Joseph Ndwaniye

Comment peut-on concevoir la construction de murs avec les étoiles du drapeau européen qui flottent au-dessus (chronique)

Joseph Ndwaniye Infirmier et écrivain.

Le temps est superbe. Après ma journée de travail, je décide de traverser Bruxelles à pied, de l’est au nord, pour rentrer chez moi. Au fil du temps, j’ai élaboré différents itinéraires plus ou moins longs en fonction de ma condition physique du moment.

Ce jour-là, j’ai choisi d’emprunter la chaussée de Louvain, depuis le boulevard de la Woluwe jusqu’à Madou. Pour éviter la cohue du centre-ville, j’ai traversé le splendide jardin Botanique, puis je me suis installé sur la place Saint-Lazare pour me désaltérer. Un homme s’est dirigé vers moi et s’est présenté. Il venait de Guinée et était réfugié politique. Je lui ai dit que nous étions tous des frères, peu importe d’où on vient.

Comment peut-on concevoir la construction de murs avec les étoiles du drapeau européen au-dessus!

Un deuxième passant s’est joint à notre conversation. Je leur ai raconté qu’en 2016, lorsque le parc Maximilien servait de refuge à des centaines de migrants, j’avais offert mes services en tant que soignant. D’autres hommes encore se sont approchés. Ils avaient l’habitude de se retrouver sur la place avant de rejoindre la gare du Nord qui leur sert de quartier général pendant la longue attente d’une réponse à leur demande d’asile politique. L’un d’eux tenait à nous montrer un reportage découvert sur YouTube. Il avait été tourné dans son village, au Sénégal. Chaque habitant y connaissait au moins une personne décédée lors de la traversée pour atteindre les côtes espagnoles. L’un d’eux, de retour au pays, témoignait. «Avant de partir, je n’avais informé personne, sauf ma femme. Ma mère m’a pleuré pendant quinze jours jusqu’à ce que je puisse trouver un moyen d’envoyer des nouvelles. Ses larmes ont continué à couler pour le fils des voisins qui s’est noyé quand le bateau a chaviré. Nos mères ont fini par créer une association pour les dissuader de partir. Mais que peut une parole sage contre les rêves de ceux ou celles qui ne voient pas d’avenir dans leur propre pays?»

Sur la place, l’aîné, qui rentrait d’une conférence sur la politique européenne de l’immigration, a pris en main son carnet de notes: «Les pays européens durcissent de plus en plus leurs lois sur l’immigration. Ils préfèrent délocaliser ou sous-traiter leurs demandeurs d’asile dans des pays africains afin de repousser toujours plus loin les portes européennes. Ils se désengagent des opérations de sauvetage en mer et sont réticents à appliquer la politique migratoire commune (pacte de répartition des réfugiés entre les Etats membres). Il ne s’agit pas seulement de gérer des frontières mais surtout des vies. Les millions d’euros gaspillés par Frontex (l’agence de l’Union européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen), seraient mieux investis dans nos pays pour leur permettre de traiter les vraies causes de l’immigration (stabilité politique et économique). Les barrières physiques (murs en béton, grillages, barbelés, caméras infrarouges) ont démontré leur inefficacité. Comment peut-on concevoir la construction de murs avec les étoiles du drapeau européen qui flottent au-dessus! Des études prouvent que les économies européennes ont besoin des travailleurs et l’apport des migrants est positif, tant du point de vue économique que démographique.»

Une habitante d’un immeuble en face, qui rentrait chez elle, ayant capté une partie de la conversation, y a apporté son grain de sel. «Vous devriez aller voir Notre soleil, le témoignage de Fran Kourouma, un Guinéen qui, lui aussi, a fait la traversée. C’est au théâtre Le Vilar, à Louvain-La-Neuve.»

Joseph Ndwaniye est infirmier et écrivain.

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