Sébastien Boussois

« Daech: revendiquer et faire feu de tout bois le temps de la relève »

Sébastien Boussois Docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient.

Ce qui s’est passé à Trappes n’est qu’un exemple de plus de la débâcle actuelle de Daech. On revendique un acte, terroriste ou non et pour lequel rien n’est prouvé, car on a un intérêt à le faire.

Ce qui s’est passé à Trappes le 23 août 2018 n’est qu’un exemple de plus d’une part de la débâcle actuelle de Daech, et d’autre part de la volonté des cadres en communication de Daech de maintenir la menace et de continuer à faire peser le danger dans nos sociétés coûte que coûte le temps de la mutation. On revendique un acte, terroriste ou non et pour lequel rien n’est prouvé, car on a un intérêt à le faire.

Si les profils de jeunes radicalisés basculant dans la violence ont beaucoup évolué entre 2012 et 2018, passant de profils de filières avec des jeunes d’origine immigrée plutôt délinquants, à des profils en explosion de convertis mais également de femmes, la multiplication des actes isolés après l’appel d’Al Bagdadi à ne plus se rendre en terre de Shams, a désinhibé certains nouveaux profils non encadrés ou prêts à tout pour exister et tuer.

Kamel S pourrait rentrer dans ce type de « soldats » pragmatiques pour Daech. Fraîchement divorcé, père de famille, ex-chauffeur de bus, musulman non pratiquant, fiché S, il était originaire de Trappes, ville des Yvelines d’où près de 80 jeunes sur une population de 30 000 étaient partis rejoindre les rangs de Daech en 2016. Encore un intérêt pour l’organisation terroriste de mettre Trappes en avant.

Présenté comme déséquilibré, c’est dans l’idéologie extrémiste islamiste qu’il aurait trouvé son salut, bien loin des préceptes de l’islam ? Personne de son entourage n’y croit. Mais encore plus sordide et fait inédit : il s’en est pris un jour d’Aïd, l’une des plus grandes fêtes musulmanes, à sa mère et à sa soeur en les tuant froidement avant de s’en prendre à une passante. Avec quelle arme ? Un couteau, une fois encore comme plusieurs terroristes récents. Parfait pour l’organisation islamiste. Ses pseudo-soldats s’en prendraient désormais à leur propre famille. Daech ou pas, l’organisation a trouvé bon de revendiquer « l’attentat » car il a une portée symbolique très forte : nul n’est à l’abri, pas même les familles de radicalisés : « Nous allons vous faire la guerre jusque dans vos familles, que vous soyez musulmans ou non. Personne ne sera à l’abri ». En attendant Kamel S. n’a probablement jamais eu aucun contact avec l’Organisation.

Cela en dit long sur la stratégie de ce qu’il reste de l’Etat islamique. L’effondrement physique de l’Organisation n’est probablement qu’une phase transitoire d’un mouvement en déroute sur un territoire mythique en un autre mouvement plus internationalisé et plus étendu. On peut parier que l’idéologie de Daech est désormais en gestation dans la tête de milliers de jeunes et la fin de l’histoire n’est pas pour demain. Pourquoi ? Car depuis la fin de la guerre Froide, le terrorisme transnational s’est rapidement adapté et ce toujours vers le pire. Daech savait comment instrumentaliser « nos » jeunes, désormais il profite de toute occasion pour revendiquer un acte malveillant s’il a un intérêt pour l’organisation. C’est avant tout dans notre monde une bataille de la communication où tout doit être fait pour ne pas se faire oublier le temps de se relever.

Trappes c’est l’exemple gore par excellence. En pleine vacances, en pleine fête musulmane, un homme tue sa mère, celle dont il est issu, ainsi que sa soeur avec une arme blanche. En réalité, cet homme avait été condamné en 2016 pour apologie du terrorisme fiché S, puis licencié de son travail pour cette raison, puis divorcé récemment de sa femme. Il était retourné chez sa mère, comble de l’humiliation. Depuis plusieurs mois, il y avait un litige avec sa famille au sujet de l’héritage de son père décédé. C’est tout simplement la lente descente aux enfers d’un homme ordinaire dont le destin a été récupéré pour des raisons politiques. Et parce qu’en attendant que Daech poursuive son développement dans toutes ses nouvelles franchises de l’Afrique de l’Ouest à l’Europe Centrale en passant par l’Asie du Sud -Est, il maintient un climat de psychose dans les pays qui sont ses cibles favorites et un terreau sans fin de recrutement potentiel, la France en tête.

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