Le nombre élevé de victimes civiles est un élément qui interpelle dans le débat sur la nature de l’opération israélienne à Gaza. © getty images

Des actes de génocide commis par Israël à Gaza? La justice internationale doit trancher

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La Cour internationale de justice examine une plainte déposée par l’Afrique du Sud. Un moyen de pression supplémentaire pour arrêter l’opération israélienne.

Les Etats parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948 en réponse aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale, ont l’obligation de prévenir une telle situation. C’est forte de cet engagement que, le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé, devant la Cour internationale de justice à La Haye, une plainte contre Israël, accusé de «se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza». L’Afrique du Sud et Israël sont signataires de la Convention.

La Cour tient sa première audience dans cette affaire ces 11 et 12 janvier. Elle ne se prononcera pas sur le fond dans un premier temps – cet examen exigera des mois – mais sur la possibilité de prendre des mesures d’urgence pour prévenir des actes potentiels de génocide. Dans la batterie des dispositions envisageables, Israël pourrait être enjoint de cesser ses opérations, de renoncer aux déplacements de population ou de permettre un accès plus direct à l’aide humanitaire. Rien ne dit que le gouvernement de Benjamin Netanyahou se plierait à ces éventuelles demandes. Mais un arrêt en ce sens de la CIJ aurait valeur de condamnation morale et accroîtrait la pression sur les autorités israéliennes. Plus le bilan des pertes humaines dans la bande de Gaza s’alourdit (près de 23 000 morts en date du 9 janvier, des miliciens du Hamas mais aussi beaucoup de civils), plus les méthodes et l’objectif de l’opération Glaive de fer sont questionnés. Et plus la position des Etats parties à la Convention contre le génocide est sujette à caution. Principaux alliés d’Israël, les Etats-Unis pourraient donc être mis un peu plus sur la sellette. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir si la nouvelle tournée du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken peut influencer l’attitude du gouvernement israélien.

L’opération israélienne n’est pas le déclenchement ex nihilo d’une guerre d’extermination.

Génocide: conditions d’existence

Au-delà de ces considérations importantes et conjoncturelles, la saisine de la Cour internationale de justice pose fondamentalement la question de savoir si Israël commet des actes de génocide dans sa guerre contre le Hamas. Des actes matériels et une intention avérée de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux doivent être réunis pour attester de la réalité d’un génocide (lire en page 35). A propos des premiers, l’Afrique du Sud argue que des meurtres, des atteintes graves à l’intégrité physique de membres du groupe national formé par les Palestiniens, et une soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle peuvent être reprochés à Israël à Gaza. A l’appui de la détérioration des conditions d’existence des Gazaouis, Pretoria cite notamment les expulsions et déplacements de masse, la destruction d’habitations et de zones résidentielles, la privation de l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’aide médicale, à un abri, à l’hygiène… Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a réagi à l’initiative sud-africaine en assurant que «l’armée [israélienne] fait tout pour éviter de blesser des civils alors que le Hamas fait tout pour leur nuire et les utilise comme boucliers humains». Son ministre des Affaires étrangères, Israël Katz, a, lui, évoqué «une exploitation bon marché de la Cour internationale de justice».

Au sujet de l’intention prêtée à Israël de commettre des actes de génocide, l’Afrique du Sud se fonde notamment sur des déclarations de dirigeants israéliens concernant la nature de l’opération de représailles au massacre de 1 200 Israéliens par le Hamas, le 7 octobre. «C’est toute une nation qui en est responsable. Elle n’est pas vraie, cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas au courant et ne sont pas impliqués. Ce n’est absolument pas vrai… Et nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale», avait notamment argumenté, le 12 octobre, le président Isaac Herzog pour justifier la guerre totale contre les Palestiniens de la bande de Gaza. Il s’agit d’«une lutte entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, entre l’humanité et la loi de la jungle», avait de son côté avancé Benjamin Netanyahou, le 16 octobre.

Le déplacement de population crée des conditions d’existence désastreuses qui peuvent participer d’un acte de génocide.
Le déplacement de population crée des conditions d’existence désastreuses qui peuvent participer d’un acte de génocide. © getty images

Réponse à une attaque terroriste

Prouver l’intention génocidaire est le critère le plus compliqué à établir pour incriminer un Etat ou un individu. A propos de l’offensive israélienne à Gaza, des responsables d’instances de l’Organisation des Nations unies ont avancé l’hypothèse d’un génocide en cours. Le 28 octobre, Craig Mokhiber, le directeur du bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, démissionnait arguant qu’«une fois de plus, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux, et l’organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter». Le 16 novembre, plusieurs directeurs actuels ou anciens d’institutions onusiennes publiaient une déclaration dans laquelle ils se disaient «convaincus que le peuple palestinien court un grave risque de génocide». «Les alliés d’Israël portent également une responsabilité et doivent agir […] pour empêcher son action désastreuse», soulignaient-ils.

Les alliés d’Israël portent également une responsabilité et doivent agir.

Cette thèse de la perpétration d’un génocide par Israël est contestée par un spécialiste de la question. L’historien Vincent Duclert, qui a présidé la commission chargée de faire la lumière sur le rôle de la France dans les événements qui ont permis le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, a avancé, dans une interview au quotidien Libération, deux faits occultés, selon lui, dans la thèse du génocide en cours contre le peuple palestinien. «L’un porte sur l’immédiat: l’opération israélienne est une réponse à l’attaque terroriste du Hamas, et non le déclenchement ex nihilo d’une guerre d’extermination au moyen d’une catastrophe humanitaire intentionnellement créée. L’autre [porte] sur la longue durée: la colonisation israélienne (NDLR: invoquée par l’Afrique du Sud comme arrière-fond historique de l’éventuelle politique génocidaire d’Israël) ne résulte pas d’un pouvoir tyrannique faisant du peuple palestinien un ennemi existentiel à détruire absolument. Ce discours est porté par des mouvements extrémistes juifs israéliens, mais il ne se confond pas, ou pas encore, avec le discours de la nation israélienne, et il est vivement combattu par une opposition juive en Israël et dans le monde.»

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