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Critiques contre les baby-boomers: « Ce sont des néolibéraux déséquilibrés, et sociopathes »

Eva Schram Correspondante en Amérique du Nord pour Knack.be et LeVif.be

Ce sont les baby-boomers, et non les millénials, qui laissent une Amérique en déclin, déclare l’écrivain Bruce Cannon Gibney. « Ces dernières décennies, le pays a été gouverné par des personnes aux allures de sociopathe sur le plan personnel et politique. »

Les millénials, les personnes nées entre 1980 et 2000, sont parfois dépeints comme une génération obsédée par elle-même, cramponnée à son téléphone, accro aux réseaux sociaux, gâtée et peu sociable. Cependant, ce n’est pas leur génération qui a perverti la société, mais celle de leurs parents. C’est le point de vue exprimé par le capitaliste Bruce Cannon Gibney dans son livre « A Generation of Sociopaths. How Baby Boomers Betrayed America » (Une génération de sociopathes, comment les baby-boomers ont trahi l’Amérique).

Dans son livre, Bigney combine statistiques et caractérisations tranchées de baby-boomers. Le Vietnam ? Une guerre affreuse, mais il en va de même pour les guerres avant et après. Le mouvement de droits civiques ? Ce n’est pas une prestation des baby-boomers, mais de leurs parents. » Quand la loi sur les droits civiques a été adoptée en 1965, les baby-boomers ne pouvaient même pas tous voter. », déclare Gibney. Les acquis et les privations allégués par les baby-boomers figurent dans les manuels d’histoire qu’ils ont écrits, mais quand on étudie les chiffres, on voit une image nettement moins rose des baby-boomers et de leur héritage.

En 2017, la dette publique américaine était de 104,8% du PIB – en 1975, quand les boomers sont devenus adultes, elle était de 32,5%. L’infrastructure américaine, le réseau autoroutier en tête, affiche un déficit d’investissement de 3,6 billions de dollars – les routes et les ponts sont en très mauvais état. Les scientifiques considèrent que le changement climatique sera irréversible dès 2030-2034. Et le fonds de Social Security (le fonds de de vieillesse dans lequel les Américains investissent tous les mois, comparable à notre pension légale) sera vide à la même période. Et quand les baby-boomers auront-ils disparu ? 2030-2034. Bref, résume Gibney, les boomers excellent en individualisme irréfléchi et ne sont pas solidaires des générations après eux. L’auteur utilise même le mot de sociopathe.

Qui sont précisément les baby-boomers ? Comment les définissez-vous ?

Bruce Cannon Gibney: C’est surtout un groupe culturel, partiellement formé par le temps. Je parle du groupe de gens nés entre 1940 et 1964, avec un pic au début des années 50. À cette période, la classe moyenne blanche était majoritaire. C’était un ensemble assez homogène. Au sein de ce groupe, même les républicains et les démocrates n’étaient pas très éloignés.

Les boomers ont grandi dans des conditions assez prospères et n’ont pas eu de mal à trouver du boulot. Ils n’ont vécu ni guerre sur leur propre territoire ni dépression. En tant que groupe, ils ont pris le pouvoir dans les années 80 et l’ont consolidé dans les années 90.

Ce qui les réunit aujourd’hui, c’est qu’ils veulent tous mettre à l’abri leur Social Security et Medicare (l’assurance maladie gratuite pour les plus de 65 ans en Amérique, NLDR), pour eux-mêmes. L’essentiel de leurs intérêts politiques c’est de garder le système de sécurité sociale intact jusqu’à ce qu’ils ne soient plus là. C’est pourquoi ils n’ont pas investi en enseignement, changement climatique ou infrastructure tout le temps qu’ils étaient au pouvoir.

Votre livre parle spécifiquement de l’Amérique?

Oui, en Europe, la situation est meilleure. On agit pour le climat. Pas assez, mais on fait quelque chose. Le boom était beaucoup plus faible en Europe, et la période d’après-guerre sur le continent était radicalement différente qu’aux États-Unis.

On le voit partout. Il y a plus de solidarité sociale en Europe. Un regard plus axé vers l’avenir. En ce moment, les fonds de pension privés américains paient des sommes intenables, parce qu’ils partent de rendements jamais justifiés. Du coup, les jeunes doivent subsidier les plus âgés.

Je connais moins le système belge, mais aux Pays-Bas il y a beaucoup plus de garanties contre cette distribution illimitée du fonds de pension. Il y a aussi un seuil que doivent respecter les fonds. À cela s’ajoute que la Belgique et les Pays-Bas ont tous deux un jeune Premier ministre, de la génération d’après le babyboom, alors que démographiquement la population en Europe est plus âgée. Ici, ce n’est vraiment pas le cas. Trump est le pire exemple, mais le Congrès, les villas de gouverneurs, et les parlements d’état sont également peuplés par des baby-boomers.

Après les élections de 2016, j’ai lu un article qui argumentait que Trump était le dernier souffle des baby-boomers. Êtes-vous d’accord avec cette thèse ?

C’est possible. 2018 et 2020 sont les premiers moments où la génération suivante pourrait prendre les rênes. Mais il y a vraiment beaucoup de boomers, bien organisés dans leur tentative de mettre la sécurité sociale à l’abri.

