Place Vauban, Paris, manifestation en soutien à Marine Le Pen. © AFP

Marine Le Pen: l’échec de sa manifestation, où sont passés les partisans du Rassemblement national?

Marine Le Pen a été condamnée à l’inéligibilité présidentielle pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Rassemblement national (RN). En guise de protestation, et pour exhiber ses «nombreux» soutiens, le parti d’extrême droite a organisé une manifestation ce dimanche 6 avril à Paris. Moins de 7.000 partisans étaient présents. Un «flop» inattendu.

Sur la place Vauban, à Paris, les appels à la mobilisation lancés par le Rassemblement national (RN) pour dénoncer la condamnation de son ex-présidente n’ont pas eu l’écho escompté. La police attendait 8.000 partisans. Le parti, près du double. Au final, un peu moins de 7.000 manifestants occupaient péniblement un quart de la place disponible. «C’est chaud, heureusement les vidéos des télés donnent l’impression qu’il y a du monde, mais s’ils font un plan aérien, on est morts», pestait un cadre du RN face à des journalistes de Libération. La ferveur populaire tant vantée dans les communications du parti était absente. Pendant une semaine, le RN avançait sur les réseaux sociaux des chiffres invérifiables: «20.000 nouveaux adhérents au RN depuis la condamnation», ou encore «500.000 signatures pour une pétition de soutien à Marine Le Pen». Les seules statistiques vérifiables sont celles des 7.000 manifestants rassemblés sur une place pouvant en accueillir quatre fois plus.

Benjamin Briard, chercheur au Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques) et spécialiste des mouvements d’extrême droite, analyse cette maigre mobilisation: «On peut parler d’un échec. Ils n’ont pas obtenu la représentation espérée. On est loin du sursaut populaire. Mais je ne dirais pas que c’est un fiasco total. Le RN a su exploiter la scène en y faisant passer une myriade de personnalités: européennes, nationales ou locales. Ils ont eu l’opportunité de montrer qu’ils sont une institution politique puissante et soudée. Ce qui n’était pas le cas et difficilement imaginable il y a encore quelques élections. C’est un rappel important.»

Pour la famille Le Pen, c’est la deuxième fois qu’une telle condamnation est prononcée. En 1998, Jean-Marie Le Pen avait lui aussi été frappé d’une peine d’inéligibilité. Sa manifestation, en février, sous la pluie, avait attiré pratiquement le même nombre de soutiens que celle de dimanche. En bonus, les manifestants avaient pu déambuler dans Paris. Ce qui a été refusé à Marine Le Pen, cantonnée à une place barricadée par les forces de l’ordre.

Partisans tiraillés

La foule était certes maigre, mais les soutiens à Marine Le Pen ne faiblissent pas. Selon les instituts de sondage Cluster et Elabe, entre 57% et 61% des Français se disent d’accord avec la décision de justice et la condamnation. A l’inverse, 34% la jugent de plutôt à tout à fait injustifiée. L’ex-présidente du RN bénéficie encore d’un soutien et d’une confiance populaire importants, comme l’indiquent ces mêmes sondages, qui la créditent de 32 à 36% des intentions de vote en cas de candidature au premier tour de l’élection présidentielle de 2027.

Pour Benjamin Briard, «Marine Le Pen a su jouer une carte très importante. Elle se positionne en démocrate, capable de se soumettre à la justice. Il faut bien analyser que, dans son discours de « victime », elle attaque une juge ou un collège de magistrats qu’elle associe injustement à une orientation politique de gauche. Elle ne s’en prend pas directement au système judiciaire dans son ensemble et ne remet pas en cause les lois existantes. Marine Le Pen veut se montrer comme une figure respectueuse de la démocratie. Ce qui est un paradoxe fou. C’est tout le contraire.»

Par cette stratégie, et par souci de ne pas saboter les efforts de dédiabolisation de son parti, Marine Le Pen transforme son image d’antidémocrate condamnée en celle d’une pro-démocrate victime d’une «justice partisane, d’un régime totalitaire». Une argumentation fallacieuse qui lui permet de maintenir des projections électorales stables dans les sondages de Cluster et Elabe.

