Mélanie Geelkens
« Des torgnoles, elles s’en prendront. Plus que d’habitude. Confinées avec des cons finis »
La ligne d’urgence ne sonne pas davantage. Comment pourraient- elles appeler ? Planquées dans la salle de bains, enfermées dans les toilettes, réfugiées dans la cave ? Le courage plus grand que la boule au ventre, le désespoir plus fort que la beigne qu’elles risqueraient ?
Non. Elles ne téléphoneront pas.
Mais bon. Les ministres compétentes répètent l’existence du » 0800/30.030, Ecoute violences conjugales « . Les associations mettent en place des permanences téléphoniques. Les centres d’accueil resteront ouverts. Bien que des places libres, il n’y en avait déjà presque plus avant le virus. Les gouverneurs des provinces sont appelés à mettre en place des structures provisoires d’accueil pour les » publics précaires « . SDF et femmes battues, même combat.
Elles n’iront quand même pas.
Mais bon. Des torgnoles, elles s’en prendront. Plus que d’habitude. Comme les Italiennes. Comme les Chinoises. Confinées avec des cons finis. Plus d’école où amener les gosses. Si peu de courses à faire au supermarché. Huit heures de travail en moins sur la journée. Huit heures d’échappatoire en moins. Huit heures de promiscuité en plus. Les tensions, le stress et les sévices peuvent grimper à l’échelon supérieur. Les baffes verbales peuvent devenir physiques. Escalade.
Pour elles. Pour leurs enfants éventuels.
Mais bon. Les autorités espagnoles ont annoncé un plan national d’urgence contre les violences au sein du couple. Avec campagne de prévention, distribution de guides de ressources, services de tchat et de messageries instantanées avec géolocalisation. En Italie, une association féministe a créé un podcast, Le Journal de la quarantaine transféministe, où des femmes partagent, chaque jour, leur quotidien sous coronavirus. Et, parfois, leurs coups. En Chine, certaines ont lancé le hashtag #????? (#AntiDomesticViolenceDuringEpidemic) sur les réseaux sociaux. D’autres ont bricolé des pancartes, distillées dans la ville de Wuhan, pour inciter les voisins à ne pas fermer les yeux et les oreilles. Un coup, encore faut-il le voir. Encore faut-il l’entendre. Encore faut-il que la police se déplace, tout occupée à verbaliser les égoïstes qui ne cessent de se rassembler.
Elles vont ramasser.
Mais bon. D’habitude, tout le monde s’en fout. Comme dirait Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique, les mains conjugales dans la gueule n’ont jamais ému aucun politique au point qu’il décide de mettre dix millions sur la table et de décréter que cela a assez duré. Alors le Covid-19 arrache une pensée émue pour celles-là. Tant mieux.
Mais elles vont continuer à ramasser.
Et bon. Il y aura toujours bien quelqu’un pour dire qu’ils ramassent aussi, parfois. Un lecteur avait même écrit, une fois, pour expliquer en long et en large qu’en fait, les femmes tapaient autant que les hommes, mais qu’elles avaient moins de force, alors ça se voyait moins. A celles et ceux qui, envers et contre toutes les statistiques officielles et policières, continuent à affirmer que la violence au sein des couples est symétrique, Francis Dupuis-Déri (professeur de sciences politiques à l’université de Québec à Montréal et spécialiste du masculinisme) répète inlassablement qu’il » suffit de regarder qui arrive à la morgue « . Soit quatre à cinq femmes, pour un homme. » Et encore, parfois tué par autodéfense ou pour protéger les enfants. »
Une fois l’épidémie passée, faudra-t-il compter nos mortes ?
Les femmes sont en première ligne face au Covid-19 : elles constituent plus de 90 % du personnel soignant au contact direct des malades. » Les politiques de santé publique ne se sont pas intéressées jusqu’ici aux impacts genrés des épidémies « , déplore la revue scientifique britannique The Lancet. Or, » déterminer la manière dont elles affectent différemment les femmes et les hommes est une étape fondamentale pour comprendre les effets des situations d’urgence sanitaire « . Ce personnel soignant, ultramajoritairement féminin donc, y court d’énormes risques d’infection, est trop peu protégé, » pour une grande partie non payé ou sous-payé » et soumis à des horaires infernaux. En Italie, l’une des photos emblématiques de la tragédie, c’est une infirmière, exténuée, endormie sur son bureau. Le coronavirus servira-t-il de déclic ?
Ils ne sont pas » prioritaires « . Alors les centres de planning familial travaillent avec des masques confectionnés par de bonnes âmes. Mais ils continuent : les IVG ne cessent pas d’être pratiquées. D’autant que quelques hôpitaux, postposant des interventions non urgentes, renvoient les femmes vers ces centres. La possibilité d’avorter reste réelle, en temps de confinement. Et elle pourrait se révéler plus que nécessaire, en cas d’épidémie de violences conjugales…
» Nous espérons que l’esprit de combat de Mulan continuera à inspirer ceux qui travaillent si dur pour nous garder en vie. » (Le message Instagram du compte Mulan, annonçant le report de la sortie du film adapté du dessin animé de Disney). L’histoire est tirée d’une légende chinoise qui voit une jeune fille se faire passer pour un homme, résister aux envahisseurs… et gagner!
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