Diamants russes: « Le gouvernement belge a intérêt à ce que l’on trouve une solution le plus vite possible »
Les pays du G7 s’y engagent. Il existe une alternative à la traçabilité à 100% prônée par Anvers, qui prendrait du temps à mettre en place, soutient le chercheur Hans Merket.
Engagement des pays du G7 lors du sommet d’Hiroshima du 19 au 21 mai et promesse verbale du président du Conseil européen Charles Michel: le moment où l’Union européenne inclura le commerce du diamant russe dans l’arsenal de ses sanctions contre Moscou pour l’invasion de l’Ukraine se rapproche. La résistance de la Belgique à cette issue, motivée par l’importance de la place d’Anvers dans ce secteur, ne sera pas éternelle.
La société russe Alrosa, premier producteur mondial en volume et, jusqu’il y a peu, importateur d’un tiers des diamants traités à Anvers, en sera la principale cible. Cependant, les informations manquent encore sur les modalités et le timing du futur embargo, sans doute parce que des divergences subsistent entre les Etats-Unis et l’Union européenne sur la question. Pour y voir plus clair, Hans Merket, chercheur à l’International Peace Information Service (Ipis), à Anvers, dresse un état des lieux du débat.
Sur les sanctions visant les diamants russes, le G7 a formulé une déclaration d’intention mais il n’a pas encore présenté de proposition concrète. Pourquoi?
Le G7 a franchi un pas supplémentaire vers un processus utilisant la technologie de la traçabilité pour décider un embargo sur le diamant russe. Mais on n’en connaît pas encore les modalités. Cela semble indiquer qu’un consensus n’a toujours pas été trouvé pour le mettre en œuvre. Apparemment, des différences de vue subsistent entre les deux grandes puissances du marché du diamant au sein du G7, les Etats-Unis et l’Union européenne. Les premiers sont plutôt un marché de consommation ; ils représentent presque 50% des achats de diamants de joaillerie dans le monde. Avec la place d’Anvers, l’Union européenne est avant tout un centre de commerce du diamant. Plus un pays est proche des consommateurs, plus il est exposé à une perception négative de leur part, plus il est soumis à la pression du marché. C’est le cas des Etats-Unis. Au contraire des entreprises de joaillerie, les grands diamantaires actifs en Belgique ne sont pas des noms connus. Leur société est moins susceptible de pâtir d’une publicité négative. Je pense que c’est la Belgique qui détermine la position de l’UE. Le secteur diamantaire anversois réclame une technologie très stricte en cas d’embargo sur les diamants russes pour que ses concurrents, à Dubaï ou à Mumbai (Bombay) ne profitent pas du commerce qui lui échapperait.
Le gouvernement belge a intérêt à ce que l’on trouve une solution le plus vite possible.
Hans Merket, chercheur à l’International peace information service (Ipis) à Anvers.
Si on suit Anvers, un embargo ne serait possible que s’il s’accompagne de la mise en place d’un système de traçabilité technologique.
Entre la mine et le marché de la consommation, un diamant est l’objet de nombreuses transactions, d’une vingtaine à une trentaine. Un exemple: le processus de Kimberley (NDLR: régime de certification des diamants créé en 2003 pour lutter contre les «diamants de sang») prévoit un système de certificats pour les diamants bruts. Une fois ceux-ci polis, il ne s’applique plus. Chaque transaction est validée par un certificat. Mais il n’y a pas de coopération pour connecter tous ces certificats. Si on peut assurer une chaîne entre ceux-ci, on pourrait garantir l’origine des diamants. Les Etats-Unis seraient enclins à se satisfaire de ce modèle de certificats combinés pour adopter un embargo sur l’industrie diamantaire russe. Mais le procédé laisserait trop d’opportunités de contournement à des acteurs mal intentionnés. C’est la raison pour laquelle les Européens réclament un système de traçabilité basée sur la technologie.
Trouver une solution de ce type prendra du temps. N’est-ce pas une façon pour les Européens et pour les Belges de retarder l’entrée en vigueur d’un embargo?
Il est vrai que si on veut vraiment une technologie qui garantit à 100% qu’aucun diamant russe ne pénétrera sur le marché des pays du G7, cela prendra des années. Mais il existe des technologies qui sont à un stade plus avancé et qui permettent déjà aujourd’hui d’assurer une traçabilité pour les diamants de plus d’un carat. Si on voulait recourir à ce type de système pour les diamants russes, il faudrait, certes, accorder du temps à ce secteur pour affiner le processus et au commerce du diamant pour s’adapter. Mais il s’agirait d’une question de mois et pas d’années.
Quelles pourraient être les étapes suivantes en vue de l’instauration d’un embargo?
