Crimes politiques en Afrique
Les crimes politiques perpétrés en Afrique au cours de la seconde moitié du XXe siècle sont étroitement reliés à la colonisation du continent par les ex-grandes puissances européennes. Aujourd’hui encore, l’ombre des colonisateurs continue de peser énormément sur la scène politique de maints Etats africains.
DES BALLES POUR DARLAN
L’opération militaire Torch est l’une des moins célèbres de la Seconde Guerre mondiale. En été 1942, le Reich allemand lance une seconde offensive en Russie. Joseph Staline presse ses alliés occidentaux de déclencher une attaque contre les forces nazies en Europe de l’Ouest. Il espère ainsi affaiblir la pression allemande sur le front russe. Mais ni la Grande-Bretagne ni les Etats-Unis ne sont prêts à s’engager dans des combats d’une telle ampleur. Le Premier ministre britannique Churchill et le président américain Roosevelt décident plutôt d’intervenir dans les colonies françaises d’Afrique du Nord, au départ du Maroc et de l’Algérie. Après s’être rendus maîtres des côtes nord-africaines, les Alliés comptent sur cette base pour préparer leur invasion dans le sud de l’Europe et les Balkans.
Le 8 novembre 1942, des régiments américains et britanniques débarquent simultanément dans trois zones situées au Maroc et en Algérie. Bien que les troupes françaises loyales au gouvernement de Vichy leur aient initialement opposé une défense vigoureuse, l’invasion est un succès pour les Alliés. L’objectif de ceux-ci est de confier le commandement de l’Afrique française du Nord à un gradé français expérimenté, le général Henri Giraud qui, loin d’être inféodé à Vichy, vient de s’évader des geôles allemandes. Ils changeront néanmoins leurs plans à la dernière minute.
L’amiral Darlan, ministre de la Marine et l’un des piliers du régime de Vichy, se trouvait par hasard à Alger au cours de l’invasion. Il y rendait visite à son fils souffrant de la polio. Il apparaît rapidement que l’ambitieux Darlan, qui avait loyalement servi les Allemands depuis deux ans, est disposé à se détourner de Vichy pour se ranger dans le camp des Alliés. Il ordonne ainsi aux troupes françaises d’Afrique du Nord d’abandonner toute résistance et de se placer sous le commandement des forces alliées. L’opération Torch a donc atteint son objectif.
De Gaulle est, quant à lui, furieux de la tournure des choses. De même que la résistance française à Alger, qui juge inadmissible que des dirigeants politiques et militaires auparavant liés au régime vichyste du maréchal Pétain puissent continuer à assumer les plus hautes responsabilités. Darlan s’est lui-même définitivement condamné en maintenant les lois racistes des nazis ainsi que l’internement en camp de concentration des opposants à Vichy.
Fernand Bonnier de La Chapelle, un résistant monarchiste âgé d’une vingtaine d’années, décide avec quelques comparses de supprimer Darlan. Bonnier a été désigné par tirage au sort pour mener cette mission meurtrière. Le soir du 24 décembre 1942, le jeune conjuré commence par se confesser et s’introduit ensuite sous une fausse identité dans le Palais d’été où résidait Darlan. Après avoir patienté quelque temps, il voit surgir l’amiral en compagnie d’un officier. Bonnier dégaine alors le vieux revolver qu’il a acheté pour l’occasion et tire sur sa cible à deux reprises. Darlan décèdera au bout de quelques heures à l’hôpital. L’auteur est sommairement jugé devant une cour martiale immédiatement mise sur pied et fusillé dès le lendemain de Noël.
DEUX ATTENTATS CONTRE VERWOERD
En 1948, le Parti national sud-africain est arrivé au pouvoir en remportant les élections de justesse. Dans les années suivantes, le parti des Afrikaners nationalistes ne fait que renforcer ses positions. Aux élections de 1953 et 1958, il parviendra même à s’assurer une confortable majorité absolue.
Né aux Pays-Bas, Hendrik Verwoerd accède en 1958 à la fonction de Premier ministre, ce qui lui permet de mettre en application la politique d’apartheid qu’il avait élaborée antérieurement en tant que ministre des Affaires indigènes. Il met aussitôt en oeuvre une législation ségrégationniste visant le développement de communautés distinctes en se basant sur la couleur de peau. Ainsi, la majorité de la population noire ou de couleur se voit privée de droit de vote et regrouper dans les régions désolées des homelands. Ces territoires, les Bantoustans, manquent des infrastructures les plus essentielles.
Les deux attentats contre le Premier ministre Verwoerd ne furent pas commis par des membres l’ANC, mais bien par des Sud-Africains blancs. Celui du 9 avril 1960 fut l’oeuvre de David Pratt, un Boer d’origine anglaise. Au cours d’une foire commerciale à Johannesburg, cet homme tira trois balles sur le Premier ministre, qui ne fut que légèrement blessé. Pratt fut jugé mentalement irresponsable et interné dans un asile psychiatrique.
