Elections en RDC: «Nous devons récupérer ce qui nous revient» (reportage)
En RDC, les candidats aux élections du 20 décembre sont nombreux. Les citoyens se mobiliseront-ils pour venir voter? Et que veulent-ils? Reportage à Lubumbashi.
«Répétez avec moi: le-vote-n’est-pas-à-vendre!» Dans la salle défraîchie du centre culturel Safina de Lubumbashi, le journaliste Gilbert Kyundu, qui anime un débat autour des élections présidentielle, législatives et provinciales du 20 décembre en RDC, relance plusieurs fois l’assemblée avec ce mantra.
Objectif: déjouer les tentatives des candidats d’acheter les voix avec de multiples cadeaux, financiers ou en nature, à l’image de ces 10 Go de données gratuites offertes par le président sortant, transformant les citoyens en «bétail électoral», et faussant ainsi le jeu démocratique.
La RDC victime de ses ressources
C’est aussi une allusion au mouvement Le Congo n’est pas à vendre, qui dénonce la façon dont les richesses du pays sont bradées et pillées. Le coffre-fort du pays se trouve précisément dans ce grand Katanga – aujourd’hui découpé en quatre provinces –, grâce à ses gisements de cuivre et de cobalt, utilisés pour fabriquer des batteries électriques si convoitées pour la transition énergétique. Ces ressources naturelles attisent la cupidité de dirigeants publics et privés, congolais comme étrangers, qui ne laissent que des miettes aux collectivités locales.
Le débat est plus large. Des jeunes, des agriculteurs, des femmes sont présents pour interpeller des candidats, issus d’une dizaine de partis, en vue de leur soumettre un «cahier des charges», à savoir une série d’engagements qu’ils seront tenus de respecter s’ils sont élus.
A la manœuvre, la synergie des organisations de la société civile, dont celles membres de l’Aeta, acronyme de Agir pour des élections transparentes et apaisées, et du Réseau Sud-Congo, deux partenaires du CNCD-11.11.11, la coupole des organisations non gouvernementales belges de développement.
Non aux discours de haine
D’emblée, l’animateur du débat focalise les échanges sur la montée des discours de haine et de la désinformation. «Nous avons 450 tribus et on voudrait qu’elles fassent nation», invoque Gilbert Kyundu. Mais on en est loin. Le 16 novembre, à Malemba-Nkulu dans le Haut-Lomami (autre province du grand Katanga), des ressortissants kasaïens ont été lynchés et leurs maisons brûlées à la suite du meurtre d’un chauffeur katangais de moto-taxi par un présumé Kasaïen. Bilan: quatre morts.
«Les partis surfent sur la haine», «les élections sont de toute façon tribales, car on est seulement satisfait quand un membre de sa tribu est élu», «il faudrait revenir au temps de Mobutu, quand un gouverneur du Kivu pouvait être ensuite nommé en Equateur», «à quand une formation au civisme?», sont quelques adresses lancées par la salle, autant d’échos à ce «Non au tribalisme» qu’on retrouve en ville sur de grandes affiches du président Tshisekedi, datées de sa visite en octobre dernier.
L’insécurité grandissante dans la ville de Lubumbashi est également évoquée: arrachage de sacs, de GSM, cambriolages, viols, meurtres… Plus tôt dans l’année, le vigoureux archevêque de Lubumbashi, Mgr , pas vraiment en odeur de sainteté auprès du pouvoir, et fort lié au leader katangais et candidat à la présidence Moïse Katumbi, avait relevé qu’«à cause de l’insécurité et des tueries aveugles, notre ville tend à devenir l’épicentre de la violence, une cité de sang, une société de la mort, où les habitants font l’amère expérience d’être abandonnés à eux-mêmes».
«Les femmes ont peur»
Les premières victimes des violences sont les femmes. Elles sont majoritaires dans la salle. Mais minoritaires en politique: les listes de candidats n’en comptent que 15%. D’après l’ONU Femmes, l’organisation de l’ONU qui œuvre à leur autonomisation, les Congolaises n’occupent que 27% des postes au plus haut niveau de prise de décision, et seulement 10% des sièges à l’Assemblée nationale.
Comment expliquer un chiffre aussi bas? «La femme congolaise a des compétences, des potentiels, elle est forte, elle est brave, oui, mais de l’autre côté, elle reste encore trop souvent dans sa zone de confort. Plus précisément au Katanga, elle ne se pense pas à la hauteur», avance Gisèle Tambwe, présentatrice à Malaïka TV, et qui assistait à la réunion.
Nous n’allons pas bâtir un pays seulement avec l’éloquence.
