Un creuseur dans la mine de coltan de Mudere, près de la commune de Rubaya, à une dizaine de kilomètres de Goma.
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Conflit dans l’est du Congo: «Une guerre régionale est peu probable»

François Janne d'Othée

Pour Erik Kennes, le Rwanda chercherait à nouer un accord tacite avec le Congo pour exploiter les minerais de l’Est.

Erik Kennes est chercheur au programme Afrique de l’Institut Egmont. Il analyse les enjeux de la bataille de Goma.

Comment expliquer que l’armée congolaise et ses alliés comme le Burundi, la Monusco, les Sud-Africains, ne parviennent pas à l’emporter contre le M23?

Des problèmes perdurent depuis des années, comme les rivalités au sein du commandement militaire, le manque de coordination, le fait que certains militaires congolais travaillent pour le Rwanda, sans parler des problèmes logistiques, des soldats non payés etc. Des centaines d’entre eux ont déjà rejoint les rangs du M23. D’autre part, dans le domaine des minerais, le pouvoir à Kinshasa a noué des alliances avec des hommes d’affaires locaux, ce qui lui permet, au passage, d’empocher son pourcentage, mais il n’a jamais fait grand-chose pour structurer la gestion des ressources. De même, il manque d’emprise sur plusieurs officiers supérieurs qui préfèrent le business à la stratégie militaire. Comment prendre encore Félix Tshisekedi au sérieux? Oui, il a fait des efforts. Il a relancé l’académie militaire et la formation des officiers à Kananga. Mais, sur le terrain, le résultat est «zéro».

Par le passé, Paul Kagame et Félix Tshisekedi ont réussi à se parler. Pourquoi n’est-ce plus possible?

Le Rwanda chante toujours la même chanson: Kinshasa doit négocier directement avec les rebelles du M23, alors que Kinshasa les considère comme les marionnettes de Kigali. Je pense que l’objectif final de Kigali est d’aboutir à un accord tacite pour gérer l’est du Congo. Le Rwanda a déjà, dans une certaine mesure, intégré l’économie locale dans la sienne. Le M23 pourrait vouloir rendre cette situation permanente, y incluant des aspects sécuritaires. Le Kivu a, depuis des années, un degré d’autonomie de fait, par exemple dans les domaines militaire et foncier.

Comment faire accepter un tel accord?

Aujourd’hui, c’est le business qui prime. Si les entreprises occidentales et chinoises peuvent compter sur un approvisionnement sûr, équilibré et prévisible, d’où que ça vienne, elles l’accepteront. Le Rwanda a réussi à se positionner comme un pôle de stabilité et à présenter le Congo comme chaotique, ce qui n’est pas totalement faux. Un accord qui permettrait de continuer à vendre le coltan à partir du Rwanda, cela pourrait arranger tout le monde. Le Rwanda s’est beaucoup investi dans le Kivu, il ne va pas lâcher le morceau. Mais pas sûr que cet accord se conclura, car la résistance au Congo contre un tel projet est très forte.

Erik Kennes, chercheur à l’Institut Egmont. © D.R.

Au-delà des ressources, certains veulent carrément un changement de pouvoir à Kinshasa. Pourraient-ils arriver à leurs fins?

Corneille Nangaa (NDLR: à la tête de l’Alliance fleuve Congo, AFC, bras civil du M23) voudrait que la rébellion poursuive jusqu’à Kinshasa et qu’on proclame une Constitution fédérale –ce qui donnerait aussi une plus grande autonomie à l’est du pays. Peut-être veut-il faire le forcing? Si oui, le pari est risqué. Partout, et depuis des années, on condamne la présence du Rwanda comme une évidente violation du droit international. Une plus grande pression sur ce pays à la suite de l’occupation de Goma pourrait renforcer la position du président Tshisekedi, même si, sur le plan intérieur, cette défaite l’affaiblit considérablement. C’est pourquoi la présente opération du M23 ne peut être efficace que si elle est couplée à une action quelconque à Kinshasa.

Court-on le risque d’une nouvelle guerre régionale, comme ce fut le cas à la fin du siècle dernier et comme le craint publiquement le Secrétaire général de l’ONU?

C’est peu probable. Le ministre sud-africain de la Défense a déjà lâché qu’il ne voyait pas pourquoi ses militaires devaient mourir au Congo. Les Angolais (NDLR: qui étaient venus à la rescousse de Laurent-Désiré Kabila en 1998) se préoccupent d’abord de leurs propres frontières. Ils ne vont jamais se projeter à l’est, d’autant que le président angolais est le facilitateur des négociations. La pression est d’ailleurs mise pour relancer les processus de Luanda et de Nairobi et pour que Tshisekedi négocie avec le M23. Du point de vue diplomatique, il n’y a pas d’autre solution. Quant à l’Ouganda (NDLR: qui fut un moment l’allié du Rwanda au Congo), il joue un jeu très habile et collabore avec les forces congolaises contre les Allied Democratic Forces (NDLR: groupe armé ougandais opposé au président Yoweri Museveni). Les autorités congolaises critiquent rarement l’Ouganda afin d’éviter la création d’un front commun entre ce pays et le Rwanda.

 

«Le Rwanda s’est fort investi dans le Kivu. Il ne va pas lâcher le morceau.»

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