Elections au Pakistan: le revenant, l’héritier, le proscrit, et toujours les militaires
L’ancien Premier ministre Nawaz Sharif est favori des législatives face à Bilawal Bhutto, fils de Benazir. Le trublion Imran Khan croupit en prison, et l’armée veille au grain.
Le Pakistan, quatrième pays le plus peuplé d’Asie avec plus de 225 millions d’habitants, vit la plus longue période démocratique de son histoire. En 75 ans d’existence, dictatures militaires et régimes civils se sont succédé à proportion presque égale. Mais depuis novembre 2002, les politiques sont restés aux commandes. Les élections législatives du 8 février prochain prolongeront cette lune de miel. De façade. Car d’Islamabad à Karachi en passant par Lahore, nombreux sont les Pakistanais à être conscients que l’armée continue d’œuvrer en coulisses pour favoriser tel ou tel parti, tel ou tel prétendant au gré de ses intérêts.
Le poids de l’armée
Ainsi, figure dominante de la scène politique de ces dernières années, Imran Khan, du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), a accusé l’armée d’avoir ourdi son éviction quand il fut défait par une motion de censure, en avril 2022. Ancienne star du cricket arrivé au pouvoir à la faveur des dernières élections de 2018, il avait commis l’imprudence de s’en prendre à l’institution militaire pendant son mandat. Aujourd’hui, c’est son rival de la Ligue musulmane du Pakistan (N), Nawaz Sharif, qui est donné favori de l’élection. S’il la remporte, il fera son grand retour à la tête du pays après avoir assumé le poste de Premier ministre à trois reprises (entre 1990 et 1993, de 1997 à 1999 et entre 2013 et 2017) et après avoir dû abréger son dernier mandat pour son implication supposée dans une affaire de corruption mise au jour par la publication des Panama papers. Une mise sur la touche qu’il avait imputée aux manigances de… la hiérarchie militaire. «Même quand elle n’est pas directement au sommet de l’Etat, l’armée continue à peser sur les orientations politiques, à veiller à ce que ses intérêts économiques et stratégiques soient pris en compte, et s’emploie à décrédibiliser les gouvernants civils – ces derniers lui facilitant souvent la tâche», analyse Gilles Boquérat, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris, dans Le Pakistan en 100 questions (Tallandier, 2018).
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Dire que c’est un simulacre d’élection, je pense que c’est aller un peu loin.
Son exil forcé à Londres entre 2019 et 2023 et ses déboires judiciaires, atténués il est vrai par une décision en sa faveur de la Haute Cour d’Islamabad, en 2018, n’ont apparemment pas trop nui au vieux routier de la politique pakistanaise qu’est Nawaz Sharif, 74 ans. La Ligue musulmane du Pakistan (N), héritière de la Ligue musulmane qui fut à l’avant-garde de la défense des musulmans au moment de l’indépendance de l’Empire britannique des Indes à la fin des années 1940, est, il est vrai, un des deux piliers de l’histoire politique du Pakistan, avec le Parti du peuple pakistanais (PPP). A la famille Sharif (le frère de Nawaz, Shehbaz, a été Premier ministre d’avril 2022 à août 2023 ; sa fille, Maryam, a ambitionné une carrière avant d’en être empêchée par son implication dans l’affaire des Panama papers), le PPP oppose, lui, la dynastie Bhutto Zardari. Bilawal Bhutto Zardari conduit la liste pour les législatives du 8 février. Il est le fils de Benazir Bhutto, Première ministre à deux reprises (1988-1990 et 1993-1996) avant d’être assassinée en 2007, et d’Asif Ali Zardari, président de 2008 à 2013. Il est aussi le petit-fils de Zulfikar Ali Bhutto, président puis chef du gouvernement de 1971 à 1977…
Elections au Pakistan: le duel dynastique
Le 8 février, le Pakistan renouera avec un duel «dynastique». Aux dernières élections de 2018, la Ligue musulmane du Pakistan (N), cornaquée alors par Shehbaz Sharif, était arrivée en deuxième position, avec 24,4% des suffrages, contre 13,6% au Parti du peuple pakistanais, troisième, déjà emmené à l’époque par Bilawal Bhutto. La Ligue musulmane part donc avec un ascendant certain. D’autant que le vainqueur de 2018, le PTI, a vu son maître à penser, Imran Khan, condamné à dix ans de prison, le 30 janvier, pour divulgation de documents classifiés, être empêché de se présenter, ses militants soumis à une répression intensive et sa structure interdite de concourir en tant que telle au scrutin. Ses candidats peuvent se présenter mais comme indépendants. Difficile, dans ces conditions, d’espérer jouer un rôle majeur. «Nous préférerions une élection à laquelle tout le monde est autorisé à pendre part et où tous les partis sont sur un pied d’égalité, a commenté Munizae Jahangir, la coprésidente de la Commission nationale des droits humains (HRCP), à l’agence France-Presse. Dire que c’est un simulacre d’élection, c’est aller un peu loin, simplement parce que toute élection est bonne à prendre pour le Pakistan en ce moment.»
Le pays est confronté à trois défis principaux, une crise économique sévère, une recrudescence des attentats islamistes et des tensions inédites avec l’Iran. Le 16 janvier, Téhéran a opéré une attaque par missiles et drones contre un sanctuaire présumé au Pakistan du groupe rebelle Jaish al-Adl, qui combat le régime des ayatollahs dans la province iranienne du Sistan-et-Baloutchistan. Jugeant cette ingérence inacceptable, Islamabad a répliqué en bombardant des caches terroristes supposées en Iran, faisant neuf morts. Le Baloutchistan pakistanais et la région voisine iranienne font face à l’activité de groupes séparatistes. Iran et Pakistan s’accusent mutuellement de soutenir les insurgés de l’autre camp. Mais c’est la première fois que le Pakistan intervient militairement en Iran. Dans le contexte proche-oriental de confrontation des groupes chiites pro-iraniens avec Israël et les Etats-Unis au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Irak et au Yémen, un affrontement plus intense entre le Pakistan à dominante sunnite et détenteur de l’arme nucléaire, et l’Iran chiite qui cherche à l’acquérir, ajouterait une source supplémentaire d’inquiétude à une conjoncture déjà extrêmement sensible.
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