«Continuera-t-on à laisser carte blanche aux Israéliens?»
Cette guerre laissera les Israéliens seuls face à une réalité dont ils ne peuvent s’extraire: les Palestiniens ne partiront pas, assure l’analyste Nour Odeh.
Analyste politique palestinienne, consultante en diplomatie publique, Nour Odeh fut également, en 2012, la première femme porte-parole du gouvernement palestinien. Elle décrypte l’enjeu de la guerre entre Israël et le Hamas.
La question palestinienne est-elle arrivée à un tournant décisif?
Incontestablement. J’espère que ce qui se passe actuellement mènera le monde à un moment de vérité, particulièrement sur l’échec collectif qui a mené aux événements du 7 octobre.
Car ces dernières années, les personnes qui ont une influence sur ce dossier n’ont cherché qu’à contenir la colère des Palestiniens, et, in fine, à les plonger dans l’oubli. Le résultat est là, sous nos yeux. Cette guerre, qui est monstrueuse et massivement destructrice, laissera à son terme les Israéliens seuls face à une réalité de laquelle ils ne peuvent pas s’extraire: les Palestiniens ne partiront pas et ne disparaîtront pas de leurs territoires.
Sur le terrain, entre les otages israéliens aux mains du Hamas et du Djihad islamique et la population de Gaza prise sous un déluge de feu, la situation est-elle inextricable?
Bien sûr. Et l’offensive terrestre israélienne prévue à Gaza pourrait avoir des conséquences dont nous peinons à mesurer l’ampleur. Pour l’heure, il est extrêmement difficile de prédire les plans israéliens.
Ce que l’on sait, c’est qu’à l’échelon politique, la droite et l’extrême droite se satisferaient de Gaza sans Palestiniens, toujours avec cette idée qu’ils peuvent facilement être absorbés par les pays arabes aux alentours. C’est une double erreur, puisque les Palestiniens de Gaza refusent et refuseront de partir, et parce qu’il n’est pas dans les plans égyptiens de les accueillir.
En réalité, je ne suis pas sûre que les Israéliens aient à ce jour un agenda bien défini. La seule chose qui me paraît évidente, comme à chaque confrontation à Gaza, c’est que Benjamin Netanyahou souhaite que le bilan des pertes palestiniennes soit cinq à dix fois supérieur à celui des pertes israéliennes.
Demander aux Palestiniens une entière condamnation du Hamas n’est pas réaliste.
Existe-t-il un ressentiment palestinien face à ce qui apparaît comme un soutien inconditionnel de l’Occident à Israël?
Oui, tout cela est vu ici comme une sorte d’arrogance coloniale. Avec beaucoup de questions sans réponse. Le monde continuera-t-il de choyer ainsi les autorités israéliennes, de les préserver des critiques, de leur donner carte blanche? Les pays occidentaux continueront-ils d’appuyer la solution à deux Etats du bout des lèvres tout en laissant Israël saboter cette possibilité, décrédibilisant au passage les Palestiniens qui sont dans le camp de la paix et du dialogue?
S’il n’y a aucune évolution au terme de cette phase, alors c’est une certitude: cela ne sera pas le dernier round de cette tragédie qui nous frappe tous, et tous ceux qui auront contribué à cette paralysie auront le sang de toutes les victimes sur les mains.
En Cisjordanie, quelle a été la réaction après l’attaque du Hamas?
Les premières images qui sont parvenues ici étaient celles de bases de l’armée israélienne attaquées. Il faut bien comprendre que les humiliations quotidiennes, aux check-points et ailleurs, ainsi que les attaques incessantes de l’armée israélienne, qui a un véritable permis de tuer dans nos territoires, ont défini la perception palestinienne du 7 octobre. D’autant que le monde entier s’est rendu compte que l’armée israélienne n’est pas aussi invincible qu’elle en a l’air.
Un sentiment d’exaltation qui n’a duré que quelques heures, puisqu’au regard de l’évolution de la situation, tout le monde s’est immédiatement mis en mode survie. Les routes ont été fermées, les colons ont mené de nouvelles attaques. Depuis le 7 octobre, au moins 59 personnes ont été tuées par des soldats et des colons en Cisjordanie.
Malgré les divergences politiques et idéologiques qui séparent les deux territoires palestiniens, l’inquiétude face aux événements à Gaza est-elle grande?
Bien sûr. Les Palestiniens de Cisjordanie ne sont pas déconnectés de leurs compatriotes de Gaza. C’est la même société. Les gens ont des parents, des amis, des proches. Partout en Cisjordanie, vous trouverez des veillées pour les membres de familles tués par les frappes israéliennes à Gaza.
Et puis, couper l’eau et l’électricité à deux millions de personnes tout en menant des frappes aériennes d’une telle ampleur traduit une volonté israélienne d’accroître le niveau de violence. Et chacun sait que ce qui se passe à Gaza a également des conséquences ici. Considérant que le monde reste impassible face à cela, cela provoquera, à la prochaine confrontation, une nouvelle augmentation dans la gradation de la violence. Jusqu’où?
Mahmoud Abbas, qui avait déclaré que «les politiques et les actions du Hamas ne représentaient pas les Palestiniens» quelques jours après l’attaque, s’est finalement ravisé. Que s’est-il passé?
Déjà, il convient de rappeler que contrairement au narratif israélien qui entend le comparer à Daech, le Hamas n’est ni un groupe étranger ni un groupe composé d’étrangers qui auraient envahi la Cisjordanie et Gaza. Les condamnations des attaques menées contre les civils sont en effet venues aussi dans le cadre d’une quête de dialogue et d’avancées. Mais demander aux Palestiniens une entière condamnation du Hamas n’est pas réaliste. D’autant plus que depuis, plusieurs milliers de Palestiniens ont perdu la vie, un million de personnes ont été déplacées à Gaza….
Une condamnation du Hamas par l’Autorité palestinienne, dans le contexte actuel, aurait été ni plus ni moins qu’un suicide politique. Pourtant, évidemment, ce n’est un secret pour personne, l’OLP (NDLR: Organisation de libération de la Palestine) et le Hamas ont des approches complètement différentes.
L’Autorité palestinienne, vieillissante et en proie à une crise interne, est-elle encore en mesure de peser politiquement en faveur des droits palestiniens?
L’OLP devrait, par essence, avoir un rôle important, mais comment pourrait-il s’articuler dans le contexte actuel? Difficile à dire. Mais penser que le Hamas pourrait être vaincu et disparaître du paysage palestinien serait une terrible erreur de lecture. D’autant que malgré les tragiques événements qui ont suivi, dans les esprits, le Hamas sort déjà victorieux, puisqu’il a réussi à mettre en déroute l’armée israélienne et les services de renseignement. C’est malheureusement ce que le monde peine à comprendre.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici