Dans « Une terre promise », Obama doute et c’est pour ça qu’on l’aime
Comment traduire ses ambitions en actes, dépasser la fracture raciale sans décevoir, avancer malgré l’hostilité des républicains… : l’ancien président s’interroge plus qu’il ne donne de réponses dans Une terre promise, le premier tome de ses Mémoires. C’est pour cela qu’on l’aime.
La sortie du premier tome des Mémoires de Barack Obama, Une terre promise (1), au moment même où son ancien vice-président Joe Biden s’apprête à accéder à son tour à la fonction suprême, de surcroît après le mandat de Donald Trump qui s’est évertué à détricoter son héritage, résonne comme une savoureuse revanche pour le premier président noir des Etats-Unis. Ce récit, étalé jusqu’en 2011 et l’opération de neutralisation d’Oussama Ben Laden au Pakistan, ne préfigure pourtant pas exactement les défis qui attendent le 46e président des Etats-Unis. Blanc, vieux routier du pouvoir et expert en compromis bipartisans, Joe Biden ne devrait pas être confronté, comme son prédécesseur démocrate, à la désillusion du néophyte face à l’impuissance de l’exercice du pouvoir, à l’hostilité frisant le racisme de ses rivaux républicains ou à la critique des « siens » devant l’insuffisance des réponses aux aspirations sur la question raciale.
Une terre promise n’est pas un panégyrique de l’action de Barack Obama même si l’impact de ses décisions y est sans doute enjolivé. L’ancien président américain fait montre d’autocritique. Il analyse presque cliniquement les incroyables difficultés rencontrées, y compris du fait de sa stratégie de consensus et de la surenchère des parlementaires démocrates, pour faire adopter son plan de relance après la crise de 2008, les premiers jalons de sa réforme de l’assurance-maladie, une révision des pratiques de Wall Street… En regard de ses ambitions comme candidat plein d’enthousiasme dans la course à la présidence, Barack Obama, une fois élu, a été rattrapé par la réalité et contraint à manier la realpolitik qu’il n’avait pas envisagé devoir user. Trois thèmes traversent donc le premier tome de sa biographie : une difficulté à traduire ses ambitions en actes, la volonté de dépasser la vision traditionnelle de la fracture raciale et l’irrationalité croissante de la rhétorique de la droite dans son combat contre le premier Noir à s’installer dans le Bureau ovale.
La peur d’un bilan insuffisant
« La présidence bouleverse votre horizon temporel, souligne le jeune président américain. Il est rare que vos efforts portent immédiatement leurs fruits ; la majorité des problèmes qui atteignent votre bureau sont trop vastes, et les facteurs trop nombreux. Il faut apprendre à juger sa progression en fonction d’étapes plus modestes – qui peuvent chacune exiger des mois de travail et ne méritent aucune déclaration publique – et accepter le fait que l’objectif final, si jamais vous y parvenez, ne sera pas atteint avant un an ou deux, voire avant la fin de votre mandat. »
J’étais un réformateur, conservateur de tempérament à défaut de l’être dans ma vision
Dans un premier temps, ce constat n’entame pas la volonté d’action de Barack Obama. « Accomplir des choses, c’était s’exposer à la critique, tandis que l’inverse – jouer la sécurité, éviter les controverses, suivre le sondages – était non seulement l’assurance de la médiocrité, mais une trahison des espoirs de tous les citoyens qui avaient voté pour moi », explique-t-il. Mais à mesure que l’on s’approche des élections parlementaires de mi-mandat, qui constituent toujours une épreuve pour le pouvoir en place, les interrogations montent. « Je me demandais combien de temps nous pourrions continuer de mener des politiques qui paieraient à long terme, mais dont le seul résultat était, pour l’heure, que nous prenions des coups sur la tête. »
D’autant que la situation économique héritée de la crise survenue avant son entrée en fonction réduit sensiblement les marges de manoeuvre. « Autant j’étais prêt à perturber le cours de ma vie à la poursuite d’une idée, autant je ne souhaitais pas prendre ces mêmes risques avec le bien-être de millions de gens. En ce sens, mes cent premiers jours à la Maison-Blanche ont révélé un trait fondamental de mon caractère : j’étais un réformateur, conservateur de tempérament à défaut de l’être dans ma vision du monde. Quant à savoir si c’était une preuve de sagesse ou de faiblesse, il appartiendrait à d’autres d’en juger. »
Barack Obama comprend donc très vite les limites du pouvoir du président de la première puissance au monde. « Je me suis rendu compte que, malgré tous les pouvoirs attachés au poste que j’occupais désormais, il resterait toujours un abîme entre ce qu’il fallait accomplir pour rendre le monde meilleur et ce que j’étais en mesure de faire en une journée, une semaine ou une année. »
Au-delà de sa communauté au risque de décevoir