«Dans mes émissions, les femmes s’expriment peu sur la politique, poursuit-elle. Si elles parlent de s’engager, c’est de manière anonyme, mais en politique, ça ne marche pas ainsi. Quand vous les invitez, parfois elles acceptent, avant de se désister à la veille ou à quelques minutes de l’émission. Je reçois alors pour toute réponse “mon mari m’a demandé de récupérer les enfants à l’école”, “j’ai des obligations ménagères”, et plein d’autres raisons. Moi, j’ai compris qu’elle a encore peur. Peur de venir sur la place publique pour s’exprimer, parler de politique. Peur de ne pouvoir débattre d’égal à égal face à l’homme.»
Stéréotypes de genre
La nouvelle loi électorale tend désormais une perche en faveur de l’égalité entre les genres: elle prévoit la suppression des frais d’inscription pour les partis politiques qui auront aligné au moins 50% de femmes. «Nous aspirons à ce que le quota de femmes soit beaucoup plus élevé. Mais quand on cherche des femmes, on n’en trouve pas. Ce n’est donc pas vraiment l’homme qui bloque la machine», persiste Gisèle Tambwe qui balaie tout procès en machisme à l’encontre des hommes.
Pourtant, l’étude de ONU Femmes précise que «les femmes qui souhaitent entrer dans les institutions politiques [au Congo] sont souvent victimes d’abus, de harcèlement, d’une masculinité toxique et de stéréotypes sexistes, qui les découragent même de postuler des emplois.
La participation politique des femmes en RDC a diminué au cours des deux dernières élections, passant de 13,6% en 2006 à 11,7% en 2018. Les stéréotypes de genre affectent non seulement les femmes avant d’entrer en politique, mais continuent également d’être infligés lorsque les femmes entrent dans les partis.»
Des moyens insuffisants
Immaculée Bagabe Batete, elle, a franchi le pas depuis longtemps. Non seulement cette ancienne gestionnaire de centre informatique est engagée en politique mais elle a fondé son propre parti. Députée provinciale du Haut-Katanga et commissaire en charge de la culture et des arts, elle a lancé, en 2020, Les Chrétiens en marche, qui fait de la bonne gouvernance son cheval de bataille.
Son objectif à l’issue du scrutin est même de devenir gouverneure de la province. «Nous avons recruté des candidats qui ont des fonctions dans des églises, pas seulement catholiques, détaille-t-elle lors de la pause. S’ils sont capables d’y gérer des tâches, nous sommes intéressés pour qu’ils amènent leurs compétences en politique.»
Son parti respecte la parité hommes-femmes. Au chiffre très bas de la présence féminine sur les autres listes, Immaculée, qui habite un quartier cossu, trouve une double raison: «C’est un problème de culture et de moyens, répond-elle. D’abord, il faut que le mari soit d’accord, ensuite qu’elle dispose de moyens suffisants. Or, les femmes n’ont pas cette capacité. Nous aurions voulu que le code électoral stipule l’interdiction de donner des biens, de l’argent, des pagnes… Les femmes, alors, seraient bien présentes. Elles ne sont pas émancipées financièrement, et la Ceni (NDLR: Commission électorale nationale indépendante) ne nous a pas aidées.»
Nous disons à notre peuple “levez-vous!”. Nous devons récupérer ce qui nous revient.
L’insécurité à l’est de la RDC
Outre les 26 candidats qui briguent la «magistrature suprême», on compte 25 000 prétendants à un des cinq cents sièges à l’Assemblée nationale. Parmi eux, Rodrigue Katungu, qui se présente pour la première fois dans la circonscription électorale de Lubumbashi sur la liste En marche pour le progrès, parti dirigé par le vice-ministre des Mines, Godard Motemona, et qui soutient le président sortant. Il est classé 307e.
Des chances de passer? «Ce n’est pas une question de place, mais de convictions, assure-t-il. Vous pouvez être au numéro mille et si vous avez convaincu la population, vous aurez des voix.»
L’homme a un côté beau parleur avec des éléments de langage qui fleurent le discours électoraliste: «Ce qui me pousse à me présenter, c’est la redevabilité des dirigeants à l’égard des dirigés car il y a un fossé entre eux, constate-t-il sans sourciller. C’est aussi important d’assurer une gestion de proximité.»
Jusqu’à l’ouverture de la campagne, qui n’a duré qu’un mois, il s’est refusé à dévoiler les axes de son programme, «car ça risque d’être piqué par les autres candidats». Tout au plus a-t-il consenti à répondre que «la sécurité, la santé, l’éducation, les infrastructures de base ont été au centre de mon discours de lancement». En somme, tous les sujets qui comptent dans le Congo actuel.
