David Engels
Crise migratoire: C’est le moment de… (re)lire La loi salique
Cette incitation peut paraître quelque peu curieuse, je le concède, mais les temps sont devenus si bizarres que des constellations remontant à des siècles, voire des millénaires semblent refaire surface presque quotidiennement.
Ainsi, il y a quelques jours, on se serait cru en pleine époque des migrations des peuples en lisant, dans le journal Le Causeur du 17 novembre, un article de Christian de Moliner intitulé » Pour éviter la guerre civile, divisons la France « . Sa proposition : vu la montée du fondamentalisme islamiste, réformer la France selon l’exemple de l’Algérie coloniale. Le pays conservera un seul gouvernement, mais sera composé de deux peuples : » les Français avec les lois habituelles, et les musulmans avec un statut coranique (mais uniquement pour ceux qui le choisiront). Ces derniers auront le droit de vote, contrairement aux indigènes de l’Algérie coloniale, mais ils appliqueront la charia dans la vie courante […]. Ils ne s’adresseront plus à des juges français pour des litiges entre musulmans, mais à des cadis. Par contre, les conflits entre chrétiens et croyants resteront du ressort des tribunaux ordinaires. »
Comment ne pas penser à l’Antiquité tardive et, particulièrement, à des textes comme la » Loi salique « , remontant à l’origine jusqu’au ive siècle ? Il y a presque deux mille ans, les Romains ont d’abord accueilli les Germains comme auxiliaires militaires, puis comme migrants économiques, et finalement comme colons afin de peupler les régions désertifiées de leur empire et, rapidement, ils ont été obligés de leur concéder de vivre sous leurs propres lois. Ce qui devait simplifier l’administration et permettre aux peuples de vivre paisiblement côte à côte allait se retourner contre les hôtes quand les Germains prirent le pouvoir et transformèrent la coexistence juridique en inégalité sociale : dans les strates plus récentes de la » Loi salique « , tuer un » Romain » n’était passible que de la moitié de l’amende infligée pour l’assassinat d’un Franc…
Voulons-nous vraiment qu’un jour, l’histoire bégaie ? Ce qui, dans l’article mentionné plus haut, peut paraître comme une (très mauvaise) blague n’est pas une idée si extravagante : dans la presse allemande, on lit régulièrement la proposition de ne plus répartir les migrants sur l’entièreté du territoire, mais plutôt de leur construire des villes spéciales afin de les protéger du » choc culturel » de la vie en Occident et de leur permettre de vivre plus en accord avec leurs traditions. Or, l’histoire nous apprend que toute tentative de ce genre ne peut que mener à l’abîme – non seulement à cause de l’immense potentiel de conflit et d’inégalité, mais aussi parce que toute légalisation d’une quelconque ségrégation spatiale ou juridique équivaudrait à baisser les bras devant le vrai défi : celui de construire une citoyenneté à la fois tolérante à l’égard des nouveaux-venus et respectueuse face aux valeurs de ceux qui ont construit la société d’accueil et qui ont donc le droit d’en définir le cadre…
Arcana imperii (IVe-XIe siècle). Recueil d’articles par Olivier Guillot, Pulim, 2003.
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