Coup d’Etat au Niger : pourquoi l’uranium est un enjeu pour l’Europe
L’exploitation des mines du Niger par la société française Orano est-elle menacée? Pas forcément, selon Teva Meyer, chercheur associé à l’Iris.
L’instabilité au Niger recèle aussi un enjeu énergétique. Le pays est le deuxième fournisseur d’uranium de l’Europe et la société française Orano (ex-Areva) y exploite plusieurs mines. Décryptage avec Teva Meyer, maître de conférences à l’université de Haute-Alsace, chercheur associé à l’institut des Relations internationales et stratégiques et auteur de Géopolitique du nucléaire (Le Cavalier bleu, 2023, 184 p.).
La menace islamiste et la montée du sentiment antifrançais n’avaient-elles pas déjà conduit Orano à se désengager du Niger?
Orano s’est diversifiée pas tellement en raison de la menace politique, plutôt à cause du coût de production de l’uranium au Niger, beaucoup plus important que celui en vigueur en Asie centrale où la société est aussi présente. A la suite de la catastrophe de Fukushima, en 2011, le marché de l’uranium s’est effondré et son prix a stagné à des niveaux bas, de 20 à 30 dollars la livre, soit en dessous des coûts d’exploitation des mines au Niger.
Devoir se passer de la production d’uranium du Niger serait-il soutenable pour l’Europe?
Si jamais l’Europe doit perdre l’approvisionnement du Niger, les conséquences ne se feront ressentir qu’à long terme. Entre le moment où on exploite la mine d’uranium et celui où on utilise le combustible nucléaire, plusieurs années s’écoulent. Cela laisse du temps pour se retourner. Certes, on peut trouver d’autres fournisseurs, mais probablement à des prix plus élevés, soit au Canada, où l’on a partiellement arrêté d’exploiter les mines en raison des coûts, soit auprès d’autres exploitants également plus chers. La question est plus tendue pour Orano. Le Niger représente encore, pour elle, des investissements importants et est au cœur de décisions d’investissements qu’elle doit prendre pour les années à venir, notamment dans la mine d’Imouraren. Les changements politiques auront forcément un impact sur celles-ci.
Teva Meyer «Chinois et Russes tentent de racheter des mines à l’étranger depuis quelques années.
Le changement de pouvoir à Niamey peut-il conduire à un contrôle de ces mines par d’autres exploitants, russes par exemple?
Si on se fie à ce qui s’est passé au Mali et au Burkina Faso où ont également eu lieu des coups d’Etat, et malgré les discours antifrançais, les investissements d’entreprises françaises n’ont pas été mis à mal. Orano n’aurait donc pas nécessairement de problème pour continuer à exploiter les mines nigériennes. Cependant, si le nouveau pouvoir développait une politique antifrançaise, qui en profiterait? Je tablerais moins sur la Russie, dont on parle beaucoup, que sur la Chine car déjà présente dans le pays. Elle y a investi dans le secteur de l’uranium dès 2007, pas la Russie.
En 2022, les fournitures de l’Europe provenaient principalement du Kazakhstan (26,8%), du Niger (25,3%), du Canada (22%) et de la Russie (16,8%). Compter en grande partie sur la Russie, le Niger qui risque de basculer dans le camp prorusse, et le Kazakhstan, ex-république d’URSS, n’est-ce pas risqué?
On a déjà eu un début de réponse à ce questionnement en constatant que le Kazakhstan s’est plutôt éloigné économiquement de la Russie ces dernières années et a accepté des investissements d’autres pays que la Russie, comme le Canada. Le Kazakhstan s’affirme donc comme un partenaire fiable. Autre élément de réponse, si on devait se passer du Niger et de la Russie (NDLR: dont la production d’uranium échappe jusqu’à présent au régime des sanctions décidées dans le cadre de la guerre en Ukraine), cela nécessiterait plus d’importations d’Australie et du Canada. Ce scénario est envisageable. Les capacités existent dans ces pays. Elles n’ont été mises en sommeil que parce qu’elles étaient trop coûteuses à exploiter.
Le regain d’intérêt, ces dernières années, pour le nucléaire, notamment pour des raisons «écologiques», a-t-il dopé la demande en uranium?
Oui. Il y a un indicateur clair: depuis deux ans, le prix de l’uranium sur les marchés a doublé en raison de la guerre en Ukraine, du regain d’intérêt pour le nucléaire et de la fermeture de certaines mines après la crise du Covid, en Afrique du Sud et au Canada. L’augmentation de la demande s’explique aussi parce que la Chine et la Russie ont du mal à se fournir en suffisance sur le plan intérieur. C’est aussi la raison pour laquelle les Chinois et les Russes tentent depuis quelques années de racheter des mines à l’étranger, les premiers au Sahel, les seconds plutôt en Afrique subsaharienne.
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