Le 6 septembre 1966, en revanche, un second attentat sera fatal à Verwoerd. Vers 14 heures, en pleine séance de l’Assemblée nationale au Cap, un messager parlementaire se hâta vers les bancs où siègeait le gouvernement. L’individu fit mine de s’adresser au Premier ministre et celui-ci se pencha pour l’écouter. Verwoerd fut brusquement frappé de quatre coups de poignard au cou et à la poitrine. Il décéda sur le chemin de l’hôpital de Groote Schuur. Son meurtrier, Dimitri Tsafendas, était un citoyen mozambicain d’origine grecque. Bien qu’il fut enregistré comme Blanc, la peau foncée de Tsafendas l’avait empêché de poursuivre une carrière stable. Quelque temps avant l’assassinat de Verwoerd, il avait d’ailleurs introduit une demande officielle pour être reclassé sous le statut d’homme de couleur. Tsafendas fut lui aussi placé dans une institution jusqu’à la fin de ses jours pour cause d’irresponsabilité psychologique.
LA FIN DE LUMUMBA
Les troubles auxquels fut confronté le Congo de l’été à l’automne de 1960 étaient dus en grande partie à la précipitation avec laquelle la Belgique avait décidé de mener sa colonie vers son indépendance. Le 20 janvier 1960, les représentants belges et congolais s’étaient entendus à la table ronde de Bruxelles sur le lancement d’un processus d’émancipation qui nécessiterait encore quelques années. Mais dès le 18 février suivant, l’annonce du fait que l’indépendance congolaise surviendrait finalement à peine quatre mois et demi plus tard prit tout le monde de court.
Aux premiers jours de l’indépendance, deux incidents ont mis le feu aux poudres. Tant le commandant en chef belge de l’armée congolaise, le général Janssens, que Patrice Lumumba, le tout nouveau premier ministre, ont fait preuve d’un manque de perspicacité diplomatique. Lors de la cérémonie entourant la Déclaration d’indépendance, Lumumba s’est mis à dos le roi Baudouin et tout l’establishment belge en fustigeant la politique coloniale menée par la Belgique. Quant au général Janssens, il a cru bon de rabaisser les soldats congolais qui étaient sous ses ordres, en déclarant qu’ils n’avaient rien à espérer de l’indépendance.
L’entente mutuelle entre les nouveaux dirigeants congolais s’est dégradée très rapidement, à tel point qu’aux premiers jours de septembre, les Congolais apprennent avec stupeur que le président Kasa-Vubu et le premier ministre Lumumba se sont réciproquement déclarés inaptes à gouverner. Ayant obtenu gain de cause, Kasa-Vubu remettra le pouvoir entre les mains du jeune colonel Mobutu.
Lumumba n’a eu aucun soutien, ni de la Belgique ni des Américains, ni même des grandes industries. Après sa révocation, l’ex-Premier ministre s’est retrouvé totalement isolé, traité comme un paria dans son propre pays. Kasa-Vubu ayant été reconnu seul représentant officiel de l’Etat congolais, les casques bleus affectés à la surveillance de la résidence de Lumumba ont reçu l’ordre de se retirer, mettant en péril sa sécurité personnelle et familiale. Tentant de se réfugier au Katanga, Lumumba perd beaucoup de temps en route. Arrêté dans le Kasaï, il est transféré à la caserne de Thysville, près de Léopoldville (actuellement Kinshasa), où une rébellion avait éclaté le 5 juillet précédent. Une nouvelle mutinerie militaire ayant été déclenchée, Kasa-Vubu et Mobutu jugent la présence sur place de l’ancien Premier ministre trop risquée. Le 17 janvier 1961, en concertation avec les autorités belges, la décision est prise d’emmener Lumumba à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi), la capitale du Katanga. Malmené et torturé, il finira sa course à quelques kilomètres d’Elisabethville, achevé par les balles de gendarmes katangais. Plusieurs hauts dirigeants katangais étaient sur place au moment des faits ainsi que des agents belges.
COUPS D’ÉTAT AU NIGERIA
Tant sa superficie, sa démographie florissante et la richesse de ses ressources minérales auraient pu faire du Nigeria le parangon des Etats africains. L’indépendance du pays fut célébrée en grande pompe trois mois après celle du Congo. Les représentants d’une cinquantaine de pays furent invités à la cérémonie. La saine gestion des Britanniques lui avait assuré la stabilité politique et la Grande-Bretagne a longuement et soigneusement orchestré l’émancipation nigériane en impliquant les citoyens dans une étroite collaboration entre les instances locales, régionales et fédérales. Abubakar Tafawa Balewa, le premier chef du gouvernement fédéral, était un homme politique éminemment respecté. Rarement, choix fut plus opportun.