Barack Obama reste comme le premier président noir des Etats-Unis. Pourtant, Une terre promise rappelle combien le futur commandant en chef de l’Amérique a cherché à minimiser cette particularité pour des raisons de stratégie et de conviction dans une démarche que certains ont qualifiée de « postraciale ». L’histoire intime de Barack Obama – il grandit essentiellement aux côtés de sa mère et de sa grand-mère maternelle, toutes deux blanches – a d’abord forgé ce sentiment. « Ma propre expérience m’a appris à ne pas me réfugier trop vite derrière le statut revendiqué de victime et à me méfier de l’idée selon laquelle, comme j’entendais beaucoup de Noirs l’affirmer dans mon entourage, les Blancs étaient tous d’un racisme irrémédiable. »
Ensuite, engagé en politique, Barack Obama ne veut pas être enfermé dans le rôle du « candidat noir », en particulier au moment de la présidentielle où s’imposer implique nécessairement de séduire au-delà de sa communauté et même de l’électorat cumulé des minorités. « A trop mettre l’accent sur les droits civiques, les exactions policières ou tout autre question jugée spécifique à la population noire, on risquait de susciter la méfiance, sinon le rejet, de la grande majorité des électeurs », explique-t-il pour justifier la première raison de sa retenue sur ce point, la stratégie. « Il fallait que je considère les Blancs comme des alliés et non pas une entrave au changement, et que j’inscrive le combat des Afro-Américains dans le cadre d’un combat plus large pour une société plus égalitaire, plus juste et plus généreuse », avance-t-il pour susciter l’adhésion à la seconde, l’idéalisme.
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Mais cette attitude comportait un risque : « Favoriser la mise en oeuvre de programmes universels voulait souvent dire que les bénéfices étaient moins dirigés vers ceux qui en avaient le plus besoin. » Les Afro-Américains lui feront d’ailleurs sentir leur désappointement. C’est sous sa présidence que sera créé Black Lives Matter pour dénoncer les violences policières contre les Noirs, mouvement qui trouvera un surcroît de pertinence sous Donald Trump.
Les prémices du trumpisme
« Lorsqu’il s’agissait de s’opposer à mon gouvernement, il n’y avait plus de règles qui tiennent« , se désole Barack Obama, qui évoque un refus absolu de travailler avec lui de la part des républicains, quelles que soient les circonstances, quel que soit le sujet, sans se soucier des conséquences pour le pays. Ce penchant extrémiste, il l’avait deviné dès la désignation comme candidate à la vice-présidence pendant la campagne de 2008 de Sarah Palin, l’égérie du très conservateur Tea Party, « un signe avant-coureur de ce qui allait advenir par la suite, les prémices d’une réalité plus diffuse et plus sombre dans laquelle les affiliations partisanes et l’opportunisme politique menaçaient de tout occulter ». Depuis la Maison-Blanche, le président observe alors que l’idéologie du Tea Party s’est déplacée des marges du Parti républicain jusqu’à son centre : « Une réaction émotionnelle, presque viscérale, à ma présidence, indépendante de nos divergences politiques et idéologiques. A croire que ma seule présence à la Maison-Blanche avait provoqué une panique profonde, un sentiment que l’ordre naturel avait été perturbé. »
Il fallait que je considère les Blancs comme des alliés et non pas une entrave au changement.
Un épisode anodin, un peu plus tard, confirme à ses yeux la dérive raciste de ses adversaires : lors d’une visite au Japon, est reprochée à Barack Obama la déférence avec laquelle il a salué le couple impérial. « J’apprendrai que ma simple révérence devant des hôtes japonais plus âgés que moi avait provoqué un tollé chez les conservateurs américains. Un obscur blogueur l’avait qualifiée de « trahison », terme ensuite repris et amplifié par la presse grand public. En entendant cela […] je me suis demandé à quel moment une si grande partie de la droite américaine, apeurée et en mal de confiance, avait basculé dans la folie. »
C’est sur cette vague nauséabonde que Donald Trump allait commencer à surfer pour réveiller l’Américain blanc laissé pour compte de la mondialisation et accéder finalement à la Maison-Blanche. Cette fracture entre deux Amériques, Barack Obama, fraîchement lancé en politique, s’était pourtant juré de la combler : « J’avais compris que, tant que les habitants de ma circonscription de Chicago et ceux des régions plus reculées de l’Illinois resteraient des étrangers les uns pour les autres, notre vie politique ne pourrait jamais réellement changer. Il serait toujours trop facile pour la classe politique d’entretenir les stéréotypes qui opposaient les Noirs aux Blancs, les immigrés aux Américains de naissance, les intérêts des régions rurales à ceux des grandes villes. » Joe Biden n’est-il finalement pas mieux armé pour y remédier ?
