Jules Gheude
Du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (carte blanche)
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’est posée la question de la décolonisation. L’ONU s’est imposée comme le grand forum en la matière. Par ses résolutions, l’Assemblée générale a posé les fondements d’un nouvel ordre international, conforme aux aspirations des peuples décolonisés.
Dans une récente opinion publiée sur le site de « Doorbraak », le professeur Matthias Storme (KuLeuven) analyse la problématique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au regard de l’Europe.
Il rappelle que ce concept ne relève pas de la compétence de l’Union européenne :
Les peuples qui, au sein de l’Union européenne, aspirent à l’indépendance ou, du moins, à plus d’autonomie, sont parfois enclins à faire appel aux institutions européennes pour les soutenir et intervenir dans les conflits entre les Etats-membres. C’est toutefois un sentier dangereux.
.Il s’agit en effet d’affaires pour lesquelles l’Union n’est pas compétente et ne doit pas le devenir. Il n’appartient pas à l’Union de décider qui a droit à disposer de lui-même ou qui est compétent pour gérer un conflit d’intérêt au sein d’un Etat-membre, comme par exemple entre un pouvoir fédéral et les entités fédérées. Ne nous égarons pas. Ce que nous sommes en droit d’attendre de l’Union, c’est qu’elle respecte l’autonomie des peuples et territoires qui prévaut dans leur relation avec les Etats-membres.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’est posée la question de la décolonisation. L’ONU s’est imposée comme le grand forum en la matière. Par ses résolutions, l’Assemblée générale a posé les fondements d’un nouvel ordre international, conforme aux aspirations des peuples décolonisés.
En ce qui concerne le drois des peuples à disposer d’eux-mêmes, le texte codificateur reste la « Délclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies ».
Ce document fixe bien les lignes générales d’une doctrine onusienne :
Art.1 : « En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte. »
Art.2 : « La création d’un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un Etat indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même. »
Ainsi, le libre choix du peuple est entièrement ouvert : le peuple peut opter pour la souveraineté étatique, s’insérer dans un ensemble ou même se doter d’un statut original.
On se situe bien ici au niveau du droit international pur. Encore faut-il définir ce qu’est exactement un peuple.
Dans son livre « Les Flamands », écrit en 1973, Manu Ruys parle d’un peuple en mouvement, d’une nation en devenir.
Avec la fixation d’une frontière linguistique et l’acquisition de l’autonomie culturelle, la définition de Manu Ruys est tout à fait exacte : le peuple flamand se distingue clairement par son territoire, sa langue et sa culture. Il est soudé par un sentiment collectif d’appartenance. Dans son essai « La Belgique défi », publié en 1961, François Perin compare le peuple flamand à une entité collective dotée d’une sorte d’âme éternelle.
On pourrait en dire tout autant du peuple catalan, dont le droit à disposer de lui-même a tout bonnement été violé par le pouvoir central espagnol à Madrid.
Matthias Storme a bien résumé la question : Il s’agit d’un conflit entre différentes légitimités et donc différents ordres juridiques. Certes, lorsque la Catalogne proclame l’indépendance, elle agit contre la Constitution espagnole. Mais là n’est pas la vraie question. Cette façon d’agir peut parfaitement s’accorder avec la Constitution catalane, de sorte qu’il s’agit d’un conflit entre deux constitutions et d’une question portant sur le rapport entre deux légitimités, dont l’une ne peut pas être seulement subordonnée à l’autre.
L’Union européenne n’est pas habilitée à intervenir dans le cadre d’un différend interne d’un Etat-membre. C’est à celui-ci de le régler.
Pour ce qui est de l’Espagne, il est pour le moins paradoxal de conférer un statut particulier à la Catalogne pour lui dénier ensuite le droit d’exercer sa légitimié démocratique au sein de son propre Parlement. Fort d’une majorité absolue en faveur de l’indépendance, ce Parlement n’a finalement fait que ce pour quoi il a été créé.
Pour Alfred-Maurice de Zayas, professeur de droit international et expert indépendant auprès des Nations Unies, on est clairement confronté ici à un déni de démocratie : Dénier à un peuple le droit de s’exprimer lui-même sur le processus d’autodétermination, dénier la légalité d’un référendum, recourier à la force pour empêcher la tenue d’un référendum, et annuler l’autonomie limitée d’un peuple en guise de punition, constitue une violation de l’article 1er du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Il convient de rappeler ici que la proclamation d’indépendance du Parlement catalan est intervue avant que le Sénat espagnol n’adopte l’application de l’article 155 de la Constitution mettant la région sous tutelle. Au moment où le Sénat se prononce, la région de Catalogne n’existe donc plus. Elle est devenue un Etat souverain, affranchi de la Constitution et des lois espagnoles. Lui seul peut désormais décider de son organisation interne, notamment de la tenue de nouvelles élections.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne semble toutefois sensibiliser l’ONU que lorsqu’il s’agit des anciennes colonies européennes. Elle s’intéresse davantage à la Nouvelle-Calédonie ou à Mayotte qu’aux peuples tibétain et kurde.
En témoigne cet article du « Figaro » du 16 décembre 2021, intitulé « L’ONU oblige-t-elle la France à ‘décoloniser’ la Nouvelle-Calédonie? »
Et Sébastien Lecornu, le ministre français des Outre-mer de reconnaître qu’au sens des Nations unies, l’archipel fait partie d’une liste de territoires qui sont encore à décoloniser.
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