Christian Makarian
Dopage: « Poutine conçoit le sport comme un procédé de rééquilibrage médiatique »
Par une décision cinglante de l’Agence mondiale antidopage (AMA) en décembre dernier, la Russie s’est vue suspendue des grands événements sportifs mondiaux pour les quatre prochaines années.
Ce qui englobe les Jeux olympiques de Tokyo de 2020 et la Coupe du monde de football au Qatar, en 2022. La décision est justifiée par la falsification, jugée massive, de données de contrôle du laboratoire antidopage de Moscou. C’est la première fois qu’une nation d’une telle importance est ainsi sanctionnée, ce qui revient à un camouflet pour Vladimir Poutine, quand on sait combien le sport est, à ses yeux, une arme politique au service de l’influence et du prestige de son pays sur la scène internationale. A de nombreuses occasions, ces dernières années, le président russe a exalté la fierté de son peuple en obtenant avec une grande détermination l’organisation de manifestations sportives de niveau planétaire : Championnats du monde d’athlétisme (2013), Jeux olympiques d’hiver à Sotchi (2014), Mondiaux de natation (2015), Mondial de hockey sur glace (2016). Il n’a pas hésité à contribuer lui-même, caparaçonné, à la popularité de ce dernier sport. Enfin, la Russie s’est montrée très motivée, et bien organisée, pour recevoir le Mondial de football en 2018, dont la cérémonie d’ouverture, remarquablement orchestrée, s’était faite en présence de 17 chefs d’Etat étrangers. Il n’est pas excessif de dire que la Russie est redevenue, sous Poutine, une puissance majeure du sport mondial et qu’elle y voit une forme de soft power particulièrement efficace.
Poutine conu0026#xE7;oit le sport comme un procu0026#xE9;du0026#xE9; de ru0026#xE9;u0026#xE9;quilibrage mu0026#xE9;diatique.
Or, l’origine de la sanction de l’AMA provient de l’intérieur même de la société : elle repose sur les révélations d’un couple de lanceurs d’alerte russes, enquête poursuivie par la chaîne de télévision allemande ARD. Les confessions de l’ancien directeur du laboratoire antidopage de Moscou, réfugié aux Etats-Unis, ont également joué un rôle déterminant pour orienter les soupçons vers les responsables russes qui ont manipulé les résultats des tests. Ce qui pose ouvertement la question de la mainmise du pouvoir politique sur les instances dévolues au contrôle des sportifs et, plus largement, sur les limites dépassées par les siloviki (les hommes forts du Kremlin issus d’organismes d’Etat) dans leur férocité à tout contrôler. Les craquements dans le système, répercutés par des réseaux sociaux très actifs, doivent faire réfléchir. Au-delà du sport, il s’agit là d’un revers de taille dans la logique du soft power très spécifique que recherchent les pays illibéraux. Si ce terme a été forgé pour désigner l’aura qu’ont pu atteindre les Etats-Unis au titre de leurs valeurs démocratiques, de leur mode de vie et de leur style de civilisation, il a acquis un tout autre sens entre les mains de systèmes autoritaires tels que la Russie ou la Chine.
Il y a dans le soft power une logique intrinsèque d’attraction. Ce qui n’est pas le cas de la Russie, pour laquelle il s’agit là d’une forme d’affirmation de la puissance par d’autres moyens que le hard power (les moyens d’action traditionnels d’un Etat que sont la force militaire, le poids diplomatique, les grands conglomérats économiques…). La Russie a montré qu’elle était inflexible en Ukraine, incontournable en Syrie, de nouveau agissante en Amérique latine, entreprenante en Afrique. Face à ce bilan offensif, elle conçoit le soft power, notamment sportif, comme un procédé de rééquilibrage médiatique, un correcteur d’image. Il vient s’ajouter à d’autres initiatives qui visent le même but. Après une chaîne d’information comme Russia Today, qui émet en plusieurs langues (russe, anglais, arabe, espagnol, français, bientôt allemand), les restrictions imposées aux ONG étrangères, l’élaboration d’un Internet russe et, bientôt, d’un Wikipédia verrouillable, le pouvoir poutinien redouble d’efforts pour dominer la perception qu’il engendre. Ce qui renforce d’autant plus sa nature autoritaire.
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