> Le défi de Joe Biden: réenchanter le rêve américain
Dans le livre
> Pauvre Sarkozy
Barack Obama dresse le portrait de quelques-uns de ses homologues dans Une terre promise. Une partie de la presse française s’est émue de la description faite de Nicolas Sarkozy, présenté plus comme un agité (« sa poitrine bombée comme celle d’un coq nain ») que comme un homme Etat et, il est vrai, renvoyé, au minimum maladroitement, à ses origines hongroises et juives grecques. Il est pourtant une autre remarque plus dévastatrice encore pour l’ancien président français. Dans le chapitre sur la gestion de la crise financière de 2008, Obama dit de lui qu' »il avait du mal à prendre ses distances avec le conservatisme budgétaire qu’il avait autrefois prôné et, dans la mesure où il n’était pas suffisamment organisé pour définir un projet clair pour son pays, je ne voyais pas comment il allait y parvenir pour le reste de l’Europe ». Nicolas Sarkozy aura apprécié. Tout comme, dans un autre registre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, dont le parti, le Likoud, est présenté un peu exagérément comme étant « d’extrême droite ».
> Les craintes de Michelle
A l’été 2006, la possibilité que Barack Obama soit candidat à l’élection présidentielle deux ans plus tard prend corps à l’aune de sa popularité comme sénateur. Mais Michelle est pour le moins réticente : « Et maintenant qu’on est enfin dans une situation à peu près stable… même si ce n’est toujours pas une vie normale, la vie que j’aurais voulu pour nous… et maintenant tu viens me dire que tu vas être candidat à la présidence ? » « Pourquoi lui faire subir une telle épreuve ? s’interroge alors Barack Obama. N’était-ce que de l’orgueil de ma part ? Ou quelque chose de plus sombre peut-être – une ambition dévorante et aveugle, dissimulée sous le voile diaphane de beaux discours altruistes ? Ou bien cherchais-je encore et toujours à prouver ma valeur aux yeux d’un père qui m’avait abandonné, à me montrer digne des espoirs que ma mère avait placés en moi, éblouie d’amour pour son fils unique, et à vaincre ce qui subsistait en moi du complexe d’être né métis ? « C’est comme s’il y avait un trou que tu t’acharnes à vouloir combler, m’avait dit un jour Michelle, au début de notre mariage, après une période où elle m’avait vu travailler jusqu’à l’épuisement. C’est pour ça que tu ne peux pas ralentir. »
> Machisme à la Maison-Blanche
Fin 2009, Barack Obama est alerté par sa conseillère Valerie Jarrett du malaise grandissant parmi les femmes de l’équipe de la Maison-Blanche face au comportement jugé machiste des « hommes du président ». Barack Obama les rencontre, les écoute et tire les leçons, y compris pour lui, de ce comportement avéré. « En écoutant ces femmes compétentes pendant plus de deux heures, j’ai compris que certains schémas de comportement, qui étaient une seconde nature pour plusieurs hommes de mon équipe – crier ou jurer pendant un débat, dominer une conversation en interrompant constamment les autres (surtout les femmes), reformuler en se le réappropriant un argument avancé une demi-heure plus tôt par une autre personne (souvent une femme) – , leur avaient donné le sentiment d’être rabaissées et ignorées, et ôté l’envie d’exprimer leurs opinions. Et, bien que la majorité de ces femmes m’aient dit apprécier que je sollicite leur avis et ne pas douter de mon respect pour leur travail, leurs histoires m’ont forcé à me regarder en face et à me demander dans quelle mesure mon penchant machiste – ma tolérance à une certaine ambiance de vestiaire pendant les réunions, le plaisir que je retirais d’une bonne joute verbale – avait pu concourir à leur malaise. »
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