D-Day, une histoire belge
L’un est météorologue de haut vol, l’autre ingénieur-architecte talentueux. Sans deux officiers belges, le Débarquement n’aurait sans doute pas eu lieu le 6 juin. Ou aurait pu s’enliser dans les sables normands.
Odon Godart. Il a 30 ans, il va faire la pluie et le beau temps sur le Débarquement. Originaire de Farciennes, Odon Godart a fait le grand saut en Angleterre où il rallie les forces belges. Sa réputation de brillant mathématicien et d’astronome, ex-assistant du défenseur de la théorie du Big Bang Georges Lemaître, est parvenue aux oreilles du « Bomber Command ». Les Anglais l’enrôlent pour superviser l’amélioration des prévisions météo.
La mission est de la plus haute importance, alors que se mijote l’assaut géant sur le continent européen. Les échelons supérieurs exigent l’impossible d’Odon Godart et de la poignée de météorologues qui travaillent avec lui : ils doivent être capables de prédire l’état du ciel dix jours à l’avance… Contestation des scientifiques : la période de prévisions est ramenée à cinq jours.
Le 31 mai, Godart apprend la zone exacte retenue pour le Débarquement. Sale temps persistant au-dessus de la Normandie. L’expert belge et ses collègues sont dans le brouillard. Incertains quant à la providentielle éclaircie que les grands stratèges alliés guettent pour donner le « go ! » à l’armada navale et aérienne. Tension maximale. La réussite de l’opération et le sort de centaines de milliers d’hommes dépendent du jugement avisé des météorologues.
Le droit à l’erreur ne leur est pas permis. Certains penchent pour un report de quinze jours. Ou, en désespoir de cause, tablent sur une timide amélioration du ciel le 5 juin. Mis au pied du mur par l’adjoint du général Eisenhower, Odon Godart se jette à l’eau. Il est 4 heures 30, le 4 juin : « J’ai répondu très exactement : l’aviation ne pourra pas opérer à basse altitude la journée du 5 juin mais bien toute la journée du 6 juin, à partir de 5 heures. Les aérodromes allemands resteront, eux, difficilement utilisables. »
C’est le langage clair que Dwight Eisenhower, le chef suprême de l’opération Overlord, voulait entendre. Et qui le pousse à postposer de 24 heures le Débarquement. Avec le succès que l’on sait. Odon Godart a eu le nez fin. Mais il a risqué gros. « J’ai eu beaucoup de chance », admettra-t-il après coup.
Hugo Van Kuyck. Ce n’est pas sa renommée d’architecte, déjà bien établie avant-guerre, qui retient l’attention du commandement militaire allié en quête d’un terrain favorable pour débarquer en France. C’est pour ses talents d’ingénieur civil qu’Hugo Van Kuyck a été repéré. Ce quadragénaire anversois a rallié la bannière étoilée, affecté à l’unité cartographique de la Beach Intelligence Section. Mission : tâter le terrain. En clair : sonder et détecter un sol capable de supporter le poids d’un assaut amphibie d’envergure qui sera mené avec des tanks et du charroi lourd.
Six mois avant le débarquement, Hugo Van Kuyck s’attelle à la tâche. Elle n’est pas sans risque : l’ingénieur-cartographe survole à basse altitude les côtes normandes pour étudier méticuleusement l’influence des marées sur les obstacles sous-marins allemands et tenter de déjouer les pièges du terrain. La moisson de renseignements qu’il récolte est d’une importance capitale. Elle permet à l’Amirauté britannique et à l’US Navy de corriger leurs cartes marines.
Le Jour J, Hugo Van Kuyck est en première ligne pour vérifier et actualiser le fruit de son travail. Il est de la 7e vague d’assaut US qui débarque sur Omaha Beach. Ce sont ses premières visions d’horreur, « apocalyptiques », rapportées par son biographe, Charles-Emmanuel Schelfhout : « Cette marée montante qui portait à la côte les cadavres de tous les hommes tués ou des blessés noyés en mer », jetés pêle-mêle devant les brisants pour finir écrasés sous le passage des tanks et des canons.
Récits de guerre en Brabant wallon, par Yves Vander Cruysen, éd. Racine.
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