Dans une passe difficile, Volodymyr Zelensky à Bruxelles en quête de plus de soutien
L’armée ukrainienne peine de plus en plus à faire face aux offensives russes dans la ville du Donbass. Le scénario d’une retraite pourrait s’imposer. En difficulté, Volodymyr Zelensky sollicite plus de soutien de l’Union européenne.
Ils ne se quittent plus. Volodymyr Zelensky, Ursula von der Leyen et Charles Michel se retrouvent ce 9 février à Bruxelles à l’occasion de la visite exceptionnelle du président ukrainien. Un déplacement qui suit de quelques jours un sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine tenu à Kiev, le 2 février, en présence de la présidente de la Commission européenne, de quinze commissaires et du président du Conseil européen. «L’ avenir de notre continent s’écrit ici, en Ukraine», avait proclamé Ursula von der Leyen à cette occasion. Les observateurs pourront-ils avancer que «l’avenir de l’Ukraine s’écrit ici, à Bruxelles» à l’issue du deuxième voyage à l’étranger du chef de l’Etat ukrainien depuis le début de l’invasion russe, il y a bientôt un an? Pas sûr. En raison, au moins, d’un constat: le dossier n’est pas encore mûr pour l’envoi d’avions de chasse à l’Ukraine par des pays de l’Union.
Pourra-t-on avancer que «l’avenir de l’Ukraine s’écrit ici, à Bruxelles» à l’issue du deuxième voyage à l’étranger du président ukrainien depuis le début de l’invasion russe?
Par leur implication politique, leur engagement financier et la qualité de leurs armements, les Etats-Unis restent aussi le principal garant de la souveraineté de l’Ukraine face aux appétits de la Russie, même s’ils ne sont pas plus enclins pour l’heure à lui livrer des avions. Volodymyr Zelensky l’avait bien signifié en réservant son premier déplacement hors de son pays, les 21 et 22 décembre derniers, à Washington, sa Maison-Blanche et son Congrès. La démarche avait chagriné certains Européens. Mais il n’était pas illogique que le président ukrainien consacre de la sorte l’importance vitale du partenariat avec les Etats-Unis, au même titre que le font les Etats les plus exposés à la menace du nouvel impérialisme russe, la Pologne et les pays Baltes.
Le chemin de l’ adhésion
Passé maître dans l’art d’attirer les sympathies et les financements avec l’unique objectif de défendre son pays et ses concitoyens, Volodymyr Zelensky ne peut cependant pas négliger son autre partenaire stratégique, l’Union européenne. D’autant que celle-ci a tout de même fait de solides efforts pour, sortant de sa zone de confort, apporter une aide humanitaire, financière et même militaire à son voisin attaqué. Cinquante milliards d’euros d’aide, ce n’est pas une portion congrue. Il devrait donc être question à Bruxelles, lors des échanges avec Volodymyr Zelensky et ses ministres, de former trente mille soldats, de reconstruire des écoles, d’assurer les besoins énergétiques du pays avec l’envoi de 35 millions d’ampoules LED, et, dans une perspective de retour à la paix, de faciliter l’accès des produits ukrainiens au marché européen.
On le sait, et le président ukrainien en particulier, l’adhésion à l’Union européenne est une perspective de long terme. L’UE ne peut pas trop sembler engager des processus à deux vitesses pour les «bons» et les «moins bons» candidats. Mais l’Ukraine n’a certainement pas à se plaindre. Ayant introduit sa demande d’adhésion peu après l’invasion russe, elle a obtenu le statut de candidate en juin 2022. Mais si certains responsables européens jugent ses progrès encourageants, beaucoup reste à faire en matières de justice, d’indépendance des médias, de droit des minorités, de lutte contre la corruption… L’ actualité de deux affaires de malversations financières mises au jour, le 25 janvier, au sein de l’armée et au ministère des Infrastructures l’a clairement démontré sur cette dernière thématique. Le premier dossier devrait même emporter le ministre de la Défense, Oleksiï Reznikov, dont la démission a été annoncée.
Joe Biden sur la balle
Pour Volodymyr Zelensky, décidément sollicité de toutes parts, la séquence diplomatique devrait connaître un prolongement autour du premier anniversaire de l’invasion russe. Une visite de Joe Biden est en effet prévue en Pologne le 24 février. Sauf déplacement surprise à Kiev même, une rencontre devrait avoir lieu avec le président ukrainien à Varsovie ou à Rzeszow, localité proche de la frontière ukrainienne. Ces deux étapes étaient déjà au programme du président des Etats-Unis lors de son premier voyage dans la région en période de guerre, le 25 mars 2022. Joe Biden aura donc l’occasion de réaffirmer son soutien indéfectible à l’Ukraine face à la Russie et… la prédominance des Etats-Unis sur l’Europe dans l’aide qui lui est prodiguée.
