De comédien à président lors d’une guerre majeure: la double vie surréaliste de Volodymyr Zelensky
Sa candidature était d’abord vue comme une blague. Aujourd’hui, l’ex-comédien Volodymyr Zelensky se retrouve président de son pays lors du plus gros conflit en Europe depuis la seconde guerre mondiale. De la fiction à la guerre : retour sur le parcours presqu’irréel du président ukrainien.
Il est minuit passé, hier, lorsque le président Volodymyr Zelensky apparaît à la télévision. Il parle ukrainien et russe, car il veut s’adresser non seulement à son peuple, mais aussi aux habitants de son grand pays voisin. « Je ne m’adresse pas à vous en tant que président, mais en tant que citoyen de l’Ukraine », a-t-il dit, avant de décrire le prix horrible de la guerre. « Qui va souffrir ? Les personnes. Qui ne veut pas de ça ? Les personnes. Qui peut arrêter ça ? Les personnes. Y a-t-il de telles personnes parmi vous ? J’en suis convaincu », a-t-il déclaré.
Le président ukrainien savait que la télévision russe ne diffuserait pas son message, mais il voulait que le peuple russe sache la vérité. « La réponse à la question de savoir si la Russie veut la guerre doit venir de vous, citoyens de la Fédération de Russie. »
Dans un autre message vidéo sur Facebook, il a appelé ses concitoyens à ne pas paniquer, alors que la Russie avait effectué des frappes contre des infrastructures militaires et des garde-frontières. « Pas de panique, nous sommes prêts pour tout, nous allons vaincre », a-t-il assuré.
L’ancienne star de la télé de 44 ans, novice en politique jusqu’à son élection comme président de l’Ukraine en 2019, il n’a jamais cillé ces derniers mois, même quand Washington avertissait, d’un ton de plus en plus pressant, qu’une guerre « imminente » pouvait commencer « sans préavis ». « Que devons-nous faire ? Une seule chose : rester calme », répétait-il encore en janvier dans une adresse à ses 40 millions de concitoyens. « Nous célébrerons Pâques en avril. Et puis en mai, comme d’habitude – le soleil, les vacances, les barbecues », a-t-il ajouté.
Bis repetitae mi-février: les Américains alertent que le 16 février risque d’être le jour de l’offensive russe. Volodymyr Zelensky déclare une « journée d’unité nationale » avec drapeaux aux fenêtres et rubans bleus et jaunes, les couleurs de l’Ukraine.
De la fiction à la guerre
Qui aurait pensé que ce comédien frivole aux multiples casquettes (producteur, réalisateur, scénariste), deviendrait l’homme responsable du sort de son pays dans ce qui se présente comme le plus grand conflit en Europe depuis la seconde guerre mondiale ?
En Ukraine, on a d’ailleurs longtemps pensé que sa candidature était une blague. Il a ensuite voulu enquêter pour savoir si les notes étrangement élevées des sondages d’opinion se traduiraient également dans les urnes. Entre-temps, il est ausi devenu célèbre avec sa série télévisée ‘Serviteur du Peuple’, dans laquelle il incarne un professeur… élu président de la république.
Zelensky s’est d’ailleurs rendu aux élections avec son parti nommé « Serviteur du peuple » et, sans programme clair, il a remporté une victoire écrasante. Ses principaux messages : s’attaquer à la corruption, aux oligarques et ramener la paix dans le Donbass.
L’heure en Ukraine n’était plus aux élites. Une campagne éclair, menée d’abord sur les réseaux sociaux, a fait triompher la star de télé: plus de 70% au second tour. Mais entre faire des plaisanteries parfois vulgaires à la télévision et diriger un pays, il y a un fossé. Certains Ukrainiens craignaient le pire.
Pour ses contradicteurs, Zelensky, (qui est né dans l’est de l’Ukraine, et qui a grandi… en parlant russe) n’est qu’une personnalité médiatique comparable à Donald Trump ou Silvio Berlusconi. D’autant que ses premiers pas de président furent hésitants. Face aux autres dirigeants, Volodymyr Zelensky a d’abord paru emprunté. Beaucoup pensaient d’ailleurs qu’il était une marionnette aux mains de Moscou.
« Je pense que nos partenaires internationaux ont vraiment du mal avec lui », juge l’analyste politique ukrainien Mykola Davyduk: « Ils jouent un jeu de très haut niveau qu’il ne peut pas atteindre – et pas comprendre« . En privé, certains observateurs se disent pourtant impressionnés par la manière dont l’ex-comédien gère les relations avec Moscou.
« Honnêtement, il ne s’en sort pas trop mal », affirme une source diplomatique: « Il fait preuve de sang-froid. Il a un boulot impossible, il est coincé entre les pressions des uns et des autres, des Russes et des Américains ».
« Rêve » de l’Otan
L’affrontement actuel avec Moscou, plaçant l’Ukraine au centre de la plus grave crise russo-occidentale depuis la fin de la Guerre froide, est un tournant de la présidence Zelensky. En 2019, il avait été élu en promettant de mettre fin au conflit dans l’est ukrainien, quitte à discuter avec Vladimir Poutine, la Russie étant considérée comme le parrain politique et militaire des séparatistes.
Un sommet à Paris avait acté leurs divergences. « Mes homologues ont dit que c’est un très bon résultat pour une première rencontre. Pour moi, je le dis honnêtement, c’est très peu », commentait-il. Depuis, les relations russo-ukrainiennes n’ont cessé d’empirer.
Le Kremlin accuse sans relâche Kiev de discriminer les russophones et de renier ses promesses de trouver une issue au conflit. Et le « rêve » – mot lâché le 14 février par Zelensky – ukrainien de rejoindre un jour l’Otan semble devoir rester à l’état d’ébauche. Mais pour certains analystes, Volodymyr Zelensky s’est imposé dans la crise. « Il n’a pas reculé, et le soutien militaire de l’Otan a augmenté », observait mi-février Rob Lee, du Foreign Policy Research Institute aux Etats-Unis.
Avec AFP
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