Nesrin Abdullah © DR

« Donner 6 milliards à la Turquie, c’est ridicule. Nous pouvons accueillir les réfugiés syriens pour seulement un « 

Naomi Skoutariotis Journaliste pour Knack.be

Nesrin Abdullah est une des commandantes des unités de défenses féminines kurdes. Un mouvement qui défend, au sens littéral du terme, le droit des femmes dans la région de Rojava, dans le nord de la Syrie. « Nous ne devrions pas accepter une occupation politique ou une domination masculine. ». Interview.

Le nom de la brigade à laquelle elle appartient, La YPJ, n’indique pourtant pas qu’elle est kurde puisque « celle-ci veut défendre toutes les femmes » dit Nesrin Abdullah. Ces femmes, qui viennent d’un peu partout dans le monde, se battent sur le front, mais endossent aussi une mission éducative en formant les femmes et en les initiant à la stratégie militaire.

Où se situe la YPJ sur l’échiquier des mouvements féminins ?

YPJ n’est pas uniquement une unité militaire, c’est aussi et surtout un mouvement international. Nous pensons que nous sommes la première organisation qui se bat sur le terrain pour les droits des femmes. Beaucoup d’armées ont des femmes dans leurs rangs, mais ces dernières sont souvent cantonnées à l’administratif. Nous sommes des femmes apatrides. Nous souhaitons nous libérer de toute influence politique et la domination masculine. Nous voulons une justice sociale et l’égalité entre les hommes et les femmes. La bataille sera longue.

Selon vous quel rôle joue la Turquie dans le conflit syrien ?

La Turquie n’a pas envie de résoudre le conflit. Soit elle combat, soit elle bloque toute solution politique. Des prisonniers de l’État islamique qui viennent de la région d’Alep ont déclaré il y a quelques jours qu’ils avaient utilisé des armes chimiques contre les Kurdes avec l’aide de la Turquie. Ce pays est peu à peu en train se transformer en ennemi des Syriens.

Que pensez-vous de la fermeture de la frontière syro-turque, alors que près de 50.000 personnes seraient bloquées selon l’ambassadeur turc de Belgique ?

Avant la révolution syrienne, la frontière était déjà en grande partie fermée. Elle a ensuite été complètement ouverte pour permettre le trafic de pétrole. Ensuite, pour tarir la source de l’État islamique, nous avons fermé une grosse partie des 500 kms de frontière. Aujourd’hui seule une portion de 80 kms reste ouverte. La Turquie perçoit cette courte portion comme l’un des derniers moyens de venir en aide à l’EI. Les soldats turcs et les combattants de l’EI ne sont qu’à 50 mètres les uns des autres. Je vous raconte ça pour vous montrer à quel point le lien entre l’EI et la Turquie est bien réel.

Quel avantage tire la Turquie d’une insécurité en Syrie ?

La Turquie veut se placer comme l’un des pays les plus puissants du Moyen-Orient et Tayipp Erdogan, le sultan, est un fervent défenseur d’une vision ottomane. Il pense que si tous les autres pays de la région sont affaiblis, la Turquie n’en sortira que plus forte. La Turquie utilise systématiquement la crise des réfugiés contre l’Europe. Elle impose sa volonté à l’Union européenne. « Si vous ne nous inondez pas d’argent, alors nous laisserons les réfugiés vous engloutir ». La Turquie utilise les réfugiés comme un simple levier de pression.

Vous voyez une solution à la crise des réfugiés ?

A Rojava, nous accueillons près d’un demi-million de personnes. Certains le sont dans l’un des 7 camps auquel nous fournissons soutien et infrastructure et d’autres le sont chez des amis ou familles de la ville.

L’administration de Rojava a décidé d’accueillir tous ceux qui souhaitaient revenir au pays parce que nous pensons qu’il est bénéfique pour les gens de revenir sur leur propre terre. Mais pour cela nous avons besoin de l’aide internationale. La solution des Turcs qui proposent que l’Europe lui donne 6 milliards pour accueillir les réfugiés est ridicule. Nous n’avons pas besoin d’autant. Pour un milliard, ou même moins, nous pourrions accueillir ces réfugiés et les faire revenir dans leur pays.

Que pensez-vous des USA qui soutiennent les Kurdes dans leur lutte contre l’État islamique, mais ne bougent pas le petit doigt lorsqu’il s’agit d’indépendance.

Nous nous le demandons également. Ils ne font affaire avec nous qu’en tant qu’entité militaire. Mais nous ne sommes l’armée de personne. Nous ne voulons pas que la communauté internationale ne nous perçoive que comme une armée. Le processus de paix de Genève ne sera possible que si nous sommes aussi conviés à la table des négociations. Voir l’EI uniquement d’un point de vue militaire est une erreur parce qu’il s’agit avant tout d’une idéologie. Et qu’il faudra un effort international pour en venir à bout.

Vous ne parlez que de l’EI, mais c’est le président syrien qui est responsable pour le plus grand nombre de morts.

Le régime d’Assad soutient l’EI. Ce dernier est utilisé par le régime pour combattre toutes les forces qui se battent pour la démocratie. Nous battons aussi contre le régime d’Assad lorsque l’on combat l’EI. Pour amener la paix en Syrie, il n’y a qu’une option politique. Dans nos yeux cela ne peut se faire que dans une Syrie démocratique, pluraliste et décentralisée.

Avec l’aide de l’occident ?

Avec l’aide de n’importe quel pays démocratique qui le souhaite. Celui qui veut venir aider peut prendre une partie à sa charge. Mais pas au détriment du peuple syrien.

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