Elections françaises: la bataille Zemmour/Le Pen a débuté (analyse)
Avec l’officialisation de la candidature à la présidentielle d’Eric Zemmour sur la ligne de l’ancien Front national, la bataille est ouverte avec Marine Le Pen pour le leadership de la « famille nationale ». Plus d’offre, plus de participation électorale, plus de poids pour la droite radicale ? L’addition n’est pas automatique.
Emmanuel Macron avait fait le pari audacieux de la rupture et de l’Europe pour la présidentielle de 2017. Eric Zemmour a fait le pari osé de la rupture et du passéisme pour celle de 2022. Dans une vidéo singeant l’Appel du 18 juin du général de Gaulle, l’ancien journaliste, officialisant sa candidature, a défendu le 30 novembre une vision cataclysmique de la France, multipliant le recours à des images de violences attribuables à des étrangers que ne récuserait pas la fachosphère. Le message martelé est clair : « Pour que les Français restent des Français », nous devons « reprendre notre destin en main », « nous ne nous laisserons pas nous remplacer », « nous allons continuer la France ».
C’est ainsi que le polémiste est devenu candidat sans démontrer pour autant qu’il avait l’étoffe d’un président. Son annonce a continué à labourer le constat d’une France en déclin ; elle n’a pas révélé un programme. Eric Zemmour sera attendu sur ce point lors de son premier meeting de candidat le dimanche 5 décembre au Zénith de Paris. Mais le contenu de sa vidéo augure, comme il l’a d’ailleurs annoncé, que sa campagne sera en grande partie monothématique, monomaniaque, surfocalisée sur la question de l’immigration musulmane et le spectre du « grand remplacement », vulgarisé par l’idéologue d’extrême droite Renaud Camus.
Peut-on gagner une élection présidentielle française sur cette seule antienne après une crise sanitaire qui a succédé et précédé deux périodes de crise économique ? L’autre figure de l’extrême droite française, Marine Le Pen, a tenté d’instiller le doute sur la présidentialité d’Eric Zemmour après une visite ratée de son rival à Marseille ponctuée par l’administration d’un doigt d’honneur à une habitante qui lui en avait adressé un au préalable. Assurant que « la mue du polémiste en candidat à la présidentielle » n’a pas pris et que sa promesse de rassembler plus largement qu’elle pour faire battre Emmanuel Macron n’était pas tenue, elle s’est affichée, le 28 novembre, comme « la meilleure candidate de la famille nationale ».
Une chance pour la démocratie ?
A un peu plus de quatre mois de la présidentielle, des trois ou quatre candidats – si on inclut celui des Républicains qui sera désigné le dimanche 5 décembre – qui ont aujourd’hui des chances de figurer au second tour, deux sont d’extrême droite. Et l’addition des intentions de vote qui sont portées sur Marine Le Pen, Eric Zemmour, et les « petits » prétendants de cette mouvance, Nicolas Dupont-Aignan et Florian Philippot, conduit à un score de 35 %. Comment expliquer cette puissance potentielle et quelle conséquence a-t-elle sur la campagne ?
« On assiste à une rénovation de l’offre politique dans un contexte de modification des habitudes électorales, souligne Christophe Sente, chercheur en sciences politiques à l’ULB et auteur de La Gauche entre la vie et la mort (1). Faut-il parler de populisme, d’extrême droite ? Je préfère évoquer un renouvellement de droite radicale. Deuxième élément d’analyse. Quand on additionne, on risque de surdimensionner le résultat auquel il faut s’attendre. Si elles ne sont pas identiques, les candidatures de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour chassent des électorats qui se superposent en partie. Même si plus l’offre politique se diversifie, plus la possibilité de ramener des citoyens vers les urnes augmente. Quoi qu’on pense des « nouveaux » candidats, c’est une chance pour la démocratie. Particulièrement en France où l’abstention est généralement élevée – moins lors de la présidentielle – et où ont éclos de façon répétée ces dernières années des mouvements sociaux progressistes ou conservateurs ne se réclamant d’aucun parti et refusant de se connecter au champ parlementaire : les gilets jaunes, les manifestations contre le mariage pour tous, les marches pour le climat… », décrypte Christophe Sente.
Une tendance en Europe
Pour Benjamin Biard, politologue au Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) et chargé de cours à l’UNamur et à l’UCLouvain, même à 35 % au premier tour (en 2017, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan avaient récolté ensemble 26 %), le score de l’extrême droite française ne serait pas « à ce point extraordinaire ». Pour preuve, selon lui, le résultat du second tour de 2017 où la candidate du Rassemblement national avait recueilli 33,90 % face à Emmanuel Macron. « L’extrême droite en Europe parvient désormais à se rapprocher du pouvoir voire à l’exercer au niveau national ou à d’autres niveaux. Le cas belge est éloquent à cet égard. Depuis septembre 2019, le Vlaams Belang se maintient dans les sondages au rang de première formation politique de Flandre. Ce sont les contre-exemples, là où l’extrême droite ne prospère pas, qui sont l’exception en Europe : la Belgique francophone, Malte, le Luxembourg, l’Irlande, ou le Portugal bien que cela évolue là aussi. »
Dans ce panorama global européen, la France sera-t-elle le premier grand pays à se doter d’une présidente ou d’un président d’extrême droite ? L’histoire dira si la décision d’Eric Zemmour a servi ou ruiné ce projet.
(1) La gauche entre la vie et la mort. Une histoire des idées au sein de la social-démocratie européenne, par Christophe Sente, Le Bord de l’eau, 240 p.
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