Vladimir Poutine © iStock

« Crimes de guerre », « génocide »: qui peut vraiment punir Vladimir Poutine?

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le tragique épisode de Boutcha montre, une fois de plus, que la stratégie de guerre de la Russie semble aller à l’encontre du droit international humanitaire. De manière flagrante. Mais qui peut vraiment punir Poutine pour ses actes?

En quoi la stratégie de guerre de la Russie est-elle si choquante?

Les derniers événements de Boutcha démontrent une nouvelle fois à quel point l’armée russe dépasse les limites de l’acceptable dans la guerre en Ukraine. Elle prend pour cible et exécute systématiquement des civils, sans aucun lien avec l’armée ukrainienne ou qui constitueraient une menace militaire pour la Russie. Il s’agit, par définition, d’une violation du droit international humanitaire. A Boutcha, l’armée russe a arbitrairement exécuté 300 civils alors qu’ils étaient simplement dans la rue. Des dizaines de morts ont été photographiés le long de la route, les mains liées dans le dos. Des scènes d’une atrocité rare, qui rappellent les actes de vengeance insensés que les nazis en retraite avaient également commis dans le village français d’Oradour-sur-Glane, en 1944, rappelle le Standaard dans son édition du jour. Un nouveau rapport de Human Rights Watch montre également que des soldats russes ont délibérément pris pour cible des civils, y compris mineurs, des abris anti-aériens pour les tuer ou les violer. L’organisation de défense des droits de l’homme conclut qu’il s’agit sans aucun doute de crimes de guerre et qu’ils doivent être punis comme tels.

De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que la Russie commettait un génocide contre les Ukrainiens. Il y a encore une grande différence entre commettre systématiquement des crimes de guerre et commettre un génocide. Pourtant, ces nouvelles violations donnent un certain poids politique à la revendication de Zelensky. Le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte ont déclaré sur Twitter que la Russie « devra répondre de ses crimes ». Le premier ministre espagnol Sanchez a rejoint Zelensky en évoquant un possible « génocide », terme lourd de sens et petit à petit employé par certains responsables occidentaux pour qualifier les actes de l’armée russe en Ukraine.

Des crimes de guerre, est-ce vraiment neuf dans les actes militaires de la Russie?

Pas vraiment. Dans le passé, on retrouve déjà des preuves de l’utilisation, par exemple, de bombes à fragmentation sur des zones résidentielles. Un crime de plus dans une longue liste de crimes commis par le régime de Poutine. « Si nos politiciens commencent seulement maintenant à penser qu’il s’agit d’une occupation criminelle, alors ils ont cinq semaines de retard. Rien de fondamental n’a changé dans la nature du conflit », a déclaré à la télévision néerlandaise Ugur Üngör, professeur d’études sur le génocide à l’Université d’Amsterdam.

Pourtant, Boutcha s’érige comme un véritable point de basculement pour l’Union européenne, qui a d’ailleurs annoncé se réunir en urgence pour décider de nouvelles sanctions plus sévères envers la Russie. Car, à Boutcha, le pouvoir de l’image est plus lourd de sens encore. Auparavant, des vidéos sur les supposés crimes de guerre de la Russie circulaient largement sur les réseaux sociaux. Mais à Boutcha, ce sont des équipes de télévision internationales ou des agences de presse qui ont pu filmer ou photographier la situation sur le terrain pour la première fois.

Ces actes peuvent-ils être pénalisés? Si oui, comment?

Parce que la charge de la preuve dans les crimes de guerre est si lourde, la possible sanction nécessite une enquête approfondie. Quelques images ou vidéos ne suffisent pas. Il doit y avoir suffisamment de preuves sur ce qui s’est exactement passé, où et pourquoi, rappelle le Standaard. Après tout, l’armée russe peut se défendre en disant que les civils impliqués étaient des partisans déguisés à un certain endroit, ou peut remettre en cause des témoignages anonymes. C’est d’ailleurs (déjà) la position adoptée par le Kremlin en réponse aux accusations de Zelensky. La Russie a annoncé qu’elle allait enquêter sur une « provocation » visant à « discréditer » les forces russes en Ukraine, après la découverte d’un grand nombre de cadavres de civils à Boutcha.