« Un même peuple »
«Tous ces candidats se présentent comme des anges, mais ils sont déconnectés des problèmes de la population, critique Victoir Bitangalo Tshongo, un jeune homme de 28 ans qui a fondé sa propre ONG de développement communautaire axée sur les jeunes et ce, sans aucun financement. Ils ont tous à la bouche les mots “redevabilité” et “responsabilité”, mais je n’en vois pas le sens ni le contenu. Je ne sens pas chez eux de leadership.»
Les préoccupations ne se limitent pas au Katanga. A plusieurs reprises, l’insécurité à l’est du Congo revient dans la discussion. «Nous sommes un même peuple et cela fait mal de voir nos frères et sœurs tués chaque jour, des familles déchirées par le deuil», lâche Rodrigue Katungu.
«Le Congo est un et indivisible, confirme Duc Mbuyi, militant du mouvement citoyen Lucha, tandis que nous le rencontrons dans le jardin aux herbes folles de la maison Safina. Un de nos combats, ou fronts, comme on les appelle, concerne justement l’est du pays. Une grande partie de la province du Nord-Kivu est sous l’emprise des rebelles du M23 soutenus par le Rwanda.» A cause des violences, les habitants des territoires du Masisi et de Rutshuru, dans le Nord-Kivu, ne pourront pas se rendre aux urnes.
Sous l’arbre à palabres
En 2022, Duc Mbuyi cosignait avec d’autres militants de Lucha une carte blanche dans Le Soir dénonçant le président rwandais, Paul Kagame, comme le principal instigateur de cette crise et appelant à infliger des sanctions contre le Rwanda, comme on en inflige à la Russie «pour son agression contre l’Etat indépendant et souverain d’Ukraine».
«Il y a deux mois, raconte le militant, nous avons défilé dans les rues pour encourager les citoyens à s’enrôler massivement dans l’armée, afin de défendre notre intégrité territoriale.» Cette cause vaut bien que la Lucha collabore avec Kinshasa. «Quand il s’agit de la RDC, de la nation, il n’y a ni gouvernement, ni mouvement citoyen, ni société civile. Nous nous réunissons sous l’arbre à palabres pour taire nos différends.»
A cause des tueries aveugles, les habitants font l’amère expérience d’être abandonnés à eux-mêmes.
Une nouvelle RDC
Mais pas question de s’éloigner des fondamentaux: «Ce sont les questions sociales qui nous préoccupent avant tout, souligne Duc Mbuyi. Nous sommes un mouvement de pression qui milite pour un Congo nouveau où règnent la justice distributive et une vraie démocratie, en clair le Congo tolingi (NDLR: en lingala, le Congo que nous voulons, nom également d’un manifeste qui reprend les idées et les désiderata de la population), le Congo pour lequel Lumumba est mort, pour lequel quelques-uns de nos militants sont déjà passés dans l’au-delà… La même lutte continue jusqu’à aujourd’hui.»
« Levez-vous! »
Duc Mbuyi s’emporte soudain: «Nous sommes opposés au fait que, aujourd’hui encore, Dan Gertler (NDLR: homme d’affaires israélien accusé par des ONG de corruption à grande échelle) continue de toucher deux cent mille dollars par jour alors que nous n’avons pas de routes, nous n’avons pas d’hôpitaux, nous n’avons pas de marchés dignes de ce nom, en résumé, nous n’avons pas une bonne vie. Dans le contrat qu’il a signé avec le régime passé (NDLR: de Joseph Kabila), des royalties de la Gécamines lui ont été cédées de façon opaque et frauduleuse. Aujourd’hui, nous disons à notre peuple “levez-vous!”. Nous devons récupérer ce qui nous revient.»
Le 13 juin dernier, dans le stade du TP Mazembe, le club de foot cher à Moïse Katumbi, l’archevêque, Mgr Muteba, n’avait pas mâché ses mots. Lors de la messe de clôture du congrès eucharistique, et devant des milliers de fidèles, le dignitaire avait dénoncé «l’abîme entre le train de vie insolent de l’oligarchie politique» et la misère du peuple qui ne cesse de grandir dans «l’indifférence générale de ceux à qui revient la responsabilité de gérer la chose publique».
« Une rare gloutonnerie »
Le prélat avait aussi dénoncé la mauvaise répartition des richesses nationales: «Qu’il s’agisse du cuivre, du cobalt ici au Katanga, qu’il s’agisse du diamant du Kasaï ou encore du bois de l’Equateur et des recettes douanières des frontières avec les neuf pays qui nous entourent, les dividendes de ces immenses richesses sont accaparés par une rare gloutonnerie d’une élite au pouvoir et des multinationales peu scrupuleuses. Pendant ce temps, la population de tout le Congo, qui en est le propriétaire attitré, croupit dans la misère.»
