un président de club de football d’origine ukrainienne. Elles ont naturellement porté sur le retour de la guerre en Europe… Comme une illustration définitive que cette campagne ne ressemblera à aucune autre.
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Les sondages réalisés lors de la deuxième semaine de guerre confirment la tendance apparue lors de la première. La cote du président sortant s’envole autour des 30% d’intentions de vote, selon l’étude IFOP-Fiducial pour LCI du 7 mars. Il creuse l’écart sur sa première adversaire désormais bien installée, Marine Le Pen, créditée de 18%. Valérie Pécresse plafonne autour des 13%. Eric Zemmour est la principale victime du « Poutine bashing » lié à la guerre, perdant 1,5 point, à 12,5%. Le scénario, pourtant combattu, d’un nouveau duel Macron – Le Pen au second tour semble donc se profiler.
Dans ces circonstances, le plus grand danger pour Emmanuel Macron serait sans doute l’absence de campagne ou, plus précisément, le sentiment qu’il donnerait de se dérober au débat sur les préoccupations prioritaires des Français. Ce qui raviverait sans doute la fracture entre les élites et la France d’en bas, consacrée par le mouvement des gilets jaunes. Ainsi, quand il annonce, le 7 mars, refuser de participer à tout débat des candidats avant le premier tour, il ne fait qu’appliquer la « jurisprudence » adoptée par ses prédécesseurs candidats à leur réélection. Mais son attitude est critiquée. Ou quand il participe, comme à Poissy le 7 mars, à un débat avec les citoyens en territoire conquis – le maire divers droite Karl Olive est un de ses partisans -, il ne fait somme toute que s’aligner sur la pratique de ses rivaux, sous une autre forme qu’un meeting traditionnel. Mais on l’accuse de ne pas sortir de sa zone de confort…
Une question de légitimité
Dans la première vidéo Le candidat, dont son équipe diffusera un épisode tous les vendredis telle une série Netflix, Emmanuel Macron, tout en humilité, insiste sur l’importance « d’être attaqué, critiqué, contesté, de répondre à la controverse, de m’y livrer moi-même » et met en garde contre l’excès de confiance. Ce n’est « pas plié », assure-t-il, même s’il doit considérer, en son for intérieur, que les perspectives sont favorables. Le contexte de guerre, en effet, relativise beaucoup de problèmes qui, en d’autres temps, auraient monopolisé l’intérêt. Dans la hiérarchie des préoccupations des Français, sondées par une étude Ipsos-Sopra Steria pour le quotidien Le Monde, la guerre en Ukraine arrive déjà en deuxième position derrière le pouvoir d’achat, devant l’environnement, le système de santé et… l’immigration. Et quand Eric Zemmour présente en grande pompe le ralliement de Marion Maréchal à son camp, le 6 mars, c’est plus l’admiration qu’elle a exprimée à l’égard de Vladimir Poutine par le passé qui est disséquée que son apport électoral.
Une vraie campagne, la confrontation des programmes, un deuxième tour disputé sont aussi, et surtout, les conditions d’une bonne élection. Le risque serait que le président élu, ou la présidente élue, le soir du 24 avril, voit sa légitimité contestée, ce qui hypothéquerait son mandat. Emmanuel Macron en avait déjà perçu les relents en 2017. Ce que Erik Orsenna, soutien du président sortant, illustre en pointant les dangers de l’après-scrutin: « Gagner pour quoi? Il y a deux temps après. Les législatives: bon courage pour former une majorité. Et la suite: bon courage pour les cinq ans à venir. Parce que, pour nous, la conséquence économique de la guerre sera terrible. L’état de grâce, ce sera zéro. Ce sera l’état de pénuries, de tensions, de haines… Si on en est encore à plus de 30% de droite extrême et si une autre partie de la population ne vote pas, quelle sera la légitimité du président? La vraie question est celle de la démocratie. » Un message pour mobiliser les abstentionnistes.
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