Mais ce modèle pourtant exemplaire s’écroula comme un château de cartes à peine cinq ans plus tard. Dans le sud du pays, un groupe de jeunes officiers prit le pouvoir par la force le 15 janvier 1966. Dans la foulée, les dirigeants des autres régions furent massacrés. Tafawa Balewa faisait partie des victimes. Les circonstances exactes de la mort du Premier ministre ne furent jamais élucidées. Son corps fut retrouvé six jours après le coup d’Etat, gisant sur un carrefour non loin de Lagos, la capitale. Le Nigeria restera par la suite très divisé, administré dans le plus grand chaos. Deux autres coups de force suivront le premier, l’un dans le courant de la même année 1966 et, le second, dix ans après, coûtant la vie aux principaux leaders en place.
RWANDA ET BURUNDI, LE GÉNOCIDE
Deux ans après l’émancipation du Congo, la Belgique a révoqué le mandat sur le Rwanda et le Burundi, tous deux accédant ainsi à leur indépendance. Dès le début, la répartition démographique des nouveaux Etats entre ethnies Hutu (85 % de la population) et Tutsi (15 % de la population) s’avère problématique. Deux semaines après avoir été placé à la tête du gouvernement burundais, le prince Louis Rwagasore, un fils du roi Mwambutsa IV, est abattu par un commerçant d’origine grecque. En tant que leader de l’Union pour le progrès national, Rwagasore avait cependant tout mis en oeuvre pour mettre les deux communautés sur pied d’égalité.
Malgré que la minorité tutsie ait continué à distribuer les cartes, le roi tutsi Mwambutsa nommera le 7 janvier 1965 le Hutu Pierre Ngendandumwe Premier ministre, cette décision causant un grand remous chez les Tutsis radicaux. Au bout d’une semaine, Ngendandumwe sera lui-même assassiné par un réfugié tutsi rwandais qui travaillait à l’ambassade américaine. Pour assurer la transition jusqu’aux élections, le roi choisit cette fois un Hutu : Joseph Bamina. En mai 1965, les Hutus raflent 80 % des voix à la sortie des urnes et Bamina entre en fonction comme président du Sénat. Au lieu de donner la préférence à un autre Hutu, le roi désigne alors à nouveau un Premier ministre tutsi. En réaction, des officiers hutus vont fomenter un coup d’Etat militaire, mais la contre-révolution organisée par les soldats tutsis déjoue leurs plans in extremis. Bamina et la plupart de ses collègues seront exécutés le 15 décembre suivant.
Mais c’est en 1994 que vont s’écrire les pages les plus sombres de l’histoire rwando-burundaise. Le 6 avril, le président rwandais Juvénal Habyarimana, qui a imposé un régime totalitaire sous administration hutue, s’apprête à atterrir à bord du jet présidentiel sur l’aéroport de Kigali. Il n’atteindra toutefois jamais son objectif. Touché par deux missiles, l’avion s’écrase dans les flammes, coûtant la vie au président ainsi qu’à nombre de hauts représentants de son gouvernement.
La réaction des militants hutus ne se fait pas attendre. Ils attribuent l’attentat au Front patriotique rwandais (FPR), un groupe d’exilés rwandais tutsis réfugiés en Ouganda voisin, commandé par Paul Kagame. Machette au poing, les extrémistes hutus se ruent impitoyablement sur leurs compatriotes tutsis et hutus trop modérés. Le génocide qui en résulte fera pas moins de 800 000 à 1 million de morts, selon les estimations. La Première ministre Agathe Uwilingiyimana figure parmi les toutes premières victimes. Le génocide sera encore suivi par une vague de migrations, les combattants du FPR venus d’Ouganda contraignant des dizaines de milliers de Hutus à fuir au Congo.
Les exilés hutus trouveront un abri dans des camps de réfugiés à l’est du Congo. Sur place, ils sont contrôlés par des milices ayant joué un rôle actif dans le génocide au Rwanda. Une situation intolérable pour le nouveau régime instauré au Rwanda par le FPR, qui envahit le Congo oriental. C’est par ailleurs un appui inespéré pour le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila dans sa lutte pour renverser Mobutu, le président-dictateur du Zaïre. Le 16 mai 1997, ce dernier fuit le pays et Kabila devient le président de la nouvelle République démocratique du Congo. Quatre ans plus tard, Kabila sera lui-même abattu dans son palais de Marbre par un de ses gardes du corps. Onze ressortissants libanais seront capturés et exécutés le jour suivant, des diamantaires libanais, supposés commanditaires de cet assassinat. Une simple histoire de transaction qui aurait mal tourné ?
Marc Gevaert
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