« Défense totale »: comment les Suédois se préparent mentalement à la guerre
Boîtes de conserve, filtre à eau portable, pharmacie et radio. « Voilà ce que l’Etat recommande de stocker » pour tenir les premiers jours d’une guerre, selon l’expert en survie Harry Sepp. Une initiation au « prepping », la préparation aux situations de crise, est tout aussi utile.
Les « Suédois doivent se préparer mentalement à la guerre« , a déclaré en janvier le commandant en chef des forces armées suédoises Micael Bydén, alarmant une partie de ses compatriotes. Il a incité la population à s’interroger sur son degré de préparation face à une Russie offensive, tandis que la Suède est devenue il y a quelques jours le 32e membre de l’Otan.
« Ces déclarations étaient nécessaires. Souvenez-vous de la situation au moment de la pandémie du Covid », relève Harry Sepp, un expert en survie à la retraite, qui a assuré des formations pendant plus de 20 ans. Devant sa voisine, l’ancien formateur insiste sur la petite radio à dynamo qui se recharge à la manivelle : « c’est le plus important car si vous ne savez pas ce qui se passe dehors, vous n’allez pas savoir combien de temps vous devez tenir ».
Rebecca, la voisine qui assiste à la démonstration et n’a pas souhaité donner son nom de famille, s’imprègne de ces conseils. « Vous pouvez préparer le matériel mais cela ne veut pas dire que vous êtes mentalement prêt à une guerre« , fait valoir cette mère de trois enfants.
Les autorités suédoises ont réactivé leur concept de « défense totale » en 2015, après l’occupation de la Crimée par la Russie et intensifié cet effort après l’invasion de l’Ukraine en 2022, nommant un ministre de la Défense civile. Sur le plan militaire, la Suède a réintroduit en 2017 une conscription limitée, rouvert l’année suivante une garnison sur l’île de Gotland dans la mer Baltique et massivement augmenté ses dépenses de défense après les avoir réduites pendant la Guerre froide.
Le principe de la défense totale ? « Chacun peut contribuer et a le devoir de contribuer » à la défense, explique à l’AFP Charlotte Petri Gornitzka, la directrice générale de l’agence suédoise des contingences civiles (MSB), chargée de coordonner les préparatifs en cas de crise.
De l’eau pour trois jours
« Si vous êtes en bonne santé, vous devez pouvoir prendre soin de vous pendant une semaine » car « l’Etat s’occupera de ceux qui en sont le moins capables », souligne-t-elle. Dans ce cadre, la brochure « En cas de crise ou de guerre », envoyée à 4,9 millions de foyers suédois en 2018 et traduite en 14 langues, va être actualisée d’ici à la fin de l’année. La Suède n’a connu aucune guerre depuis 210 ans mais a cultivé sa défense civile pendant la Guerre froide avant de la délaisser après l’effondrement de l’URSS. Après les déclarations du chef de l’armée, le MSB a commandé un sondage sur la réaction de la population. Un tiers des 1.000 personnes interrogées ont ressenti une anxiété accrue, particulièrement les jeunes, et une personne sur trois a réfléchi davantage à la préparation de son domicile.
Pour autant, « la préparation des foyers (à la guerre, ndlr) est un processus de changement très long, qui évolue très lentement », estime Herman Andersson, chercheur à l’agence suédoise de recherche sur la défense (FOI). Exemple, plus d’un Suédois sur deux estime n’avoir suffisamment à boire que pour trois jours maximum en cas de coupure de courant et ce taux n’a pas changé entre 2018 et 2022, selon l’étude effectuée par le chercheur.
Martin Svennberg, un ingénieur informatique de 52 ans, se passionne depuis cinq ans pour le +prepping+, la préparation aux situations de crise. « Nous vivons en paix depuis si longtemps en Suède que nous avons oublié les dégâts que provoque une guerre », estime-t-il, se disant « très heureux qu’enfin un dirigeant politique dise que nous pourrions avoir des problèmes ».
Petits pas
Ce spécialiste alimente un site internet sur le +prepping+, des vidéos YouTube et diffuse des podcasts avec trois amis. Leur popularité s’est accélérée depuis le début de l’année. « Prendre les mesures pour se préparer individuellement à une guerre, c’est faire un pas de géant », juge-t-il. « Nous essayons de rendre les choses plus accessibles » aux intéressés, en leur disant de réfléchir à ce qu’ils feraient en cas d’incendie chez eux par exemple. « C’est une +apocalypse personnelle+ et c’est un bon début pour se préparer », ajoute M. Svennberg. Pour autant, il trouve insuffisante la recommandation du MSB d’être autonome en nourriture pour sept à 10 jours.
« Une semaine, c’est un bon début mais je recommanderais un mois et même trois mois de réserve », explique-t-il. « Le plus important est d’y aller à petits pas et d’acheter une chose à chaque fois que vous faites des courses ».