Cyril Ramaphosa © AFP

Cyril Ramaphosa, un long chemin vers le pouvoir

Le Vif

Il a connu les geôles de l’apartheid, l’avènement de la démocratie et la fortune. A 66 ans, le président sud-africain Cyril Ramaphosa vient de signer sa première victoire électorale, nouveau chapitre d’une vie inextricablement liée à l’histoire de son pays.

Comme le prédisaient les sondages, l’enfant de Soweto a conduit le Congrès national africain (ANC) à sa sixième victoire législative d’affilée depuis la fin du régime de l’apartheid en 1994. Le score obtenu par l’ANC est le plus bas de son histoire, mais pour l’ex-syndicaliste l’essentiel n’est pas là. Ce succès en demi-teinte valide dans les urnes son arrivée il y a un an à la tête du pays au prix d’une manoeuvre d’appareil. Sitôt réélu par les députés d’ici à la fin de ce mois de mai, il pourra s’asseoir au moins cinq ans de plus dans le fauteuil de chef de l’Etat, son Graal.

Il y a vingt ans, Cyril Ramaphosa s’était déjà vu arriver au sommet. Présenté comme le « fils préféré » de l’icône Mandela, il avait brigué la présidence de l’ANC. Mais ce fut l’échec, les caciques du parti lui préférant Thabo Mbeki. Déçu, il décide alors de se lancer dans les affaires. L’ex-militant anti-apartheid y réussit brillamment. Mais quelques années plus tard, il replonge dans le marigot politique. Elu vice-président de l’ANC en 2012, il devient deux ans plus tard celui de l’Afrique du Sud.

Sa patience est enfin récompensée fin 2017. Réputé fin stratège, il s’impose à la présidence du parti devant l’ex-femme du chef de l’Etat Jacob Zuma. Et deux mois plus tard, il réussit à le pousser à la retraite anticipée et à s’installer à la tête du pays. Né le 17 novembre 1952 dans le township de Soweto, Cyril Ramaphosa s’est illustré dans le militantisme étudiant dès les années 1970. Arrêté en 1974 par la police du régime raciste blanc de l’époque, il passe onze mois en cellule.

« Un des plus doués »

Diplômé en droit, il se tourne vers le syndicalisme – forme légale de protestation contre l’apartheid – et fonde en 1982 le Syndicat national des mineurs (NUM). Son implication dans la grande grève de 1987 le fait remarquer des caciques de l’ANC. Quand Nelson Mandela sort de prison en 1990, il en fait un de ceux qui vont négocier la transition avec le pouvoir blanc. Dans ses mémoires, « Madiba » saluera en lui « un des plus doués de la nouvelle génération ». Dans la foulée des premières élections démocratiques de l’histoire du pays, en 1994, il devient président de la nouvelle assemblée constituante. Négociateur redoutable, c’est lui qui dirige la rédaction de la nouvelle Loi fondamentale sud-africaine.

Après son échec pour succéder à Nelson Mandela à la tête de l’ANC en 1999, le socialiste autoproclamé Ramaphosa coupe les ponts avec l’ANC pour se lancer dans les affaires. Administrateur de la Standard Bank, président de l’opérateur de téléphonie mobile MTN ou propriétaire des franchises sud-africaines de McDonald’s, il amasse jusqu’à 378 millions d’euros, selon un classement en 2015 du magazine Forbes. Il incarne alors la réussite d’une petite élite noire sud-africaine. Mais son divorce avec la politique n’est que provisoire. « C’est la politique qui fait battre son coeur. Ses affaires étaient un moyen, pas une fin en soi », explique son ancien partenaire Michael Spicer au journaliste Ray Hartley, auteur de la biographie « Ramaphosa, l’homme qui voudrait être roi ».

Pragmatique

Revenu à plein temps à l’ANC, l’ex-PDG redouble d’ambitions. Pour s’imposer, il joue de son image intègre, modérée et pragmatique pour séduire classes moyennes et investisseurs. Son passage dans les affaires a toutefois écorné son image. En 2012, alors administrateur du groupe minier Lonmin, l’ex-syndicaliste demande à la police de rétablir l’ordre à Marikana (nord), où des mineurs réclament de meilleurs salaires. La police ouvre le feu sur les grévistes, faisant 34 morts. Cyril Ramaphosa est blanchi par une commission d’enquête mais ce massacre continue à lui être reproché.

En prenant les rênes du pays en 2018, le multimillionnaire, marié et père de quatre enfants, s’est fixé une mission ambitieuse. Nettoyer le parti et l’Etat de la corruption, relancer l’économie du pays et raviver le rêve déçu de la « nation arc-en-ciel ». Il promet de « corriger » les « fautes » de son parti, mais son discours tarde à se concrétiser. Le taux de chômage reste bloqué à 27% et son parti englué dans les scandales.

Ces derniers mois, ses rivaux se sont déchaînés, lui reprochant sa pusillanimité, voire sa complicité. « Il était là, en tant que vice-président, lorsque l’Etat était pillé », a rappelé le chef de l’opposition, Mmusi Maimane. « En ne prenant pas de décisions plus tranchées, il a perdu son capital politique et est devenu vulnérable », juge l’analyste Frans Cronje, de l’Institut pour les relations raciales (IRR). Toujours souriant et affable, Cyril Ramaphosa a balayé ces reproches et répète qu’il tiendra ses promesses. A sa manière. « Je ne suis pas irréfléchi », a-t-il confié à Time Magazine, « il faut être méthodique pour éviter les erreurs ».

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