Les générations plus jeunes sont beaucoup plus diverses. Elles se préoccupent du climat, de l’infrastructure, de l’égalité raciale, de l’égalité de genres. Le fait que les boomers se focalisent exclusivement sur la sécurité sociale, plus le fait qu’ils sont aussi nombreux, les rend très puissants. Mais tout n’est pas de la faute des boomers : historiquement, les jeunes générations votent moins.

Quand on voit comment nos générations (Gibney appartient à la génération X, l’auteure de cet article est une milléniale) ont voté, et qu’on l’extrapole, je ne vois pas de victoires électorales en 2018 et 2020. Les jeunes votent plus souvent démocrate, donc pour cette année je n’attends pas de gros changements. Mais j’espère ne pas me tromper.

Pour 2020, j’espère une révolution des générations. Et en 2020, nous avons encore le temps de changer de cap. Un président motivé, et un parlement qui l’est tout autant peuvent réparer les pensions, et peuvent faire beaucoup pour le changement climatique. Ce sera beaucoup plus difficile que cela ne l’aurait été dans les années 90 ou 2000, mais c’est possible. Si nous attendons beaucoup plus longtemps que 2020, ces problèmes seront insolubles. Le coût de la dette publique et du changement climatique sera trop élevé.

Il y a un moment où, même si les électeurs individuels sont progressifs, les choix difficiles s’avèrent trop difficiles. L’Europe l’a vécu dans les années 30. Les circonstances étaient si graves, que les gens ont dû faire des choix qu’ils ne soutenaient pas. Nous devons intervenir maintenant, pour l’éviter. Le temps presse.

Mais nous sommes les enfants et petits-enfants de baby-boomers. Qu’allons-nous faire s’ils nous ont transmis leur sociopathie ?

Chacun est influencé par ses parents. Parfois, nous imitons leur comportement, parfois nous nous opposons à eux. Les boomers se sont rebellés contre leurs parents, qui étaient économes, prudents et très sociables. Les boomers sont exactement l’inverse. Ce sont des néolibéraux déséquilibrés.

Les millénials et la génération X sont différents sur quelques points essentiels, parce que nos attentes sont différentes. Pour nous, l’idée de réussite économique n’est pas automatique, ce n’est pas une hypothèse de base. Mon diplôme de droit en poche, je suis entré sur un marché du travail confronté à la bulle internet. Et jusqu’en 2015-2016, les catastrophes économiques se sont enchaînées. Le marché du travail n’est normal que depuis un an ou deux, même si les salaires n’ont pas suivi. Personne de notre génération ne s’imagine pouvoir aller gratuitement à l’université (aux États-Unis, NLDR). Et les jeunes ne s’attendent pas à ce que le filet social existe encore quand ils en auront besoin.

Dans votre livre, vous qualifiez Ronald Reagan de premier président boomer, bien qu’il vienne d’une autre génération. Ensuite, il y a eu George Bush sr, Bill Clinton, George Bush jr, et Donald Trump. Où classez-vous Barack Obama ?

Au niveau de l’âge, Obama est un baby-boomer, mais il s’agit d’une définition culturelle, qui tourne autour de l’expérience de la majorité. À cet égard, Obama n’est pas un boomer. Il est à moitié afro-américain, il est né à Hawaï, et il a vécu une partie de sa jeunesse à l’étranger. C’est une expérience culturelle radicalement différente de George Bush. Il est intéressant qu’Obama n’aime pas être qualifié de boomer. Il n’a pas eu les mêmes avantages sociaux et économiques dont ont profité les autres présidents boomers. Je n’approuvais pas toujours Obama, mais il défendait quelque chose, et c’était une alternance bienvenue. Mais à présent, les boomers ont à nouveau tout le pouvoir à la Maison-Blanche.

L’Amérique peut-elle encore être sauvée? Et que faut-il faire pour cela ?

Absolument. Mais pour cela, nous devons prendre les problèmes à long terme au sérieux. Et nous devons nous débarrasser de la classe politique dominante. Nous devons agir pour le climat. Nous devons agir pour la dette publique, parce que celle-ci limite notre marge de manoeuvre pour l’approche de circonstances imprévues telles que des catastrophes de l’environnement et des guerres. Il nous faut un coussin fiscal, et nous devons nous attaquer au déficit budgétaire. Et nous devons investir beaucoup plus agressivement en recherche et en enseignement.

Le moteur fondamental c’est la croissance de productivité, et celle-ci vient de l’innovation technologique, et de l’enseignement. Par conséquent, nous devons investir en universités. Nous devons également pomper de l’argent en infrastructure, même si en ce moment ce serait déjà bien si on arrivait à suivre un peu.

Et puis il y a beaucoup de travail au niveau des droits civiques, à commencer par l’écart salarial. Aujourd’hui, c’est difficile à croire, mais en 1978, les républicains ont soutenu l’amendement pour l’égalité des droits qui rend illégale la discrimination basée sur le sexe ou l’origine. J’espère que celui-ci pourra être prolongé par voie démocratique.

Mais pour cela, il faut que les jeunes agissent.

Il faut qu’ils se présentent, et ils doivent voter. Nous avons déjà vu une version en France avec le mouvement d’Emmanuel Macron. Les Pays-Bas et la Belgique possèdent de jeunes Premiers ministres. Aux États-Unis, il y a plus de jeunes politiquement actifs, car nous avons déjà vu Roseanne et Full House, tout comme Bush et Clinton. Nous ne voulons pas de reboots, mais alors nous devons le faire nous-mêmes. L’avenir appartient aux jeunes.

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