Yannick Bolloré, fils de Vincent, a piloté la reprise de Prisma Media. © getty images

Comment Vincent Bolloré muselle la contestation dans les médias dont il prend le contrôle

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Journaliste du groupe Prisma Media repris par l’homme d’affaires, Jean-Marie Bretagne évoque des méthodes de gestion éloignées du souci de l’information.

A propos des conséquences de la reprise par l’homme d’affaires Vincent Bolloré d’entreprises de médias, on a surtout évoqué les remous au sein des rédactions d’i-Télé, devenue C-News, en 2016 (une grève des journalistes pendant 31 jours), de la radio Europe 1 en 2021 et des hebdomadaires Paris Match et Le Journal du dimanche en 2022 et 2023. On a moins parlé de l’impact du rachat de la société Prisma Media au groupe allemand Bertelsmann, en décembre 2020. C’est ce que raconte Jean-Marie Bretagne, ancien journaliste d’un de ses fleurons, le magazine Ça m’intéresse, dans son enquête fouillée et objective sous le titre évocateur Le Boa. Comment Vincent Bolloré m’a avalé (1).

Les choses ont changé. […] Nous sommes maintenant dans un groupe financier.

L’irruption du management à la Bolloré dans les magazines de Prisma Media a impliqué, comme dans les exemples précités, un interventionnisme de la direction dans le travail des journalistes, avec souvent pour objet de présenter sous un regard avantageux les protégés du «patron»: tantôt, un écho sur Eric Zemmour, futur candidat à l’élection présidentielle, est enjolivé ; tantôt, des lettres de lecteurs critiques de Cyril Hanouna, présentateur vedette d’émissions sur sa chaîne TV C8, sont volontairement ignorées. C’est pourtant dans la gestion financière des médias de la nouvelle acquisition que l’impact du passage sous la coupe du groupe Vivendi se fera davantage ressentir. Avec, comme mot d’ordre: faire autant avec moins.

Les journalistes, en mesure de faire valoir la clause de cession qui leur garantit des indemnités de licenciement même s’ils quittent leur entreprise de leur propre initiative, y recourront en grand nombre. Cet «engouement» représentera un coût pour le nouvel actionnaire mais aussi… une aubaine. Plusieurs journalistes ne seront tout simplement pas remplacés. Le management des équipes sera à l’avenant: imposition d’économies nuisant à la qualité du travail, mise en sous-traitance de certaines activités, pression des cadres pour plus de «productivité», renoncement à un projet de charte de déontologie… Après s’être battu pour sauver ce qui pouvait l’être en tant que syndicaliste CGT et secrétaire du Comité social et économique de l’entreprise, Jean-Marie Bretagne décidera à son tour de profiter de la clause de cession et de quitter le navire. Tout en reconnaissant que les finances du groupe ont été provisoirement assainies, il ruminera à la retraite la nouvelle doctrine clamée par une cadre: «Les choses ont changé. […] Nous sommes maintenant dans un groupe financier.» Et si peu dans un groupe de presse.

(1) Le Boa. Comment Vincent Bolloré m’a avalé, par Jean-Marie Bretagne, éd. Philippe Rey, 256 p.

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