Valeri Guerassimov communique moins qu’Evgueni Prigojine mais agit sans doute plus. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’armée ukrainienne.
Cette sollicitude occidentale est bien nécessaire au président ukrainien pour faire face à une période pour le moins difficile sur le front militaire. Faut-il y voir les prémices de la «grande» offensive russe annoncée? Toujours est-il que la pression se fait de plus en plus forte sur les troupes ukrainiennes positionnées à Bakhmout et dans cette région de l’oblast de Donetsk. Au point que la question de leur maintien pour défendre une place qui n’est pas fondamentalement stratégique est posée.
La reddition ou la mort?
Une manœuvre d’encerclement de la ville est opérée par l’armée russe et ses alliés. Au nord, les hommes du groupe Wagner s’étaient déjà emparés de la localité de Soledar le 23 janvier. Ils ont poursuivi leur progression vers l’ouest en prenant le contrôle de la route qui relie Bakhmout à Siversk, plus au nord. Au sud, c’est la ville de Vuhledar qui est la cible de l’offensive des forces russes. Le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, y a revendiqué des succès, ainsi qu’à Bakhmout même. «Bakhmout a été préparée pour une défense à long terme, grâce aux hauteurs et aux collines propices à cela. C’est pourquoi la ville est une forteresse imprenable», a pourtant encore assuré le 6 février, au Monde, le commandant des forces terrestres de l’armée ukrainienne, Oleksandr Syrsky. Il reste que si les lignes arrière des forces de Kiev sont coupées, du côté ouest, par l’avancée des Russes, le combat des résistants de Bakhmout se résumera à un choix entre la reddition et la mort, comme ce fut le cas lors de la bataille de Marioupol avec les combattants retranchés dans le complexe industriel d’ Azovstal.
Dès lors, le précédent de la retraite organisée de Severodonetsk ne devrait-il pas être privilégié? Le 24 juin 2022, les Ukrainiens qui s’y battaient depuis quatre mois avaient reçu l’ordre de se replier au-delà de la rivière Seversky Donets, qui forme une limite naturelle à l’ouest de la localité, et de déplacer la ligne de défense dans la ville jumelle de Lyssytchansk. Depuis, les Ukrainiens ont conservé leurs positions et l’armée russe n’y a plus conquis de nouveaux territoires. La sagesse tactique imposerait sans doute que la même manœuvre soit réalisée à Bakhmout. Mais au fur et à mesure de la résistance ukrainienne, la ville s’est transformée en symbole. Et sa perte apparaîtrait comme un douloureux revers. D’autant que le ministère britannique de la Défense a assuré que «l’objectif opérationnel [des Russes] est de s’emparer des parties restantes de l’oblast de Donetsk». La chute de Bakhmout ouvrirait effectivement la voie à ce scénario. A contrario, une retraite permettrait aussi à l’armée ukrainienne d’économiser des moyens humains et de fortifier une ligne de défense devant les villes, elles réellement stratégiques, de Kramatorsk, distante d’une soixantaine de kilomètres de Bakhmout, et de Sloviansk.
Sans doute, certains à Kiev estiment-ils pourtant que tout repli, même tactique, rapproche de l’échéance de la grande offensive russe annoncée et que tout doit être mis en œuvre pour la retarder, d’autant que les pertes côté russe à Bakhmout seraient considérables, dans l’espoir que l’armée puisse disposer des chars lourds Leopard 2 et Challenger quand elle surviendra.
Les «Wagner» opportunistes
On sera sans doute rapidement fixé sur le sort de Bakhmout. Dirigeant de la société de mercenaires Wagner, Evgueni Prigojine n’a pas attendu l’issue de la bataille pour tenter de s’accaparer le prestige de l’éventuelle victoire. Il est apparu, le 6 février, dans une vidéo à bord d’un bombardier Su-24 censé avoir mené un bombardement sur la ville martyre. Il a aussi assuré que «les forces armées ukrainiennes ne battent pas en retraite ; elles se battent jusqu’au dernier homme», vantant les mérites de l’adversaire pour mieux souligner la bravoure de ses mercenaires comme il l’avait fait avant la prise de la ville de Soledar. Mais d’autres informations indiquent que la marge de manœuvre de l’ancien «cuisinier» de Vladimir Poutine, au-delà des pitreries médiatiques, tend à se restreindre. Ses hommes seraient progressivement intégrés dans l’armée régulière et des consignes auraient été données à l’administration pénitentiaire russe pour limiter la possibilité de recrutement de détenus par ses officines.
Cela pourrait être là un des effets de la reprise en main des opérations militaires en Ukraine par le chef d’état-major de l’armée, le général Valeri Guerassimov. Lui communique moins que son encombrant allié mais agit sans doute plus. Les récentes avancées russes tendraient à le démontrer. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’armée ukrainienne.
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