Drame de Derna en Libye : la Belgique n’aurait-elle pas pu en faire plus ?
Faute d’un hôpital de campagne dont le déploiement est proscrit en zone de conflit, l’aide est réduite, très réduite.
Au lendemain du séisme au Maroc, la Belgique a déclenché son plan d’intervention d’urgence B-Fast ouvrant la possibilité à un déploiement d’une unité médicale sur place. Rabat a décidé de ne pas solliciter l’aide belge. Préparé, le dispositif ne pouvait-il pas servir utilement en Libye, frappée plus sévèrement deux jours plus tard par la tempête Daniel?
Trois conditions sont requises pour mettre en œuvre une mission B-Fast: le pays sinistré n’est pas en mesure d’apporter l’assistance requise à ses citoyens, il doit faire appel à l’aide de la Belgique, et la région touchée ne peut pas être le théâtre d’un conflit armé. C’est en vertu de ce troisième critère que la Belgique n’a pas déployé d’hôpital de campagne à Derna. Un conflit armé persiste effectivement en Libye. En revanche, la région sinistrée, à l’est de Benghazi, n’a pas connu d’affrontements armés de grand ampleur depuis 2015. Eût-il été possible de distinguer la région du pays?
«C’est la situation sur l’ensemble de la région pertinente qui est prise en compte, justifie le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Nicolas Fierens. La Libye connaît un risque permanent d’instabilité et de violence. Le contrôle effectif des autorités publiques sur le territoire est très variable. Par conséquent, les conditions de sécurité sur l’ensemble du pays demeurent très imprévisibles et dangereuses. Les risques d’affrontements entre des groupes armés sont élevés. Dans ces circonstances, le déploiement d’un hôpital de campagne par B-Fast sur place n’est clairement pas possible. Toutefois, il peut être raisonnablement considéré que, au vu du cessez-le-feu régnant à Derna, les conditions sont actuellement réunies pour que l’aide matérielle d’urgence offerte par B-Fast puisse être effectivement acheminée à la population et lui bénéficier.» Celle-ci, faite de… 240 tentes, sept cents sacs de couchage et de 4 400 kits de première nécessité, a donc été envoyée alors que l’unité médicale, elle, est restée en Belgique.
Eût-il été possible de distinguer la région du pays?
En février de cette année, un hôpital de campagne a bien été déployé par B-Fast dans le sud-est de la Turquie, où un puissant tremblement de terre a fait des dizaines de milliers de victimes. Une région pourtant théâtre d’un conflit armé entre l’armée turque et la rébellion kurde du PKK. Le ministère des Affaires étrangères appelle du reste les Belges qui s’y rendraient à la vigilance en raison du «risque d’attentats terroristes». «La différence avec la Libye est quand même assez grande parce qu’il n’y a qu’un seul interlocuteur officiel et gouvernemental en Turquie, analyse Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain. Se déployer dans une région régie par un gouvernement non reconnu par l’ONU, comme à Derna, est beaucoup plus délicat diplomatiquement pour la Belgique. On pourrait en effet arguer qu’il s’agit d’une région où il y a eu un conflit armé et où il n’y en a plus. Mais ce serait plus simple de l’acter dans un Etat qui n’est pas complètement divisé.» La Libye pâtit donc de son instabilité politique. Ne mériterait-elle tout de même pas un autre traitement? Même rapportée à l’écart entre le nombre de morts recensés en Turquie (cinquante mille) et estimés en Libye (vingt mille), la différence dans l’aide matérielle à la population libyenne pose question.
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