Joël Kotek
« Du droit à la ressemblance » ou l’exemple juif d’intégration
Le chemin de l’erreur est souvent pavé de bonnes intentions. J’en veux pour preuve la récente tribune publiée par Laurence D’Hondt sur le site du Vif-L’express.
Non sans malice, cette journaliste propose de s’inspirer de l’exemple juif pour remédier à l’échec (c’est son mot, pas le mien) de l’intégration des musulmans de Belgique. Pourquoi pas ? Sauf que sa démonstration historique ne tient pas. A l’en croire, en effet, l’insertion des Juifs dans la Cité européenne serait le fait, non des Juifs eux-mêmes, mais de Napoléon qui « désireux … d’assimiler ces populations récalcitrantes décida en 1806 de leur donner l’occasion d’une meilleure intégration, à condition de respecter certaines règles de vie en commun. »
Toute séduisante qu’elle puisse paraître, cette thèse qui en appelle à une posture martiale vis-à-vis de minorités ne correspond en rien à l’expérience juive. L’intégration des juifs ne doit rien au flamboyant Napoléon, mais bien tout aux Juifs qui n’aspiraient qu’à sortir du ghetto où les avaient progressivement enfermé les Princes et l’Eglise. Du Concile de Latran IV (1215) jusqu’au 18e siècle, les Juifs n’avaient cessé, en effet, d’être soumis à de multiples discriminations : port d’insignes spéciaux comme la rouelle, isolement dans des quartiers séparés (ghettos), obligation de pratiquer malgré eux certaines activités économiques honnies, fausses accusations (infanticides), pogromes et exils répétés. Il s’en fallut de peu pour que les Juifs ne disparaissent totalement du continent européen, ayant été expulsés de France, d’Angleterre, d’Espagne, du Portugal et même de Belgique (Brabant, 1370). Assurément Mme D’Hondt ignore que les « récalcitrants », les freins à l’intégration n’étaient pas les Juifs, mais bien ces Princes qui se refusèrent, pour certains jusqu’au 20e siècle (Russie), à répondre à leur demande d’émancipation. Les Juifs n’étaient en rien « récalcitrants« . J’en veux pour preuve l’adresse que les Juifs de Paris présentèrent à l’Assemblée nationale, dès le 26 août 1789, date de la proclamation des Droits de l’Homme et du citoyen. Dans ce document clef, les onze signataires (cinq notables séfarades et six ashkénazes) proclamèrent ni plus ni moins solennellement que, par souci patriotique, ils étaient prêts à « sacrifier » leur autonomie communautaire: « Daignez, Messeigneurs, recevoir cette renonciation formelle que nous déposons entre vos mains. » Qui dit mieux que cette adresse, rédigée 17 ans, avant les pseudo-pressions salvatrices de Napoléon ! Les Juifs français devront, toutefois, attendre 1791 pour voir les révolutionnaires leur accorder, enfin, l’émancipation, et ce, à la grande joie de celui qui fut leur fer de lance, le notable Berr Isaac Berr. Les mots contenus dans sa « lettre à ses confrères » témoignent de ce que « le respect des règles de vie en commun » (dixit Mme D’Hondt) » n’a jamais causé de soucis majeurs aux Juifs : « Il est donc arrivé ce jour, où le voile qui nous couvrait d’humiliation s’est déchiré, nous les récupérons enfin, ces droits, qui depuis plus de dix-huit siècles nous avaient été ravis. (…) Acquittons-nous en ce moment de ce dont nous sommes susceptibles ; prêtons le serment civique d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi. »
Cette lettre démontre à qui veut bien l’entendre que les Juifs se sont toujours revendiqués davantage du « Droit à la ressemblance » qu’au tout aussi légitime « Droit à la différence » ; d’où des intégrations réussies, au-delà de toute espérance, même dans les Etats que… Napoléon n’envahit pas (Angleterre et Etats-Unis) ! Paradoxalement, c’est l’étonnante capacité des Juifs à l’intégration qui explique les pires moments… antisémites. Les persécutions les plus graves ont toujours surgi dans les sociétés où les Juifs étaient le mieux intégrés : dans l’Alexandrie du 1er siècle (Philon), l’Espagne musulmane du 12e s. (Maimonide), l’Espagne chrétienne du 15e s (Abrabanel), la France fin de siècle (Proust), la Russie stalinienne (Trotski), la République de Weimar où 30% des prix Nobel étaient d’origine juive. C’est le juif assimilé, donc invisible qui a toujours suscité la peur ou la jalousie. Pourquoi a-t-on imposé au Moyen-âge la rouelle et sous l’occupation l’étoile jaune, sinon pour rendre (re)visibles des Juifs décidément « trop même ». S’il fallait conclure notre démonstration, il suffirait encore de rappeler que le renoncement à la polygamie ne doit absolument rien à Napoléon. La polygamie fut proscrite par les Juifs ashkénazes dès le 11e siècle, soit 800 ans avant que Napoléon ne les interroge à ce propos. Il en est de même du divorce par consentement mutuel dont le principe est reconnu, dès l’origine, par le judaïsme rabbinique. Enfin et surtout, le respect des lois nationales n’a jamais posé le moindre souci aux Juifs, et ce, au nom du précepte talmudique « Dina demalkhouta dina » (« la loi du roi/pays est ta loi »). C’est fort de ce principe, exprimé en araméen, que les Juifs ont traversé le temps et les civilisations. Ce précepte talmudique est antérieur de 1.500 ans à notre cher Bonaparte. Depuis l’Antiquité, les Juifs ont été amenés à respecter les lois civiles de leur pays d’accueil, sans renoncer pour autant à leur propre spiritualité. L’exemple juif témoigne de ce que l’intégration ne s’impose pas de l’extérieur. Il se désire, se prépare, se vit de l’intérieur.
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