© AFP PHOTO / Luis ROBAYO

De migrants à réfugiés: journal d’un exode du Venezuela en crise (en images)

Le Vif

Etape 1: Jeudi 23 août – Bonheur

Il fait froid. Rien d’inhabituel à Pasto, ville du sud de la Colombie, proche de la frontière équatorienne. Une camionnette beige roule sur la Panaméricaine, qui traverse l’Amérique du sud. A bord, onze Vénézuéliens, dont sept à l’air libre sur la plage arrière, trois enfants. Parmi les silhouettes recroquevillées sous les assauts du vent, Joel protège Edicth, avec laquelle le 15 août, il a quitté Guanare, dans l’ouest vénézuélien. Leurs salaires de routier et d’employée domestique ne suffisaient plus pour « rien »: avec celui de Joel, ils ne pouvaient acheter qu’un kilo de savon. Ils sont partis vers Puerto Santander et la Colombie.

Dans ce pays montagneux, qui a déjà reçu plus d’un million de personnes du Venezuela, ils ont découvert un climat souvent froid et que pour manger ils dépendaient de la charité. « Quitter son pays coûte, beaucoup », lâche Joel, 51 ans. « Abandonner ce qui a demandé tant d’efforts, c’est dur », ajoute Edicth, 34 ans. Ses yeux fatigués, sa peau malmenée par les intempéries la font paraître plus âgée. Ils n’ont que les vêtements qu’ils portent et des couvertures dans des valises. Malgré tout, ce jeudi est sous une bonne étoile. Le chauffeur, qui les a emmenés gratuitement depuis l’est de la Colombie durant 40 heures, leur a offert le petit-déjeuner. Et une Vénézuélienne, qui a fait le même voyage en juillet et travaille dans un restaurant, le déjeuner.

La journée a débuté à 6h00. Huit heures plus tard, ils embarquent dans un autre camion, qui les laissera à quelques kilomètres d’Ipiales, près de l’Equateur. Inquiets, ils marchent une heure et demie. Seule Edicth détient un passeport, exigé alors par Quito pour contenir la vague migratoire. D’autres Vénézuéliens croisés sur la route leur recommandent de faire demi-tour. « J’ai la foi, ils vont nous laisser passer », dit-elle. Joel, nerveux, tire sur sa cigarette. Le soleil se couche. La température chute. Nacari, 16 ans, et Sebastian, six, se reposent sur les bagages. Pas une plainte. Eliana, 19 ans, porte Tiago, cinq mois. Elle n’a quasiment pas dit un mot.

Il est 18h40, des murmures s’élèvent du bureau colombien des migrations. Les agents annoncent que l’Equateur les laisse passer et va en outre les emmener en autocar jusqu’au Pérou gratuitement. « Dieu soit loué! », s’exclame Joel. La famille prie, s’embrasse. Edicth affiche un large sourire. Il ne durera pas.

Etape 2: Vendredi 24 août – Séparation

Soulagés, les Mendoza Landinez se reposent dans des tentes de la Croix-Rouge équatorienne, près de Tulcan, où s’agglutinent des centaines de Vénézuéliens. Peu après minuit, ils sont réveillés pour partir, après un retard de quatre heures. Le froid est mordant. Mais Edicth doit retourner du côté colombien de la frontière afin de faire tamponner un document pour son fils Sebastian. Elle se dépêche: ceux voyageant avec des mineurs sont prioritaires pour monter à bord des autocars vers Huaquillas, à la frontière équato-péruvienne. Là-bas, les attendent son fils aîné Leonardo et sa soeur Evelyn, mère d’Eliana. Une fois résolue la formalité administrative pour « Sebas », tant habillé qu’il ressemble à une momie, surgit un autre obstacle: Eliana ne peut passer, ni son bébé. Sa carte d’identité est si abîmée qu’elle est suspectée d’être fausse. « Sans elle, je ne pars pas », avertit Edicth. « Moi, je dois y aller. Si je ne passe pas aujourd’hui, je ne rentre pas » au Pérou, rouspète Joel. Soulagement: l’Equateur donne un permis de séjour temporaire à la nièce et à Tiago.

Il est 02h10. Le voyage jusqu’à Huaquillas dure entre 16 et 18 heures. Ils devraient arriver juste avant l’échéance de 00H00 samedi (05H00 GMT) et l’exigence de passeport. Eliana reste avec d’autres compagnons de voyage, qui vont à Quito. Elle pleure. Son bébé a la peau irritée, faute de couches pour le changer. Edicth tente de la réconforter. « Tout cette traversée pour ça? », se demande-t-elle la voix cassée. Elles s’embrassent. A 02h47 le reste de la famille monte dans le car. La mère ne parvient pas à dormir: « Eliana est seule, là bas avec le bébé ». Elle emprunte un téléphone, appelle sa soeur. Elles se disputent.

Dans le car, les Vénézuéliens chantent et font des blagues. Les Mendoza Landinez essaient de rattraper le sommeil perdu. Mais autre mauvaise nouvelle: ils n’arriveront pas à temps.

Etape 3: Samedi 25 août – Illusion

Il est 03h55. Le car se gare dans Huaquillas. Depuis presque quatre heures le Pérou a fermé sa frontière aux migrants sans passeport. « Nous serions tous passés légalement s’il n’y avait pas eu tant de retards », déplore Edicth. Elle s’inquiète pour sa nièce, arrivée entretemps à Quito. Cela fait trois mois que sa soeur Evelyn, 38 ans, est à Lima, avec Leonardo, 17 ans. Au début, le fils d’Edicth travaillé comme ouvrier. Mais gravement déprimé, il a été hospitalisé. Sa tante s’en est occupé et a du coup perdu sa place de cuisinière dans un restaurant. « Je comprends son mal être », dit Edicth. Elle s’interrompt pour remonter dans le car jusqu’à Tumbes, où commence le Pérou. Tout n’est pas perdu: là, ils pourront demander le statut de réfugiés. « Supporter la faim, mendier de l’argent, manquer de tout, c’est la première fois que ça m’arrive » et tout ça « pour échouer là », lâche la jeune Nacari, au bord des larmes. Durant ces trois jours, la famille n’a pu se laver.

Les Mendoza Landinez attendent devant une salle où leur cas sera examiné. Ils espèrent un permis de séjour temporaire. Joel se voit déjà au centre d’accueil où vit Evelyn qui les recevra malgré tout: « en routards, comme nous sommes venus du Venezuela ».

Avec AFP

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