Au vu de l’engagement qu’ils ont pris, les Etats du G7 seront tenus d’agir. Mais cela pourrait prendre du temps. Ce ne sera pas pour le paquet de sanctions actuellement en discussion. Cela devrait être possible lors du prochain train de mesures. Le plus réalisable et le plus efficace serait que les dirigeants du G7 annoncent un plan d’action à échéance de deux ou trois mois avec des exigences de traçabilité pour les diamants plus gros qu’un carat. Etant donné que la technologie progresse et que l’industrie aura eu le temps de s’adapter, ils pourraient aller un cran plus loin à l’horizon de six mois.
La solution intermédiaire de traçabilité serait-elle acceptable pour Anvers et pour la Belgique?
Il faut distinguer la position du secteur diamantaire et celle de la Belgique. L’Antwerp World Diamond Centre, la fédération belge du diamant, souhaite une solution qui n’offre aucune opportunité à ses concurrents de profiter d’un embargo sur le diamant russe. A ses yeux, l’option intermédiaire n’est pas suffisamment intéressante. Pour la Belgique, la question est plutôt politique et diplomatique. La position du gouvernement belge sur l’importation des diamants russes donne lieu à beaucoup d’articles de presse négatifs. D’une manière qui n’est pas complètement correcte ou justifiable quand on voit que les Emirats arabes unis et l’Inde ne font pas l’objet d’autant de critiques. Le gouvernement a donc intérêt à ce qu’on trouve une solution le plus vite possible pour éviter que la situation continue à nuire à l’image du pays en tant qu’acteur mondial.
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Idéalement, l’instauration d’un embargo sur les diamants russes ne nécessiterait-elle pas la coopération de l’Inde et des Emirats?
Oui et non. On n’a pas besoin d’une coopération au plan politique. Il faut que les acteurs privés acceptent de coopérer. Il y a déjà eu des réunions entre les Etats-Unis, la Belgique et les acteurs du commerce du diamant en Inde. J’ai l’impression qu’établir une coopération ne poserait pas trop de problèmes. Comme les pays du G7 abritent 70% du marché de la consommation, leurs entreprises de joaillerie ont un certain pouvoir pour réclamer de tous les acteurs de leur chaîne d’approvisionnement qu’ils suivent les règles que les Etats imposeraient. Cela signifierait que l’Inde et les Emirats arabes unis devraient scinder leur production en deux chaînes, l’une pour les diamants russes et l’autre pour les diamants réservés à l’exportation vers les pays du G7. Les diamants russes pourraient être revendus dans les marchés domestiques des autres Etats.
Une technologie qui garantit à 100% qu’aucun diamant russe ne pénétrera le marché des pays du G7 prendra des années.
La place d’Anvers est-elle déjà affectée par l’impact de la guerre sur l’industrie diamantaire russe?
C’est difficile à déterminer parce qu’il n’y a pas trop de transparence dans le secteur. On sait cependant que les importations directes de diamants bruts de Russie vers Anvers ont diminué depuis environ dix mois. Jusqu’en juin 2022, le chiffre de ces importations était encore très élevé. Elles ont commencé à diminuer par la suite. Si l’on compare les chiffres de 2022 à ceux de 2021, on observe une réduction de 20% des importations de diamants bruts en valeur et une diminution de 50% en volumes. Généralement, ce sont les diamants de plus grande valeur qui ont encore trouvé leur chemin vers Anvers. Mais il est possible que les diamants soient arrivés dans la métropole de façon indirecte. On a observé depuis le début de la guerre en Ukraine que la Russie a exporté beaucoup de diamants avec des certificats d’origine mixte, ce qui est possible dans le cadre du processus de Kimberley en cas de mélange de ces diamants. La Russie est un pays de production de diamants, elle n’en est pas un pays de commerce. Elle utilise beaucoup de ces certificats d’origine mixte pour exporter ses diamants. Cela rend le traçage plus difficile. De surcroît, la production du groupe Alrosa comprend beaucoup de diamants de poids réduit pour des raisons géologiques.
Existe-t-il des marchés de substitution à la Russie pour l’industrie diamantaire d’Anvers?
Il y a des possibilités. Mais remplacer un marché par un autre ne s’opère pas très facilement. En 2022, Anvers a réussi à remplacer le déficit dans la production d’Alrosa par celle de son grand rival, De Beers. Selon les estimations, Alrosa a perdu presque un milliard de dollars en revenus, et De Beers a augmenté ses rentrées d’un montant presque équivalent. Cette substitution a été possible parce que De Beers disposait de beaucoup de stocks. La société a aussi essayé d’augmenter sa production. Mais pour atteindre cet objectif sur une grande échelle, elle a besoin de temps et d’investissements pour agrandir ses mines. Cela peut prendre un ou deux ans avant qu’une mine puisse accroître sa production. En plusieurs années, il serait effectivement possible de remplacer la production russe par celle de mines africaines. Depuis plusieurs années, les productions du Botswana, de l’Angola et de l’Afrique du Sud n’arrivent plus directement à Anvers. Dubaï s’est emparé de ce commerce. La production des mines africaines reste toujours associée à l’image négative des «diamants de sang». Aujourd’hui, cependant, les Etats africains où subsistent des problèmes de cet ordre sont une minorité.
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