Si la Cour pénale internationale de La Haye doit se saisir de la question, elle a aussi besoin d’un accusé, qui puisse être tenu individuellement responsable des faits sur place et qui puisse être extradé, explique le Standaard. La Cour ne jugera personne par contumace – y compris le président Poutine – qui n’est pas personnellement responsable des décès.

Stjepan Mestrovic, expert en procès pour crimes de guerre (Université du Texas), a expliqué au Standaard que l’Occident devrait déjà dégager des budgets importants pour les équipes d’enquêteurs et les experts juridiques. Si nécessaire, certains pays peuvent essayer de mettre en place un tribunal spécial, comme ce fut le cas à l’époque pour les procès nazis à Nuremberg ou avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. La Russie n’accepterait probablement jamais cela, mais l’Occident n’a pas encore atteint ce stade non plus.

Le droit international humanitaire et le droit de la guerre valent-ils encore quelque chose?

Le droit international a été développé au début du 20e siècle pour mettre fin aux brutales « guerres de conquête » des siècles précédents.

Les conflits récents en Syrie, au Yémen ou en Birmanie montrent que cette norme est en train de s’estomper, souvent sans réelles conséquences. Les auteurs de crimes de guerre sont restés au pouvoir, et ces pays ne sont même pas – comme la Russie – un membre puissant du Conseil de sécurité de l’ONU. Une situation qui laisse penser que les conventions de Genève perdent de leur influence pour un pays tant qu’il ne fournit des biens cruciaux au marché mondial. Pourtant, d’autres observateurs soulignent que les normes du droit de la guerre sont toutes très vivantes. Car, dans le cas contraire, les violations russes n’entraîneraient pas des sanctions aussi sévères.

Des « crimes de guerre » qui « ne peuvent rester impunis », selon Alexander De Croo

Le Premier ministre Alexander De Croo a exprimé via un tweet son indignation face aux images qui ont fait le tour du monde durant le week-end, celles de cadavres de civils, certains aux mains liées, à Boutcha, petite ville au nord-ouest de Kiev.

Ces « images horribles » ne s’effaceront jamais, indique Alexander De Croo dans son tweet, parlant de « crimes de guerre » qui ne « peuvent rester impunis ».

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Varsovie a entre-temps demandé de mettre sur pied une commission d’enquête internationale sur les « massacres » présumés commis par des soldats russes en Ukraine.

Alexander De Croo se réfère quant à lui à la Cour pénale internationale. La Belgique la « soutient pleinement » dans son « important travail à venir », note le Premier ministre. Début mars, le procureur de la Cour pénale internationale avait annoncé l’ouverture immédiate d’une enquête sur la situation en Ukraine et de possibles crimes de guerre.

Les Etats-Unis vont tenter de faire suspendre la Russie du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU

Les Etats-Unis vont tenter d’obtenir la « suspension » de la Russie du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, en réponse notamment « aux images de Boutcha », a annoncé l’ambassadrice américaine aux Nations unies.

« Nous ne pouvons pas laisser un Etat membre qui est en train de saper tous les principes qui nous tiennent à coeur participer au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU », a tweeté l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield.

Elle s’est adressée aux 140 pays qui ont « déjà voté pour condamner » l’invasion russe de l’Ukraine: « les images de Boutcha et la dévastation à travers l’Ukraine nous impose à présent de passer de la parole aux actes ».

« En étroite coordination avec l’Ukraine et les autres Etats membres et partenaires à l’ONU, les Etats-Unis vont travailler à la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU », a ajouté la diplomate, actuellement en visite en Roumanie.

« On ne peut pas laisser la Russie utiliser son siège au Conseil comme outil de propagande lui permettant de suggérer qu’elle a une préoccupation légitime au sujet des droits humains », a-t-elle ajouté.

La démarche américaine risque toutefois de buter sur plusieurs obstacles.

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