Arnaud Zacharie
Du coronavirus à la crise de la dette des pays en développement
Les pays en développement doivent affronter une crise de la dette en plus de la pandémie du coronavius. Sans annulation de dette, ils n’auront pas les ressources budgétaires pour faire face à la pandémie. Or on ne résoudra pas une crise planétaire en laissant de côté la majorité de la population mondiale.
Alors que dans les pays industrialisés, c’est le choc économique provoqué par le coronavirus qui a déclenché une panique financière, dans la plupart des pays en développement, la crise financière a précédé l’arrivée du virus. La crise économique et financière en Chine et dans les pays occidentaux a en effet provoqué de violents chocs externes qui plongent les pays en développement dans une crise de la dette.
D’une part, la rupture des chaînes de production mondiales et l’effondrement de l’activité dans les pays industrialisés ont entraîné un effondrement du commerce international et une baisse des transferts financiers des migrants vers leur pays d’origine. D’autre part, les prix des matières premières exportées par les pays en développement ont fortement chuté – comme le pétrole, le cuivre ou le coton. Enfin, les investisseurs étrangers ont rapatrié leurs capitaux vers des placements moins risqués, provoquant la plus importante fuite des capitaux de l’histoire des pays émergents (83 milliards de dollars en mars 2020). A son tour, la fuite des capitaux a entraîné une dépréciation des taux de change qui a renchéri le coût des importations et des emprunts contractés par les pays en développement en dollar ou en euro.
La dette totale des pays en développement est passée de 100% à 193% de leur PIB entre 2008 et 2018 – soit le plus haut niveau jamais atteint. Alors que les pays en développement, dont les systèmes de santé sont peu développés, doivent désormais faire face à la pandémie, les chocs externes provoqués par la chute des recettes d’exportation et la fuite des capitaux les menacent d’une violente crise de la dette – aussi bien dans les pays les plus pauvres que dans les pays émergents.
La crise de la dette des pays émergents
Les chocs externes subis par les pays émergents surviennent dans un contexte d’endettement accru des entreprises, mais aussi de certains Etats. Entre 2007 et 2019, la dette des entreprises des pays émergents contractée sur les marchés internationaux a quasiment quintuplé – passant de 500 à 2 300 milliards de dollars. Dans le même temps, les investisseurs étrangers ont acheté le quart des obligations souveraines émises en monnaie locale par les Etats pour financer les infrastructures.
L’exposition en dollar des économies émergentes varie d’un pays et d’un secteur à l’autre. L’endettement croissant en dollar est néanmoins un phénomène généralisé dans les économies émergentes. Seuls quelques rares pays, comme la Corée du Sud, font exception et ont enregistré une baisse de l’endettement extérieur en dollar au cours des dernières années.
Certes, certains pays émergents sont plus armés que d’autres pour faire face à la crise financière, grâce à des excédents courants ou d’importantes réserves de change. Par contre, les pays émergents en déficit courant et dont l’endettement extérieur dépasse les maigres réserves sont beaucoup plus vulnérables et menacés de défauts de paiement.
La crise de la dette des pays pauvres
Les pays les plus pauvres, en majorité africains, se sont également fortement endettés à des conditions de moins en moins favorables ces dernières années, notamment sur les marchés financiers et auprès des bailleurs émergents comme la Chine.
Au cours des années 2000, les économies africaines avaient bénéficié d’une conjoncture favorable grâce à des allégements de dettes, à la hausse du prix des matières premières exportées et à la baisse des taux d’intérêt internationaux, qui a incité une douzaine de pays africains à emprunter un total de 25 milliards de dollars sur le marché des euro-obligations. Certains pays se sont en outre fortement endettés envers la Chine.
Depuis lors, l’endettement extérieur des pays pauvres a continué d’augmenter, alors que la conjoncture s’est assombrie. Au cours des cinq dernières années, la dette commerciale en devises des pays à faible revenu a triplé, pour atteindre 200 milliards de dollars en 2019 selon le FMI, qui considérait avant le choc du coronavirus que 40% des pays les moins avancés étaient en situation de risque élevé de surendettement. Le service de la dette de ces pays représentait en moyenne les deux tiers de leurs budgets cumulés d’éducation et de santé avant la crise. Les chocs externes provoqués par la crise du coronavirus affectent dès lors des économies très vulnérables.
La récession mondiale, la chute des prix des matières premières et la fuite des capitaux représentent autant de chocs externes qui renchérissent le coût des remboursements et menacent les pays pauvres de cessation de paiement. Les taux d’intérêt à payer par les pays à faible et moyen revenu ont augmenté de 3,5 points de pourcentage entre mi-février et fin mars 2020 et le coût des nouveaux emprunts s’est envolé à 10%.
Eviter l’effet boomerang
Les chocs externes dont les pays en développement sont victimes surviennent dans un contexte plus défavorable que lors de la crise de 2008, tandis que l’endettement extérieur croissant a rendu ces pays plus vulnérables envers les chocs externes. Sachant que la pandémie du Covid-19 n’en est qu’à ses débuts dans la plupart des pays en développement, on mesure l’ampleur du défi auquel ils doivent faire face.
L’ONU a lancé un fonds d’urgence humanitaire de 2 milliards de dollars et un fonds de redressement socioéconomique de 1 milliard destinés aux pays en développement, mais l’initiative, bien que nécessaire, semble trop modeste par rapport aux besoins. Pas moins de 85 pays en développement ont déjà fait appel au FMI, qui a mis à disposition différents mécanismes de financement, dont un fonds d’urgence à décaissement rapide dont le montant pourrait atteindre 50 milliards de dollars, mais ce type de financement ajoute de nouvelles dettes et est souvent lié à des conditionnalités.
Des mesures plus ambitieuses sont nécessaires. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) propose ainsi de renforcer les réserves de change des pays en développement via l’émission ou la réallocation par le FMI de l’équivalent de 1 000 milliards de dollars de Droits de tirage spéciaux. Elle propose également d’instaurer des mesures de contrôle des capitaux pour enrayer la fuite des capitaux et de déclarer un moratoire sur le service de la dette extérieure publique des pays en développement, afin de libérer des ressources budgétaires à court terme pour faire face à la pandémie. Elle propose enfin d’élaborer un programme d’annulation de la dette des pays pauvres et de respecter l’engagement des pays donateurs de mobiliser 0,7% de leur RNB en aide au développement pour notamment financer un Plan Marshall pour la santé publique.
Dans le même esprit, plus de 150 ONG ont lancé un appel en faveur de l’annulation sans condition des dettes dues en 2020 par les pays en développement, ainsi que l’instauration sous les auspices de l’ONU d’un mécanisme équitable et transparent de restructuration des dettes souveraines.
Eviter une crise de la dette des pays en développement est dans l’intérêt des pays industrialisés, non seulement parce qu’elle aurait des répercussions sur leur propre système financier qui est lui-même en crise, mais aussi parce qu’il est vain d’espérer venir à bout du coronavirus sans qu’il soit maîtrisé dans les pays en développement. Eviter un tel effet boomerang implique de prendre rapidement les mesures qui s’imposent, car on ne pourra pas enrayer une crise planétaire en laissant de côté la majorité de la population mondiale.
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