Conflit israélo-palestinien: « Biden ignore la violation du droit international par Israël » (entretien)
Le géopolitologue Brahim Oumansour ne pense pas que la politique du président américain au Moyen-Orient va se différencier diamétralement de celle de Donald Trump. Même s’il a remis la défense des droits humains au coeur de sa diplomatie.
Après avoir affirmé le droit de l’Etat hébreu à se défendre suite à la confrontation entre Israéliens et Palestiniens, le président américain Joe Biden, dont on dit qu’il a enjoint Israël de ne pas se lancer dans une offensive terrestre, s’attelle à obtenir un cessez-le-feu.
Comprendre l’escalade de la violence au Proche-Orient > Conflit israélo-palestinien: la guerre à défaut de politique
Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, Brahim Oumansour a rédigé la contribution sur le conflit israélo palestinien de l’ouvrage collectif Le Moyen-Orient selon Joe Biden (éd. Erick Bonnier, 222 p.), sous la direction de Hasni Abidi. Il évoque ce que l’on peut attendre de l’administration américaine à propos de la confrontation en cours.
La politique du président américain sur le conflit israélo-palestinien sera-t-elle globalement identique à celle de son prédécesseur Donald Trump ? Vous écrivez que Joe Biden « incarne l’aile interventionniste du Parti démocrate, dont les représentants se retrouvent souvent en accord avec les néoconservateurs » du camp républicain…
Il est difficile d’attendre un changement important, en tout cas dans les actes, sur le Moyen-Orient en général et sur le conflit israélo-palestinien en particulier. Certes, Joe Biden ne développera pas le même activisme diplomatique à l’égard notamment des pays arabes pour normaliser leurs relations avec Israël. Pour autant, il ne reviendra pas sur les Accords d’Abraham qui les ont concrétisées pour certains d’entre eux (NDLR : Emirats arabes unis, Bahrein, Maroc, Soudan) ni sur la décision de transférer l’ambassade des Etats Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.
Même s’il a adopté quelques mesures en faveur des autorités palestiniennes, la relance des subventions ou la reprise des contacts diplomatiques, sa politique ne va pas changer fondamentalement. Toute décision des Etats-Unis sera subordonnée à un feu vert préalable des dirigeants israéliens. Aujourd’hui, avec l’escalade de la violence, les déclarations américaines vont dans ce sens. Joe Biden a soutenu le droit d’Israël à se défendre, tout en ignorant la violation du droit international par l’Etat hébreu. Aucune déclaration de Joe Biden ou de membres de son équipe ne pointe du doigt une quelconque responsabilité d’Israël dans la détérioration des relations, comme la colonisation de nouveaux territoires ou l’expulsion de Palestiniens. On a l’impression aujourd’hui que le droit israélien prime sur le droit international. C’est une faillite morale par rapport au rôle que pourrait jouer Washington.
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Les Etats-Unis de Biden remettront-ils sur la table l’idée d’une solution à deux Etats, impliquant une reconnaissance d’un Etat palestinien ?
Pour le moment, dans le discours, l’administration Biden maintient la perspective de la solution à deux Etats. Mais dans les actes, jusqu’à ce jour et je crains que cela ne soit pas plus le cas dans le futur, elle n’exerce aucune pression sur Israël pour favoriser cette décision. Le gouvernement israélien lui-même est piégé par la montée de l’extrême droite qui exclut toute concession aux Palestiniens et défend une logique d’épuration ethnique voire d’annexion des territoires occupés, y compris à Jérusalem-Est. Benjamin Nétanyahou se sent conforté par le résultat les élections législatives du 23 mars dernier et, avec l’escalade de violence actuelle, il va se positionner à nouveau comme le meilleur rempart contre l’ennemi.
Les quatre années de la présidence de Donald Trump, marquées par l’unilatéralisme proisraélien de sa politique étrangère, expliquent-elles en partie le ressentiment de la population palestinienne ?
C’est une des raisons de la révolte, notamment au sein de la jeunesse. Le sentiment de désespoir qu’elle ressent a été accentué par la diplomatie de Donald Trump, par son soutien indéfectible à Israël, par la normalisation des relations entre Israël et certains Etats arabes, et cela sans contrepartie, par l’absence de concession d’Israël envers les Palestiniens, par la colonisation continue de nouveaux territoires… A cela, il faut ajouter la réaction de la communauté internationale, qui navigue entre un soutien à Israël et un silence embarrassé, l’abandon par les pays arabes de la cause palestinienne, l’annulation des élections palestiniennes après le refus d’Israël de permettre de les organiser à Jérusalem-Est, l’absence donc de perspective de renouvellement de la classe politique palestinienne… Les jeunes Palestiniens se sentent abandonnés et pensent désormais que leur destin est entre leurs mains et c’est à eux de le défendre.
Biden a-t-il commis une erreur en fixant comme priorité de sa politique dans la région la question du nucléaire iranien ?
Pas forcément. La région est complexe. Les différents conflits sont très liés. Il est difficile de séparer la question iranienne du conflit israélo-palestinien, du dossier syrien, etc. Le choix de Joe Biden de commencer par l’Iran pouvait servir à rassurer les alliés des Etats Unis dans la région, y compris Israël. Maintenant, le fait est que l’escalade de la violence remet le conflit israélo-palestinien au centre des préoccupations de la région. Joe Biden va devoir composer avec cette complexité. Son erreur est peut-être de ne pas avoir préparé en parallèle ce dossier.
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