COP27: l’Allemagne fait face à une nouvelle radicalité pour le climat
En Allemagne, des activistes désabusés par les reculs de leur cause dans le sillage de la guerre en Ukraine multiplient les actions coup de poing et suscitent des inquiétudes croissantes.
Le clic d’un bocal qu’on décapsule, le splash d’une matière molle qui s’étale, la sonnerie d’une alarme, un gardien qui arrive… Il aura fallu moins de quinze secondes à Mirjam Herrmann et à son compagnon de lutte pour lancer le contenu d’un bocal de purée de pommes de terre sur une œuvre de Monet – l’une des nombreuses déclinaisons des Meules –, décapsuler une dose de Super Glue et fixer leurs mains au mur, à proximité du cadre. Le tableau, recouvert d’une plaque de verre, «n’a subi aucun dommage», a précisé la direction du musée Barberini de Postdam, près de Berlin. La scène, filmée par un troisième activiste et aussitôt postée sur le Net, suscite en Allemagne un débat passionné, entre ceux qui y voient l’action d’une «bande d’ayatollahs du climat» et ceux pour qui «il est urgent de mettre fin au scandale qui veut qu’on investisse des milliards dans l’art en laissant mourir la planète, notre bien le plus précieux».
Nous devons reconnaître en toute lucidité que les puissants de ce monde ne prennent pas les mesures nécessaires pour éviter le pire.
Le musée Barberini abrite la collection privée d’une centaine d’impressionnistes – la plus grande de ce courant hors de France – du mécène milliardaire Hasso Plattner, l’un des fondateurs du géant allemand du logiciel d’entreprise SAP. Il avait acquis l’œuvre pour 111 millions de dollars, un record sur le marché de l’art. «Comment se fait-il que des milliers de morts dues à la chaleur et aux inondations suscitent moins d’indignation que de la sauce tomate ou de la purée de pommes de terre sur un tableau?», s’étonne Lina Johnsen, l’une des porte-parole du mouvement.
«Cette exposition est l’une des plus belles que j’aie vues, explique Mirjam Herrmann au lendemain de son action aussi spectaculaire que contestée. Nous ressentons un attachement pour ce qui est une pièce unique et nous avons peur de la perdre. Notre planète est une pièce unique. Nous avons besoin d’une protestation qui indigne et qui agite pour vraiment toucher les gens.» Mirjam Herrmann est l’une des quelque cinq cents activistes de Letzte Generation (Dernière Génération), un de ces groupes nés dans le sillage de Friday for Future. Désabusés face au manque de résultat de la protestation pacifiste, ces militants ont opté pour l’action.
Patience épuisée
Leur mouvement était né en 2021 en Allemagne à la suite de la grève de la faim de sept militants menée pendant la campagne électorale pour la succession d’Angela Merkel. Depuis le début du mois d’octobre, Letzte Generation a accéléré le rythme de ses actions (370 depuis le début de l’année): occupations quasi quotidiennes de l’autoroute urbaine de Berlin, en se collant à l’asphalte, au prix de colossaux embouteillages ; déclenchement de l’alerte incendie du Bundestag suivie d’une interruption des débats parlementaires ; occupation du ministère des Finances ; action devant le ministère des Transports ; perturbation de matchs de football… «Nous intensifions nos actions précisément maintenant, car nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre plus longtemps, insiste Lina Johnsen. Nous avons besoin de grands changements dès à présent. Nous sommes face à la fin de notre civilisation. Et nous devons malheureusement reconnaître en toute lucidité que les puissants de ce monde ne prennent pas les mesures nécessaires pour éviter le pire. C’est donc maintenant que nous devons revendiquer notre droit à la survie. Nous ne pouvons plus attendre.»
Les jeunes de Letzte Generation se voient-ils comme radicaux? «La radicalité, on la trouve plutôt du côté du gouvernement fédéral, qui choisit délibérément de ne rien faire contre la catastrophe climatique», s’offusque Carla Hinrichs, elle aussi activiste, soulignant que jamais le mouvement ne recourt à la violence physique. Elle rappelle qu’en 2011, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avait qualifié les sit-ins de «réunions pacifistes», protégés par la Constitution, à condition toutefois de ne pas susciter d’inconfort pour des tiers. Face aux perturbations suscitées par les actions du groupe, les autorités, un temps prises au dépourvu, ont décidé de durcir leur riposte, et portent désormais systématiquement plainte contre les membres du mouvement. Chaque action peut se solder par de lourdes amendes, voire une peine de prison.
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Les Verts au gouvernement
Carla Hinrichs vient du mouvement Friday For Future, très populaire en Allemagne, avant la crise sanitaire, de nombreux parents défilaient pour le climat aux côtés de leurs enfants. Depuis, la jeune femme a abandonné ses études de droit pour se consacrer à l’activisme. Plusieurs groupes sont nés sur le même concept que Letzte Generation, comme Extinction Rebellion, né en 2018 à Londres, un mouvement s’inspirant du penseur suédois Andreas Malm, auteur de Comment saboter un pipeline?. Celui-ci est convaincu que chaque mouvement pacifique a besoin d’un double plus radical, à l’image de Martin Luther King et Malcolm X. Extinction Rebellion, mêlant art et politique, multiplie les actions coup de poing en Allemagne. Elle n’est pas la seule. Ende Gelände a occupé le port de Hambourg en 2015 puis la forêt de Hambach en 2020, pour stopper l’exploitation d’une mine de charbon. Ses activités sont désormais suivies de près par les services de renseignement intérieur. Il y a aussi Just stop Oil, dont les activistes s’en sont pris à un tableau de Van Gogh à Londres et à La Jeune fille à la perle, de Vermeer, à La Haye.
L’Allemagne a une longue tradition des mouvements de rébellion d’extrême gauche. Pour Berlin, on assisterait d’ailleurs plus à une tentative d’exploitation du mouvement climatique par des individus d’extrême gauche qu’à une radicalisation du mouvement proclimat proprement dit. Cependant, la déception suscitée par la participation des Verts au gouvernement a sans doute également contribué à la radicalisation d’une partie du mouvement proclimat, à l’heure où les écologistes soutiennent désormais les ventes d’armes, et la relance des centrales nucléaires ou à charbon, pour tenter de contenir le prix de l’électricité…
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