«La population du Congo est même le souverain primaire, renchérit Duc Mbuyi. Le 20 décembre, on nous retourne notre pouvoir que nous avons cédé en 2018 pour cinq ans. C’est nous qui devons décider du nom de celui que nous voulons placer à la tête du pays pour réaliser nos propres aspirations. C’est un travail de société, c’est un travail citoyen. Notre premier front, c’est qu’il y ait des élections crédibles, inclusives, transparentes, qu’il y ait l’égalité des chances entre les candidats et que le meilleur gagne.»
Des actions de sensibilisation
Un autre front de la Lucha est celui de l’énergie. «Le Congo est riche de multiples rivières et de chutes naturelles qui pourraient produire de l’électricité, mais le pays est à 90% dans l’obscurité, dénonce Duc Mbuyi. Ce n’est pas possible. Nous avons manifesté pour exiger que l’Etat congolais apporte le courant partout dans les villes et jusque dans les villages, et que nous n’ayons plus à subir les délestages.» Le militant aborde aussi le dossier de la redevance minière.
«Les entités territoriales décentralisées (ETD), villes, communes, groupements, chefferies, reçoivent la quotité des 3% qui est dédiée à des projets de développement mais elles n’en font rien. C’est pourquoi nous avons mené plusieurs actions de sensibilisation auprès de la population pour qu’elle réclame ce qui lui appartient.»
C’est nous qui devons décider du nom de celui que nous voulons placer à la tête du pays pour réaliser nos aspirations.
Comment se faire entendre? En manifestant. «En pratique, les manifestations publiques sont interdites. Or, la Constitution ne les érige pas en infraction. Comment on fait? On informe les autorités que nous planifions de descendre dans la rue tel jour. Et ce jour-là, sans attendre sa réponse, nous sommes dans la rue. Pour ceux qui attendent que le gouvernement réponde, on leur dira de toute façon non et ils resteront sans bouger. Quand nous voulons manifester, nous manifestons.»
Des autorités corruptibles
Nous retrouvons l’archevêque dans la propriété attenante à la cathédrale, avec sa solide bâtisse édifiée à l’époque par le Belge Jean-Félix de Hemptinne (1876 – 1958, il fut évêque du Katanga de 1932 à sa mort).
«Regardez cette maison, pas une lézarde! Pas comme les constructions des Chinois», rigole Mgr Muteba. Les Chinois ont mis la main sur le secteur minier, avec la bénédiction des autorités congolaises du temps de Joseph Kabila. «Les Chinois sont forts chez nous parce que nous sommes faibles, poursuit-il. Ils envahissent les terrains qu’ils trouvent favorables à leurs pratiques. Ils ne respectent rien, surtout dans le domaine de l’environnement. Ils ont compris que nos autorités politiques sont corruptibles et pas très organisées.»
Le rôle de l’Eglise
Au Congo, l’Eglise est un acteur de premier plan. On se souvient de Mgr Laurent Monsengwo, archevêque de Kisangani, qui a présidé la Conférence nationale souveraine à la fin de la dictature de Mobutu, ou de l’abbé Apollinaire Malu Malu, qui a présidé la commission électorale lors des premières élections libres, en 2006. Pour le scrutin actuel, la conférence épiscopale dispose de sa propre mission d’observation.
L’Eglise est-elle toujours au-dessus de la mêlée? «Elle n’a pas un rôle politique en tant que tel, mais un rôle dans l’application du principe de subsidiarité, répond l’archevêque. Parce que l’Etat ne peut pas tout faire. Nous continuerons à alerter les autorités sur les atteintes à la dignité de la personne humaine et au bien commun. Nous n’avons jamais demandé d’occuper des fonctions politiques. Ce serait une erreur. Ce serait se rabaisser car moi, je participe déjà au gouvernement du roi de l’univers!» (il rit)
Tel un colibri
Selon lui, l’Eglise est forcée de s’impliquer car «au Congo, la politique vampirise tout le pays. Sans appuis politiques, vous n’obtenez rien.» Dans le quartier Kalukuluku, c’est une paroisse locale qui a financé un forage d’eau pour les habitants car la source se trouve dans la concession de l’entreprise Ruashi Mining qui ne respecterait pas ses obligations de fourniture de l’or bleu.
C’est ainsi que, tel le colibri, chacun fait sa part, des groupements de femmes aux différentes Eglises en passant par les innombrables associations et ONG. Ce sont elles qui tiennent le Congo debout. Mais le pays ne peut pas se contenter de sparadraps, tant les chantiers sont colossaux. Le président élu devra joindre des actes aux promesses. Comme le rappelle Gilbert, l’animateur du débat, «nous n’allons pas bâtir un pays seulement avec l’éloquence».
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