«Marine Le Pen veut se montrer comme une figure respectueuse de la démocratie. Ce qui est un paradoxe fou. C’est tout le contraire.»

Benjamin Briard

Chercheur au Crisp

Fracture au RN?

Une division chez les électeurs du RN se fait sentir, sans pour autant exclure totalement Marine Le Pen comme leur premier choix électoral. 54% des adhérents du RN sondés par Cluster et Elabe estiment que «Marine Le Pen méritait d’être condamnée, mais que la peine semble excessive.» Benjamin Briard nuance: «Ce taux ne reflète pas forcément la fidélité des électeurs à Marine Le Pen ou au RN. Si le parti montre qu’il sait composer avec la condamnation de sa cheffe, il peut en ressortir gagnant. Toujours dans cette logique d’image de démocrates tempérés.»

Autre surprise: 10% des sympathisants du RN considèrent la condamnation comme justifiée, y compris l’inéligibilité. C’est sur cette frange, encore minoritaire, que le RN peut craindre de perdre du terrain. Une fracture semble apparaître entre ceux qui croient aux accusations de sabotage politique, et ceux chez qui un doute s’est installé. «On ne peut pas exclure une perte d’électorat», estime Benjamin Briard.

Autre composante à surveiller, Jordan Bardella, président du parti, ressort renforcé des derniers sondages. Les simulations électorales lui accordent davantage d’intentions de vote que sa mentor. Une première pour celui qui est pourtant, lui aussi, inquiété par une affaire d’emploi fictif au Parlement européen. L’histoire pourrait se répéter rapidement, fin mars 2025, l’association anticorruption Adelibe lui a reproché l’emploi fictif présumé d’un collaborateur parlementaire européen en 2015, ainsi que la fabrication de fausses preuves.

Il est très peu probable que Jordan Bardella soit inquiété par la justice avant les élections présidentielles de 2027. Ce qui fait de lui, de facto, le remplaçant favori de Marine Le Pen. Quant à l’opportunité de tirer profit de la situation pour devenir calife à la place du calife, Benjamin Briard nuance: «Je pense qu’il est trop tôt pour lui. Il faut d’abord voir si Marine Le Pen récupère son éligibilité à l’issue de son recours en appel. Et si elle reste inéligible, rien ne dit que Bardella sera immédiatement perçu comme présidentiable. Il ne bénéficie pas encore de la confiance de tous les membres du RN.»

Un de perdu, vite retrouvé

Au fil des années, le Rassemblement national a su bâtir une base électorale en grande partie issue de la droite traditionnelle. «La droite française s’est encore droitisée ces dernières années, observe Benjamin Briard. C’est encore plus flagrant aujourd’hui quand on analyse les réactions politiques. Marine Le Pen bénéficie d’une certaine clémence, voire d’une compassion au niveau de la classe politique et du gouvernement français

Le chercheur cite l’exemple du Premier ministre François Bayrou, qui a qualifié les attaques contre les juges et la manifestation de «pas souhaitables». Une réaction jugée légère. Ou encore celle du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, souvent accusé de faire le jeu du RN, qui a repris à son compte la rhétorique de l’extrême droite en parlant de «juges rouges» à propos des magistrats chargés du dossier.

Benjamin Briard prévient: «Même dans le cas où l’électorat du RN s’effriterait, il y aura des figures politiques comme Retailleau pour récupérer les voix perdues. Il semble donc peu probable que la condamnation de Marine Le Pen se retourne durablement contre elle ou contre son parti. Et si elle remportait son procès en appel, levant ainsi son inéligibilité, elle pourrait encore se représenter. Sinon, quelqu’un d’autre au RN se chargera de reprendre ses électeurs.»

Les 7.000 militants de dimanche, disparates sur une place trop grande pour eux, ne semblent donc pas refléter l’engouement et la fidélité à l’égard du RN et de Marine Le Pen. Si cette dernière a clivé une partie de son électorat, celui-ci n’a pas changé dans ses intentions de vote. Le Rassemblement national «a échoué sur le terrain» mais «a réussi sa stratégie politique», conclu Benjamin Briard.

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